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21/03/2013

Georges Limbour, Soleils bas

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           Les bergers sans moutons

 

                                                            à Max Jacob

 

Nous sommes d'un pays

qui n'a pas d'arbres fruitiers

Nos mains ont pressé le lait

du sein de la cornemuse

Nos cœurs saignent dans les mûriers

pourquoi nos sœurs sont-elles laides

si les légendes nous abusent

 

Nous clouons les papiers blancs

des bouquetières du midi

sur les croix des cerfs-volants

aux migrations indéfinies

À ces cœurs mal équilibrés

toute la plaine se suspend

en avant-garde ils guideraient

des peuplades d'ambulants

 

Herbes rases séchées sans même de troupeau

Vous fleurissez très haut vos cœurs vains de papier

Trainant comme un regret leur queue de bigoudis

qui n'ont dans le sommeil frisé de chevelure

en ce morne pays rongé de roussissures.

 

Notre vie est penchée ainsi que des fumées

nos gestes de sonneurs n'énervent pas le ciel

Tels des bouquets noyés nos cerfs-volants dérivent

et le monde paraît les suivre.

 

Georges Limbour, Soleils bas, suivi de poèmes, de

contes et de récits (1919-1968), préface de Michel Leiris,

Poésie / Gallimard, 1972, p. 23-24.

 

 

 

18/04/2011

Michel Leiris & Georges Limbour, André Masson et son univers

Michel Leiris, Georges Limbour, André Masson, autoportrait           Dans le feu de l’inspiration

 

     Si les objets des natures mortes — mettons : les pommes — étaient conscients et savaient parler, quels vivants et indiscrets portraits des peintres ils pourraient faire ; car ils connaîtraient leur regard dans l’action, et leurs passions, et leurs manies. Si l’œil du peintre saisit un secret des choses, ces choses, ayant soutenu le regard du peintre alors qu’il se croyait seul et non observé, auraient aussi saisi une part de son secret, ou plutôt de son intimité. Ah ! quel malheur que ce ne soit jamais les choses qui prennent le peintre pour modèle !

     Malgré que l’on rencontre beaucoup de peintres à l’ouvrage à l’orée des bois et sur les falaises, il est rare de voir un peintre au travail, je pense : de pouvoir s’installer face à son regard et de le dévisager comme un diable assis sur son chevalet, au centre même de son inspiration, ce qui n’aurait sans doute d’intérêt que… psychologique et ne satisferait qu’une vicieuse curiosité.

     Pourtant de grands artistes ont voulu s’observer dans leurs moments de concentration le plus intense et nous ont laissé des autoportraits où ils se représentent, la palette à une main et les pinceaux dans l’autre. Il est vrai que pour certains ils ne donnent là que leur portrait en général, non dans l’acte de peindre, et s’ils tiennent bien palette et pinceaux, ils se détournent néanmoins du chevalet, vers un spectateur imaginaire, dans une attitude d’apparat. Ces portraits sont les moins intéressants. Mais il en est d’autres, où le regard du peintre se scrute lui-même avec une évidente angoisse et le visage semble sortir avec violence du cadre pour se rapprocher de lui-même ; ces autoportraits sont très émouvants : nous nous sentons pénétrés par ce regard halluciné qui en réalité ne cherche que lui-même, mais aujourd’hui, nous sommes à la place du miroir où il se contemplait.

 

Michel Leiris et Georges Limbour, André Masson et son univers, Genève, Paris, éditions des Trois collines, 1947, p. 83-84.