Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/04/2021

Henri Michaux, Lune d'en face

 

               

michaux.jpg

                   Un adieu

 

Soir que creusa notre adieu.

Soir acéré, délectable et monstrueux comme un ange de l’ombre.

Soir où nos lèvres vécurent dans l’intimité nue des baisers.

L’inévitable temps débordait

la digue inutile de l’étreinte.

Nous prodiguions une mutuelle passion, moins peut-être à

        nous-mêmes qu’à la solitude déjà prochaine.

Nous allâmes jusqu’à la grille dans cette dure gravité de l’ombre,

                qu’allège déjà l’étoile du berger.

Comme on revient d’une prairie perdue, je revins de ton       étreinte.

Comme on dort d’un pays d’épées, je revins de tes larmes.

Soir qui se dresse vivant, comme un rêve

parmi les autres soirs.

Plus tard je devais atteindre et déborder

les nuits et les sillages.

 

Henri Michaux, Lune d’en face, dans Œuvres, I, traduction Jean-Pierre Bernès, Pléiade/Gallimard, 1993, p. 57.

15/10/2020

Henri Michaux, Déplacements Dégagements

Henri-Michaux.jpg

Dictées

 

Penchées

Têtes appliquées

Aucune ne se relève

La dictée ne le permet pas

 

Les enseignements s’ajoutent aux ans

Des mouvements sont ressentis

des actes parfois suivent des sortes de certitude

 

Insistants attraits : réponse à un dictée

inscrire en chacun, en petit, en tout petit

 

Ça ne les gêne pas, d’obéir à une dictée ?

 

Autrefois, dans sa grandeur

l’Immense aux noms sacrés...

 

Restée seule, menue, tenace

traversant les ans, les rides,

la sourde dictée continue, en silence toujours

 

les infimes dieux, incorporés, commandent sans parler.

 

Henri Michaux, Déplacements Dégagements, Gallimard,

1985, p. 44-45.

13/10/2020

Henri Michaux, Donc c'est non

HenriMichaux.jpg

Paris, le 14 février 1977

 

Monsieur Roger Borderie

Les Pilles

26110 Nyons

 

Cher Monsieur,

 

Vos retards à entreprendre le N° H.M. vous font mal, dites-vous. À moi ils font du bien. Ils m’ont permis de revoir tranquillement les publications « OBLIQUES » et de réfléchir.

Au vu de ces d’ailleurs remarquables, ma décision est prise. Pas de Michaux. Je vous prie de renoncer à votre projet.

Il est clair que même atténuée votre formule va à l’encontre de mes désirs. Je répugne — en ce qui me concerne — à l’étalage.

Si après tant de dizaines d’années j’ai pu rester plus ou moins caché c’est grâce à ma vigilance et au nombre de refus que vous n’imaginez pas, à toutes sortes de propositions.

Réfléchissez vous-même. Comme je ne veux pas de photos, pas de documents personnels, pas d’autographe, pas de tripotage dans ma vie, etc., votre formule ne s’applique pas.

Réduit ainsi, un OBLIQUES ne serait plus ce qu’on en attend, n’aurait pas d’intérêt et ressemblerait à ces volumes ou à ces catalogues faits à l’occasion de rétrospectives ou à d’autres volumes avec reproductions de peintures et de dessins... lesquels ne manquent pas.

Vous qui ne suivez que vos idées, comprenez celui qui vous dit : je n’ai pas envie. J’ai envie qu’on [n’en] parle plus, sauf vous pour me donner votre accord là-dessus.

D’avance je vous remercie. Vôtre

                                                                                Henri Michaux

 

Henri Michaux, Donc c’est non, Lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers, Gallimard, 2016, p. 126-127.

27/06/2020

Hebri Michaux, L'étang (texte inédit dans Œuvres complètes)

ZjHa-KjKJhdD2-B3cFKG1wlVlB4pT6WYS2N_M4HOw4aw1A2VDPVLVVH3yIYfM5_1yRTdGOOKTNH7aRTMo_ssHRC9JVevqpnHk9s_I3kcoWNt446MnskWbK9tiP2Nd3A_4jwCEKdTHWGB2y2PbUI.jpg

                                L'étang

 

   Donne-lui un homme et du temps, il en fait un cadavre, puis il le rejette sur ses bords.

   Il le gonfle puis il le rejette.

   Lui demeure.

   On avait établi des bancs aux alentours où l'on peut s'asseoir.

   Ceux qui étaient fatigués venaient auprès de lui fumer de longues pipes.

   Un château fut bâti en face.

 Ceux qui désormais sont seuls aussi et orphelins et les oisifs volontiers s'approchent de lui qui ne fait rien et les mécontents l'entretiennent des causes de leur spleen, certains disaient, si j'étais noyé, si j'étais cadavre, je serais peut-être plus heureux, et ils réfléchissaient.

   D'autres lui jetaient des mottes, des mottes de terre pour colorer sa face.

   Il pourrissait les feuilles tombées petit à petit, mais ne sollicitait pas les feuilles encore à l'arbre.

   De peu d'utilité à cause de son éloignement, on eût voulu l'approcher plus du village.

   Mais voilà, quel charretier s'en serait chargé ?

Et il demeurait.

   Il était là et ne venait à personne, ne cherchait point à courir, à souffler, psy, bschu, bschu...

   comme l'eau de la rivière qui progresse sur les cailloux, ne recherche pas d'autres poissons que les siens.

   Il demeurait.

 

Henri Michaux, Textes restés inédits du vivant de Michaux, dans Œuvres complètes, III, édition établie par Raymond Bellour avec Ysé Tran, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. 1417.

24/03/2020

Henri Michaux, Face aux verrous

                 henri michaux,face aux verrous,henri michaux,face aux verrous

Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage.

 

Les oreilles dans l’homme sont mal défendues. On dirait que les voisins n’ont pas été prévus.

 

Il devait retenir son œil avec du mastic. Quand on en est là...

 

À chaque siècle sa messe. Celui-ci, qu’attend-il pour instituer une grandiose cérémonie du dégoût ?

 

 

Henri Michaux, Face aux verrous, dans Œuvres complètes, II,

Pléiade/Gallimard, 2001, p. 452, 454, 457, 457.

 

11/02/2020

Henri Michaux, Émergences-résurgences

        AVT_Henri-Michaux_5354.jpg

[...]

Et la peinture ? Et ce que je m’étais promis d’entreprendre ?

Embarras : je ne veux apprendre que de moi, même si les sentiers ne sont pas visibles, pas tracés, ou n’en finissent pas, ou s’arrêtent soudain. Je ne veux non plus rien « reproduire » de ce qui est déjà au monde.

Si je tiens à aller par des traits plutôt que par des mots, c’est toujours pour entrer en relation avec ce que j’ai de plus précieux, de plus vrai, de plus replié, de plus « mien », et non avec des formes géométriques, ou des toits de maisons ou de bouts de rues, ou des pommes et des harengs sur une assiette ; c’est à cette recherche que je suis parti.

Difficultés. Enlisement.

 Henri Michaux, Émergences-résurgences, dans Œuvres complètes, III, Pléiade / Gallimard, 2004, p. 549.

11/11/2019

Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé

 

                                  

                         michaux.jpg

                                    Les rêves vigiles

 

Le contraire du rêve qui, n’importe où il vous porte, vous y mène attaché et sans que vous puissiez rien, la rêverie, dispose de liberté. Elle demande à en avoir. Elle en fait sa puissance.

Plutôt de surabondance de liberté, viendra l’embarras.

C’est errer qui convient avec la rêverie, errer d’abord, errer négligemment, approcher, s’éloigner, tâtonner, écarter les clichés de bonheur triomphal qui se présentent, qui sans doute répondent à des désirs et des envies énormes, communes à presque tous les hommes, mais pas spécialement aux vôtres, errer jusqu’à ce que vous rencontriez enfin, petit ou grand ou infime, ce dont vous avez réellement le désir, spectacle, atmosphère et monde qui ne peut se produire sans nonchalance d’abord.

 

Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Gallimard, 2004, p. 519.

 

04/08/2019

Henri Michaux, Les commencements

                       Henri_Michaux.jpg

                          Les commencements

 

   L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes, encerclantes, les unes presque sur les autres.

   Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus

…………………………………………………………………………………….

 En tournantes, tournantes lignes de larges cercles maladroits, emmêlés, incessamment repris

encore, encore

comme on jour à la toupie

 

Cercle. Désirs de la circularité.

Place au tournoiement.

 

Au commencement est la

RÉPÉTITION

 

Emprise

seuls les cercles font le tour

le tour d’on ne sait quoi de tout

du connu,

de l’inconnu qui passe

qui vient, qui est venu

et va revenir

(…)

 

Henri Michaux, Les commencements,

Fata Morgana, 1983, p. 7-8.

15/07/2019

Henri Michaux, Fille de la montagne

 

Fille de la montagne

 

Fille restée petite

sans fleurir

chapelet de jours

sans aurore

 

soignant les bêtes

dans un réduit sans air

 

rêvant fenêtres

une grande large fenêtre,

où les disparus

réapparaîtraient

pénitence terminée.

 

La saison de la feuillaison revenue

la voici au-dehors

menant les chèvres brouter.

 

À nouveau sur les cimes, l’étrangère

l’immensité devant elle

immensités autour d’elle

grimpant

dévalant

remontant

 

Mais loin du pays de sa naissance

loin le Grand Continent

habité des dieux.

 

Sur les hauteurs, les cieux sont proches,

 

de partout reviennent

 

Montagnes donnant courage aux courageux

persévérance aux persévérants

déviation à celles qui aspirent à l’élévation

(…)

 

Henri Michaux, Fille de la montagne, dans

Œuvres, III, Pléiade / Gallimard, 2004, 1289-1290.

 

14/04/2019

Henri Michaux, Les commencements

                             henri-michaux.jpg

   L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes encerclantes, les unes presque sur les autres.

   Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus.

…………………………………………………………………………………….

 En tournantes tournantes lignes

de larges cercles maladroits, emmêlés,

incessamment repris

encore, encore

comme on joue à la toupie

 

Cercles. Désirs de la circularité.

Place au tournoiement.

 

Au commencement est la

RÉPÉTITION

 

Henri Michaux, Les commencements, Fata Morgana, 1983, p. 7-8.

17/01/2019

Henri Michaux, Textes épars 1950-1954

27db420d-59a6-4ea4-85cb-13e879ecc463.jpg

Dans l’ultime moment

 

Le froid est en moi, vous qui criez près de moi

Je quitte la maison aux mille gammes

Dans mes nerfs sans graisse

Le chariot de vos bruits fonce méchamment

 

Défaite, défaite, étrange affaire

En pleine journée, je m’étends, arbre abattu,

Le tigre ne vit pas plus vieux que le cerf

mais le tigre arrive toujours à temps pour tuer le cerf

 

Par erreur le couteau d’un irrité

est entré dans la poitrine mienne

mais c’est toujours une ombre

qui chasse une ombre, pour rejoindre les ombres

 

Ne t’agite pas, mon être, ne te lamente pas, ne me brise pas

Souvenons-nous de nous retenir

Dans l’amitié du silence

Enfonçons seuls dans la nuit du silence

 

Henri Michaux, Textes épars 1950-1954, dans Œuvres complètes, IIédition Raymond Bellour et Ysé Tran, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 432.

27/01/2018

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres

   Michaux.JPG

Tapis roulant en marche

  

Je vais de l’avant, vite

Des pelles volent

puis des cris

Je me dégage

l’instant d’après, Naples

 

Cette pensée merveilleuse

mais quelle était donc cette pensée ?

 

Soudain précipice.

En bouillonnant

une eau torrentielle cascade dans le fond d’un cañon

vice vice vivacissime

 

Tenant fortement un grand anneau métallique

je serre, je serre

 

Je…   pensée, voyons, c’était avant

mais quelle était donc cette pensée ?

 

« Parlez ! Parlez ! »

crié d’une voix bordée de rouge

 

Oublis

oublis à grande vitesse

 

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, dans Œuvres complètes, III, Pléiade / Gallimard, 2004, p. 47-48.

                           *  *  *

La revue numérique de poésie contemporaine ce qui reste, publiée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Corniaud-Marcheteau, propose dans son dernier numéro une série de poèmes de Robert Marteau accompagnés de peintures de Benoît de Roux, présentés par Jacques Lèbre. On peut les retrouver sur le site de la revue ( https://wwwce quireste.fr) ou les lire sur calameo :<http://fr.calameo.com/read/004921864d9221962908d>

 

09/04/2017

Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé

                          Michaux.JPG   

   Dans les moments où, trahi par les muscles amollis, je me sens le plus incapable de bouger, c’est alors que je me transporte au-dehors.

   Profitant de l’étonnante liberté retrouvée au moment où elle paraissait perdue, je m’élance au-dehors, non je jaillis plutôt que je ne m’élance, ce n’est pas pour aller à la porte ou à la fenêtre mais plutôt sur les murs, ou bien au plafond, et sans me servir de mes pieds ni d’aucun de mes membres. Les continuité, et discontinuités ne m’affectent plus, comme elles font à l’ordinaire.

   Ainsi d’emblée je suis dans la pièce voisine, dans une autre, ou dans la rue.

   Oui, quand étendu, emmailloté dans ma fatigue, les membres rigides, je suis tel un cadavre, c’est alors que je suis le plus actif — le plus libre. Noué, je suis dénoué.

 

Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, II, dans Œuvres complètes, III, Pléiade Gallimard, 2004, p. 531.

06/10/2016

Henri Michaux, Passages

 

 

                                              AVT_Henri-Michaux_788.jpeg

Notes au lieu d’actes

 

   On vit souvent quelques-unes des premières années d ea vie dans le non-événement. Puis avec tel ou tel événement on commence à prendre contact . Le fatal engrenage chez les uns et les autres diversement déclenché, il se fait alors parallèlement une pente en soi pour l’événement, pour encore de l’événement, pour toujours plus d’événements, pour sans fin de l’événement. Certains pourtant, dupes jusqu’au bout, croient encore être pour l’avènement du non-événement.

 

Actualité : incessamment des chiens parcourent les steppes à loups pour en faire des chiens.

 

   La souricière du langage est telle que, quoi qu’on fasse, on ne prend guère que des souris qui ont déjà été prises précédemment : les mots parlent d’eux-mêmes.

 

   Après la grandeur, tôt ou tard l’emballage.

 

Henri Michaux, Passages, dans Œuvres complètes, II, édition R. Bellour, avec Ysé Tran, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 383, 384, 385, 385.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10/06/2015

Henri michaux, Nous deux encore

                                  MICHAUX.gif

                               Nous deux encore

 

   Air du feu, tu n’as pas su jouer.

   Tu as jeté sur ma maison une toile noire. Qu’est-ce que cet opaque partout ? C’est l’opaque qui a bouché mon ciel. Qu’est-ce que ce silence partout ? C’est le silence qui a fait taire mon chante.

 

   L’espoir, il m’eût suffi d’un ruisselet. Mais tu m’as tout pris. Le son qui vibre m’a été retiré.

 

   Tu n’as pas su jouer. Tu as attrapé les cordes. Mais tu n’as pas su jouer. Tu as tout bousillé tout de suite. Tu as cassé le violon. Tu as jeté une flamme sur la peau de soie pour faire un affreux marais de sang.

 

   Son bonheur riait dans son âme. Mais c’était tromperie. Ça n’a pas fait long rire.

 

   Elle était dans un train roulant vers la mer. Elle était dans une fusée filant vers le roc. Elle s’élançait quoique immobile vers le serpent de feu qui allait la consumer. Et fut là tout à coup, saisissant la confiante, tandis qu’elle peignait sa chevelure, contemplant sa félicité dans la glace.

 

   Et lorsqu’elle vit monter cette flamme sur elle, oh...

 

Dans l’instant la coupe lui a été arrachée. Ses mains n’ont plus rien tenu. Elle a vu qu’on la serrait dans un coin. Elle s’est arrêtée là-dessus comme sur un énorme sujet de méditation à résoudre avant tout. Deux secondes plus tard, deux secondes trop tard, elle fuyait vers la fenêtre, appelant au secours.

   Toute la flamme alors l’a entourée.

 

[...]

 

Henri Michaux, Nous deux encore [1948], dans Œuvres complètes, II, édition établie par Raymond Bellour avec Ysé Tran, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 149-150.