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27/01/2018

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres

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Tapis roulant en marche

  

Je vais de l’avant, vite

Des pelles volent

puis des cris

Je me dégage

l’instant d’après, Naples

 

Cette pensée merveilleuse

mais quelle était donc cette pensée ?

 

Soudain précipice.

En bouillonnant

une eau torrentielle cascade dans le fond d’un cañon

vice vice vivacissime

 

Tenant fortement un grand anneau métallique

je serre, je serre

 

Je…   pensée, voyons, c’était avant

mais quelle était donc cette pensée ?

 

« Parlez ! Parlez ! »

crié d’une voix bordée de rouge

 

Oublis

oublis à grande vitesse

 

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, dans Œuvres complètes, III, Pléiade / Gallimard, 2004, p. 47-48.

                           *  *  *

La revue numérique de poésie contemporaine ce qui reste, publiée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Corniaud-Marcheteau, propose dans son dernier numéro une série de poèmes de Robert Marteau accompagnés de peintures de Benoît de Roux, présentés par Jacques Lèbre. On peut les retrouver sur le site de la revue ( https://wwwce quireste.fr) ou les lire sur calameo :<http://fr.calameo.com/read/004921864d9221962908d>

 

04/11/2013

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres

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                 I. Comment agissent les drogues

 

                                                      Les drogues nous ennuient avec leur paradis.

                                                      Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir.

                                                       Nous ne sommes pas un siècle à paradis.

 

   Toute drogue modifie vos appuis. L'appui que vous preniez sur vos sens, l'appui que vos sens prenaient sur le monde, l'appui que vous preniez sur votre impression générale. Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tut bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici et davantage là. Où «  ici» ? Où « là » ? Dans des dizaines d'« ici», dans des dizaines de « là », que vous ne vous connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n'est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets mêmes, perdent leur asse et leur raideur, cessent d'opposer une résistance sérieuse à l'omniprésente mobilité transformatrice.

   Des abandons paraissent, de petits (la drogue vous chatouille d'abandons), de grands aussi. Certains s'y plaisent. Paradis, c'est-à-dire abandon. Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher... Voilà ce que les drogues fortes ont en commun et aussi que c'est toujours le cerveau qui prend les coups, qui observe ses coulisses, ses ficelles, qui joue petit et grand jeu, et qui, ensuite, prend du recul, un singulier recul.

 

 

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres (1967), dans Œvvres poétiques, III, édition établie par Raymond Bellour et Ysé Tran, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. 3.