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29/09/2012

Jacques Dupin, L'embrasure

Jacques Dupin, L'embrasure, amour, écrire

Ce qu'une autre m'écrivait

comme avec une herbe longue et suppliciante

 

toi, toute, en mon absence, là,

dans le pur égarement d'un geste

hostile au gerbier du sang,

tu t'en délivres

 

tel un amour qui vire sur son ancre, chargé

de l'ombre nécessaire,

ici, mais plus bas, et criant

d'allégresse comme au premier jour

 

et toute la douleur de la terre

se contracte et se voûte

et surgit en une chaîne imprévisible

crêtée de foudre

et ruisselante de vigueur

 

                                 *

 

Malgré l'étoile fraîchement meurtrie

qui bifurque

— c'est sa seule cruauté le battement

de ma phrase qui s'obscurcit

et se dénoue —,

il est encore capable, lui, de soutenir

 

la proximité du murmure

 

Jacques Dupin, L'embrasure, Gallimard, 1969,

p. 32 et 53.

07/07/2012

Jacques Dupin, La mèche

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             La mèche

 

Éteinte dans sa tombée

une phrase épanouie

frissonne dans l'aléa

des copeaux qui se dispersent

 

L'armature du tonneau

se tend à crever la panse

du gueux assoiffé de mots

 

l'intérieur du vin ouvert

comme un théâtre de consonnes

tangue dans les vertèbres

 

le hoquet est sublimé

par la secousse de l'air

sous la voûte du cellier

 

il reste à jeter au feu

les douelles du tonneau

et la griffe du poème

 

 

N'ayant rien à dire

étant sous le charme

 

je partage

l'accablement du murier

couvert de mouches qui parlent

l'idiome

des lointains carbonisés

 

étant sous le charme

de la vibration d'un peuple

de guêpes

avant de tomber de l'assiette en l'air

sur une lèvre éclatée

 

Je suis revenu

par le sentier des falaises

tordant le mouchoir   heurtant

le caillou

 

riant sous le manteau pour éparpiller

la parole

 

avant d'être à la fin le mort dans la lettre

et la lettre dans la mort

                           [...]

 Jacques Dupin, La mèche, dans Europe, "Jacques Dupin", n° 998-999, juin-juillet 2012, p. 22-23.

 

30/12/2011

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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   J'étais le seul. L'œil en activité. Elle était le nombre. Dormant. Le nombre, et le monstre. Dormant. Elle est le trait, la soif, l'herbe folle. Elle est la veuve, et l'éclair, d'un orage futur...

 

   Comme s'affile la lame, commence l'écoute, la dictée... Quelques gouttes de sang, et cet étirement du vide entre chien et loup...

   Difficulté des étoiles à me suivre. Allégresse du corps à les réfracter.

 

Séquence de l'eau qui te presse, te divise — te divinise. Qui m'enserre dans l'étreinte de son épaisseur liquide. Et noie le souffle, la voix. Sous son scintillement, sa divination. Sa course...

 

   Écrire sans casser le silence. Écrire, en violation d'un lieu qui se retire ; quadrature du texte, visage désencerclé, non-lieu... La rapacité du vide, le calme, — étonne ses proies...

 

   La terre et le ciel. Et la peur, la ligne d'horizon. Leur complicité et leur agonie. Fertilisant le fond de l'œil. Et leur guerre, les arrérages de la nuit.

 

   On me crève les yeux. C'est le jour. Je m'expose, en cette infirmité, écrivant : c'est le jour. Intouchable, désœuvré. Mal dégrossis par la dénégation du JOUR.

 

   Quelle créance claire oscille entre tes seins... Accompagnant, niant, le battement des étoiles contre la vitre... Broyant la couleur sur ma bouche... Ouvrant une veine de nuit dans la voix...

Rien... Soulevant l'herbe. Relevant sa trace dans l'herbe...

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1992, p. 91-97.