31/12/2011
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Décembre
Balayant la contrée et ce vallon feuillu, ta main, gagnant les terres couleur de pourpre et de tan que tes yeux là-bas découvrent, s'arrête avec eux sur ce riche brocart. Tout est coi et enveloppé ; nul vert blessant, rien de jeune et rien de neuf ne forfait à la construction et au chant de ces tons pleins et sourds. Une sombre nuée occupe tout le ciel, dont, remplissant de vapeur les crans irréguliers de la montagne, on dirait qu'il s'attache à l'horizon comme par des mortaises. De la paume caresse ces larges ornements que brochent les touffes de pins noirs sur l'hyacinthe des plaines, des doigts vérifie ces détails enfoncés dans la trame et la brume de ce jour hivernal, un rang d'arbres, un village. L'heure est certainement arrêtée ; comme un théâtre vide qu'emplit la mélancolie, le paysage clos semble prêter attention à une voix si grêle que je ne la saurais ouïr.
Ces après-midi de décembre sont douces.
Rien encore n'y parle du tourmentant avenir. Et le passé n'est pas si peu mort qu'il souffre que rien lui arrive. De tant d'herbe et d'une si grande moisson, nulle chose ne demeure que de la paille parsemée et une bourre flétrie ; une eau froide mortifie la terre retournée. Tout est fini. Entre une année et l'autre, c'est ici la pause et la suspension. La pensée, délivrée de son travail, se recueille dans une taciturne allégresse, et, méditant de nouvelles entreprises, elle goûte, comme la terre, son sabbat.
[1896]
Paul Claudel, Connaissance de l'Est [1900, 1907 et 1960], préface de Jacques Petit, Poésie / Gallimard, 1974, p. 72.
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30/12/2011
Jacques Dupin, Une apparence de soupirail
J'étais le seul. L'œil en activité. Elle était le nombre. Dormant. Le nombre, et le monstre. Dormant. Elle est le trait, la soif, l'herbe folle. Elle est la veuve, et l'éclair, d'un orage futur...
Comme s'affile la lame, commence l'écoute, la dictée... Quelques gouttes de sang, et cet étirement du vide entre chien et loup...
Difficulté des étoiles à me suivre. Allégresse du corps à les réfracter.
Séquence de l'eau qui te presse, te divise — te divinise. Qui m'enserre dans l'étreinte de son épaisseur liquide. Et noie le souffle, la voix. Sous son scintillement, sa divination. Sa course...
Écrire sans casser le silence. Écrire, en violation d'un lieu qui se retire ; quadrature du texte, visage désencerclé, non-lieu... La rapacité du vide, le calme, — étonne ses proies...
La terre et le ciel. Et la peur, la ligne d'horizon. Leur complicité et leur agonie. Fertilisant le fond de l'œil. Et leur guerre, les arrérages de la nuit.
On me crève les yeux. C'est le jour. Je m'expose, en cette infirmité, écrivant : c'est le jour. Intouchable, désœuvré. Mal dégrossis par la dénégation du JOUR.
Quelle créance claire oscille entre tes seins... Accompagnant, niant, le battement des étoiles contre la vitre... Broyant la couleur sur ma bouche... Ouvrant une veine de nuit dans la voix...
Rien... Soulevant l'herbe. Relevant sa trace dans l'herbe...
Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1992, p. 91-97.
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29/12/2011
Yves Bonnefoy, L'heure présente
Bête effrayée
Ils l’ont heurtée dans ces buissons qu’ils écartaient pour se faire voie. À hauteur de leurs yeux dans les branches où elle avait grimpé, maintenant enchevêtrée dedans, prise au piège. Il la voient, elle les regarde. Son regard est un cœur battant , une pensée.
Et voici que tu la prends dans tes mains, la retire de ce feuillage, elle ne se débat pas, dirais-tu même que tout son corps se détend ? Comme si elle se savait déjà morte, avec l’ultime recours, sous le ciel clair, c’est l’après-midi encore, d’essayer de feindre de l’être.
Morte, pour être abandonnée sur ces pierres qui n’ont pas de cesse sous leurs sandales, et là-bas, dans cette garrigue, c’est déjà un peu de la nuit.
Touche ce pelage, c’est doux. Mais attention à ces griffes !
Le pelage est le marron sombre d’une châtaigne tombée, il a même cette étroite bande de blanc qu’offrent, par en-dessous, les châtaignes. Mais c’est aussi la couleur que prend maintenant le flanc de cette colline que jusqu’à présent nous suivions. Bien finies les étincellances qui bougeaient dans ses ajoncs, il y a un instant encore. Monte la terre brune sous le vert sombre et le peu de jaune et de rouge.
Et regarde ces yeux !
Les yeux sont l’énigme du monde. ououiouiyt Car est-ce un regard, ce que tu vois dans cette vie que tu tiens dans tes mains, en commençant à te demander ce que tu vas faire d’elle, oui, lui rendre la liberté, mais quoi d’autre, d’abord ? D’autant que ni toi ni moi ne savons lui donner de nom.
Une belette, une baleine, disait Hamlet. Ou rien que la dérive des nuages dans le ciel de la nuit maintenant tombée. Le flageolet a des trous sur lesquels nos doigts ne savent pas se poser ! une belette, dis-tu, un furet ? Qu’est-ce qu’un furet, qu’est-ce qu’un blaireau ? Je voudrais connaître les noms, dis-tu. Moi je voudrais en imaginer, mais le langage est aussi fermé sur ses ajoncs et ses pierres que le sol de cette colline, tout près de nous, même sous nos pieds. Et je ne vois même plus, si, tout de même un peu, ces petits yeux, ce regard.
Et brusquement la bête se débat, se libère presque. Et tu resserres tes mains, tes doigts. Elle est à nouveau tout immobile.
Va la poser sur cette pierre, là, devant nous. Cette pierre qui brille un peu, car voici que la lune s’est levée, elle a quelques formes pour cet affleurement du rocher, une étendue presque nue, et plate, bien qu’elle ait des bosses mais légères. On croirait la table d’un sacrifice.
Je touche le dos de la bête, ne dois-je pas lui dire adieu, avant qu’elle ne s’échappe, dans ce monde qui ne nous a pas enseigné tous les mots qu’il faudrait, tous les gestes qui délivreraient ?
Et déjà tu te penches, mais nous sursautons, l’un et l’autre, un cri a été poussé, là-bas, près de ces ruines où nous étions, tout à l’heure. Un cri, puis, nous écoutons, quel silence, et à nouveau c’est lui, et qui se prolonge, ce hululement, puis s’arrête.
C’est le même, nous disons-nous. Et de même qu’auprès du temple, nous avons peur.
Mais rien, rien d’autre, rien de plus dans le silence de là-bas et de toutes parts, ce silence qui fait corps avec ce qu’il y a de nuit autour de nous, et en nous. Car c’est vrai, je l’ai déjà dit, qu’il fait nuit maintenant, sauf toutefois sur cette petite étendue de pierre grise, presque brillante.
Distraitement tu as posé sur la pierre la bête qui est sans mouvement. Et d’un bond elle se déploie et déjà elle a disparu dans les broussailles sombres voisines.
Yves Bonnefoy, L’heure présente, Mercure de France, 2011, p. 47-50.
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28/12/2011
Michel Deguy, Figuration
Haïku du visible
Un L'équidistant Lui le lucide
L'impartial quand la terre dormeuse
Se retourne vers lui
Deux La coque azur
Incrustés d'arbres sous la ligne de pendaison
L'air qui cède à l'oiseau
Qui s'efface
Trois Le treillis le réseau le tamis
Le nid d'intervalles
Un feu de paille aussi longtemps que le soleil
Et ces murs une piste de plantigrades
Murs tracés à coups de griffe
Et debout comme un moulage de combat
Quatre L'eau bien épaisse bien ajointée
L'eau remplie remplissant
L'eau sans jour sur le poisson mouillé
Et la terre comme fonds la recouverte la patiente
L'implicite
Michel Deguy, Figurations, Poème-proposition-études, "Le Chemin",
Gallimard, 1969, p. 86.
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27/12/2011
Ugo Foscolo, Les Tombeaux et autres poèmes
Qu'attends-tu ? Déjà du siècle fuit la trace ;
Là où du temps les décrets sont rompus,
Il s'abîme, emportant dedans la nuit
Vingt de tes années, et l'oubli froid les lange.
Car si la vie est angoisse, erreur, colère,
De ton être, assez d'heures tu as traîné ;
Vis mieux alors, et par l'étude laisse
Des modèles à ceux qui te diront ancien.
Enfant malheureux, et amant sans espoir,
Sans patrie, âpre pour tous et pour toi-même,
Jeune d'années mais rugueux de visage,
Qu'attends-tu ? Brève est la vie, pérenne l'art ;
À qui d'œuvrer fièrement n'est point permis,
Que de libres écrits lui portent gloire.
Che stai ? Già il secol l'orma ultima lascia ;
Dove del tempo son le leggi rotte
Precipita, portando entro la notte
Quattro tuoi lustri, e obblio freddo li fascia.
Che se vita è l'error, l'ira , e l'ambascia,
Troppo hai del viver tuo l'ore prodotte ;
Or meglio vivi, e con fatiche dotte
A chi diratti antico esempi lascia.
Figlio infelice e disperato amante,
E senza patria, a tutti e a te stesso,
Giovine d'anni e rugoso in sembiante,
Che stai ? Breve è la vita e lunga l'arte ;
A chi altamente oprar non è concesso
Fama tentino almen libere carte.
Ugo Foscolo, Les Tombeaux et autres poèmes / Dai Sepulcri
ed altre poesie, traduit de l'italien et présenté par Michel Orcel, collection
Villa Médicis, Académie de France à Rome, 1982, p. 65 et 64.
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26/12/2011
André Frénaud, Hæres
Mais qui a peur ?
Les arbres mouillés,
les armes rouillées,
l'astre dérobé,
le cœur engourdi,
chevaux encerclés,
château disparu,
forêt amoindrie,
accès délaissé,
lisière éperdue,
source dessaisie,
— la neige sourit.
décembre 1974
L'homme
L'homme
exposé
retourne
à l'origine
à la Mère
est jeté
en défi
au Destin
hors des lieux
par instants
adoptifs.
Origine de l'œuf
L'œuf se ferme-t-il ou bien s'ouvrira-t-il ?
L'aube traversera-t-elle
ces frondaisons épaisses de la nuit ?
Ou si le couchant s'appesantit décidément, si le globe
s'entoure de cernes concentriques, de paupières,
l'une après l'autre qui se fermeront,
rapetissant puis annulant
ce point qui étincela comme jamais, un instant bref,
et qui n'en finit pas de disparaître,
ce point, peut-être, qui est là de nouveau,
qui grandit.
L'œuf qui se précise passera-t-il par ce poisson
pour nous faire advenir ?
C'était déjà la fin. Et c'est encore la fin.
C'est encore le retour, ou déjà le retour.
André Frénaud, Hæres [1982], p. 147, 189, et
Nul ne s'égare, p. 260, dans Nul ne s'égare [1986],
précédé de Hæres, préface d'Yves Bonnefoy,
Poésie / Gallimard, 2006.
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25/12/2011
Pascal Quignard, La nuit sexuelle
Golgotha
Le Golgotha est encore un orage. C'est encore une colline enveloppée d'un orage qui vient créer la nuit noire en plein jour. La mère regarde son enfant mort. Au puits de la grotte s'est substituée la nef d'une église. À la torche s'est substitué le cierge. Mais les corps humains tombés dans la mort présentent la même opisthotonie déroutante. De Lascaux au-dessus de Montignac à Colmar sur la Lauch en Alsace, c'est toujours le corps incurvé de la transe. Opisthotonie, possession, transe, cauchemar — tous jettent soudain les bras en arrière, disloquent la tête, arquent le corps, font tomber sur le sol derrière eux. Sous les yeux de la jument nocturne (mare), l'elfe pesant sur son ventre, la Morgane de Füssli est arquée comme le chasseur paléolithique du Puits.
Le passage du charognage à l'attaque imitée des mœurs des grands animaux a demandé des centaines de millénaires à notre espèce. La représentation de la scène de charognerie doit être distinguée de celle de la curée. Les pièges, qui sont animaux, sont plus anciens que la chasse (la prédation imitée), qui est humaine. Il faut disjoindre ces deux fonctions. D'un côté le charognage, ses pièges, ses battues, ses fosses, ses grottes. De l'autre la vision immobile, le guet-appensé, l'attaque, la mise à mort, le partage sanglant de la viande fondant le sacrifice. Des millénaires pour chaque stade, encore que ces deux stades soient des lectures de signes, des « visions ». Ce sont des millénaires de visions réelles mais aussi de hantises diurnes, d'hallucinations affamées, de rêves nocturnes involontaires. La scène primitive qi s'élève involontairement dans les songes fit appel à ces deux lots d'images fondamentales, d'abord antéhumaines, puis préhistoriques.
D'une part charognage. De l'autre curée.
La chasse inventée à partir de la carnivorie imitée, la sacrifice sanglant de victimes humaines, l'initiation sanglante des pubères, les guerres historiques sont autant de rituels reproduisant la métamorphose princeps de proie en prédateur.
Durant des millénaires les hommes exterminent les fauves.
Les surmassacres furent d'abord des démonstrations spectaculaires des prouesses prédatrices des hommes.
C'est l'arène romaine. Ce sont les pyramides méso-américaines. Toute vie se paie d'une autre vie.
In suo peccato morietur. Chaque humain mourra dans son péché. Nous amassons des trésors pour le jour de colère. Nudus exii de utero matris. Nu je suis sorti de l'utérus de ma mère. Nu je retournerai dans la terre. Car nous n'avons rien apporté à ce monde.
Le mal, dit Augustin, convocat spectatores.
La souffrance illimitée attire irrésistiblement (éternellement) les regards.
La suite des séquences de la passio et Mors Jesu est traditionnelle dès la fin du monde antique : l'arrestation nocturne dans le jardin de Gethsémani, la flagellation, le couronnement d'épines, le portement de Croix, la montée au mont des Oliviers, la crucifixion des pieds et des mains, le percement du flanc par le fer de la lance, la mort dans l'orage sur le calvaire, la descente de Croix, la mise au tombeau. Comme le fond de la nuit est bleu Dürer dessina Die Grüne Passion, en 1503 et en 1504, au crayon blanc, sur un papier dont la teinte bleue vire lentement au vert.
Pascal Quignard, La nuit sexuelle, chapitre X, Flammarion, 2007, J'ai lu en images, 2009, p. 77-81.
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24/12/2011
Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure
La tortue
Toute à sa lenteur
comme l'aiguille à
l'heure elle détruit
l'immobilité
de la nuit pierreuse
devenue chemin
Le but est grenade
fendue par l'attente
aux écailles larges
La soif a les yeux
mornes des brasiers
qu'elle décourage
La fourmi
Fermière des ans
rivée à la terre
L'été c'est le coq
Avec les racines
audacieux paysage
elle épelle l'arbre
d'hier et de demain
Une perle au front
de la discipline
La métamorphose du monde
L'insistance qu'ont les flammes à mettre les points sur les i
Le départ est fixé au lendemain de la course
On applaudit les nains qui d'une main atteignent
le nombril des saisons
Les oiseaux participent à la métamorphose du monde
S'envoler pour permettre à l'étoile de s'envoler enfin
La tête en bas les pieds n'ont plus leur raison d'être
sinon de crever les nuages
Le feu a pris dans les maisons L'homme pour lui
ne réclamait pas tant de chaleur
mais
Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Poèmes 1943-1957,
préface de Gabriel Bounoure, postface de Joseph Guglielmi,
Gallimard, 1959, p. 266, 266 et 233.
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23/12/2011
Vitezslav Nezval, Prague aux doigts de pluie
Nezval en 1919
Maïakovski à Prague
Entre les coiffeurs et les popes
Un athlète agile comme une antilope
Ses jeux préférés c'étaient
Les vers et le revolver à tambour
Qui veut de la vodka qui se bouche les intestins
Gauche gauche gauche
Quand Maïakovski vint à Prague
J'étais dans un théâtre au vestiaire
Haut-de-forme de maître de poste
Qu'il est impossible d'enlever
C'était futuriste
Comme nos vies brèves
Et comme ce passant superbe
Qui boirait de la jambe gauche
Il avait l'air trop sérieux pour un poète
Il était trop empâté pour une grenouille
Ah tout ce qui serait arrivé
Si la veste et la fiancée étaient de la même cuvée
C'était de la honte
Que naît la haine
Comme les éléphants il dédaignait toute chose
Plus le ciel est lointain plus il est monotone
Surtout dans les bars
Où n'importe qui admire le charlatan
Il l'avait vu danser à Harlem
Il aimait les palmiers autant que les pommes de terre
Des volets
Et Maïakovski est mort
Lui qui pleurait dès qu'il était seul
Tu connais cela et moi aussi je connais cela
Comme nous aimons Prague
Chaque fois qu'il venait quelqu'un de là-bas
Les tavernes et les ménages bouleversés
Et la Voltava tout à coup séduisante
Comme une baigneuse
Nous nous éloignons dans la nuit
À l'angle d'une rue Maïakovski agite son chapeau
Tu te jettes tête baissée
Dans des vers indéfinissables comme la nuit
Et Prague est de nouveau vivante
Le charme des blondes de la petite charcuterie
Comme les ouvrières sont belles
Et nous ne le savions pas
Tu marches et tu parles
Les perspectives défilent
Belles et usées
Comme ton manteau marron
Je connais dans les faubourgs un immeuble
Auquel il ressemble
Comme la poésie à la réalité
Et comme la réalité à la poésie sa demi-sœur
Vitezslav Nezval, Prague aux doigts de pluie, et autres poèmes (1919-1955), traduit du tchèque par François Kérel, Préface de Philippe Soupault, Les Éditeurs Français Réunis, 1060, p. 63-64.
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22/12/2011
Joyce Mansour, Carré blanc
Du doux repos
Prends vite une plume
Écris
Je volerai je volerai
L'orbite de la lune sauvage
Les grêles sanglots des vagues
Venues de l'autre rive
Vagues vaguelettes bandelettes et babillage
Écris
Roule entre mes bras
Ainsi qu'un caillou entre le ciel et le fond
D'un puits
Le sable sauvegarde de l'aveugle
Sur le parchemin de sa nuit
Prends vite du papier
Écris
Suis moi entre les plates bandes
tranchées béquilles épines
Écoute
Les confidences de la rose
Mâchées hachées anodines
Écris donc sur le dos d'un raz-de-marée
Grave ton signe
Mille fois inscris
La joie muette de l'ordure
Sous les voiles soumises
De l'aigue-marine
Trace
Le trait indélébile
Mon vert cœur épris ô maléfice de la lune
Signe résolument de ta verge hautaine
Sur le casque et le heaume de l'escargot cacheté
Écris signe barre
Je me noie dans l'encrier du moindre mot
Jamais
Poème sur papier rose
Ma passion gravée sur une petite pierre
Seule roule aveugle
Vers
Le nombre
Quinze
Servante effroyable de ta cuisse contraire
Ma bouche vide ton corps de son sperme
Ma langue greffe des sauvageons
Sur le buste du Quai Voltaire
Suivre ton usage
Dormir
Irruption des barbares
Versons la semence ânonnante de samedi
Dans la gamelle de la dixième chambre
Effaçons la Justice de nos portillons
Quel mot est plus faux que le mot gratuit
Joyce Mansour, Carré blanc, "Le Soleil Noir", éditions du Soleil, 1965, p. 121-122 et 67.
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21/12/2011
Kobayashi Issa, Sous le ciel de Shinano
la neige doucement descend
qui aurait encore le cœur à rire
sous le ciel de Shinano
au soir
parlant avec la terre
les feuilles tombent
au soir tombant
un vol d'oies sauvages les fumées
blotti sur moi-même
herbes échevelées
le froid se sent
rien qu'à vue d'œil
silence des réclusions d'hiver
cette nuit j'ai entendu
la pluie tomber sur la montagne
juste de quoi faire un feu
les feuilles mortes
que le vent m'a apportées
Kobayashi Issa [1763-1827], Sous le ciel de Shinano, textes choisis et traduits par Alain Gouvret et Nobuko Imamura, Arfuyen, 1984, n.p.
Quelques éléments bibliographiques sur le haïku en français.
Anthologie du haïku en France, sous la dir. de Jean Antonini, Lyon, Aléas, 2003.
Au fil de l'eau : les premiers haïku français, éd. établie par Éric Dusert, Paris, Mille et une nuits, 2003.
BAUDRY Micheline (sous la direct.), Sur d'autres pas : géographie du haïku canadien-français, Seichamps, Association française de haïku, 2004.
BAUMANN Lucien, Haïkaï à la française, Strasbourg, L. Baumann, 1983.
BELLEN Salim, L'Échelle brisée, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
BERGÈSE Paul, Le coucou du haïku, gravures de Titi Bergèse, Véron, éd. de la Renarde rouge, 2003.
BIGA Daniel, La Chasse au haïku, Bouvron, Les éd. du Chat qui tousse, 1998.
BLANCHE Patrick, L'apprenti-bouddha et l'arbre d'en face, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
BOISSÉ Hélène, Le jour ne se lève jamais seul : haïkus, Association française de haïkus, 2009.
BORDES Luc, L'esprit du promeneur : haïkus, Lyon, Assocaition française de haïku, 2009.
BOUDET Alain, Haïku du soleil, ill. d'Adeline Lorthios, Toulon, Pluie d'étoiles, 2004.
Bourgeons éclos, (sous la direct. de Daniel Py), par les lauréats du concours Haïku-Sebryu d'internet, illustr. par Ion Codrescu, Seichamps, Association française de haïku, 2003.
CALAFERTE Louis, Haïkaï du jardin, Paris, Gallimard, 1991.
CALMANT Michel, 66 haïkus anciens et modernes, préface de Dietrich Krusche, Paris, Librairie-galerie Racine, 2007.
CAZALIS Alain et MORI Eiko, Haïku, 5 eaux-fortes d'A. Cazalis et 5 de E. Mori, avec 32 poèmes haïkus de Claude Carcassonne, Marseille, L'Échoppe, 1993.
CHIPOT Dominique (coordination de -), Le soleil sur la rosée, ouvrage collectif, illustré par les élèves de l'école Pauline Kergomard d'Arras, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
CLAUDEL Paul, Cent phrases pour éventail, présentation de Michel Truffet, Paris, Gallimard, 1996 (1ère éd., 1926).
CONSTANTIN Pierre, Vivant (haïku), encres de Michel Joyard, Cannes, éd. Tipaza, 1999.
CONVERSET Pierre, Haïku des pierres, photog. de l'auteur, textes de J. Poullaouec, préf. d'Yves Coppens, Rennes, Apogée, 2006.
COURTAUD Pierre, Trente-trois haïkaï des sites et autres modèles, La Souterraine, La Main courante, 1987.
COURTAUD PIERRE, Onze haïkaï de la fluidité, ill. par Guy Teste, Berthecourt, G & g, 2001.
DESCÔTEAUX Diane, L'heure du thé : haïku, préf. de Georges Karedas, Paris, éd. Karedas, 2008.
DRUART Henri, Pincements de cordes, 288 haïkaïs en 24 séries, préface de René Maublanc, Reims, éd. du Pampre, 1929.
D'un ciel à l'autre : anthologie de haïkus de l'Union européenne, Seichamps, Association française de haïkus, 2006.
Éclair soudain : haïkus francophones, Seichamps, Association française de haïku, 2005.
FOURIER Claire, Le temps de le dire : haïku d'été, Paris, éd. J.-P. Rocher, 2004.
FOURIER Claire, Tâches de rousseur : haïku d'automne, préf. de Jean Markale, Paris, éd. J.-P. Rocher, 2006.
FRAIN Irène, Chat haïku, eaux-fortes de Bernard Vercruyce, Auvers-sur-Oise, Au chat mage, 1997.
GASC Yves, Infimes débris : 60 haïkus, Paris, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1980.
GASC Yves, L'Eaublier : 99 haïkus, Paris, Le Méridien, 1990.
GILBERT-LECOMTE Roger, Neuf haïkaï, Montpellier, Fata Morgana, 1977.
Gong, revue francophone de haïku, Seichamps, Association française de haïku, n° 1, nov. 2004.
GUINSBOURG Élisabeth, 1000 haïkus, dessin de Danièle Le Bricquir, Paris, Caractères, 1999.
Haïku, Le Hotwald, éditions LUS [= Libre université de Samadeva], 2007.
Haïku : anthologie canadienne, préparée sous la dir. de Dorothy Howard et André Duhaime, Montréal, éd. Asticou,
HULIN Bruno, Le Geai grincheux, ill. de Jean-Marc Demabre, Seichamps, Association française de haïku, 2004.
LACHÈZE Henri, D'un silence à l'autre : haïkaï, Sainte-Geneviève-des-Bois, Maison rhodanienne de poésie, 1999.
Le Haïku en français, Seichamps, Association française de haïku, 2003.
LANOUE David, Fou de haïkus, traduit de l'anglais (américain) par Alain Adaken et Richard Carter, Rennes, La Part commune, 2008.
MALINEAU Jean-Hugues, Trente haïku rouges ou bleus, ill. de Christian Piéron, Toulon, Pluie d'étoiles, 2000.
MARICOURT Paul de, D'un quai à l'autre : haïkus et senryûs du métro, illustr. de Thierry Poulhès, Seichamps, Association française de haïku, 2008.
MAUDUY Jean-Pierre, Assis sur un muret de pierre : poèmes et esprit du haïku, J.-P. Mauduy, 2003.
MELANÇON Robert, Quartiers d'hiver, avec 3 photographies d'Yves Laroche, Seichamps, Association française de haïku, 2007.
MICHELOT Soizic, Haïku, Petits chants de la pluie et du beau temps, Rennes, La Part commune, 2010.
NOIR Michel, J'entends une fourmi : haïkus, Paris, éd. de La Différence, 1994.
OSANATI Jacques, La tulipe et l'espoir : haïku et son commentaire, photog. de Xavier Coulmier, Aix-en-Provence, l'Ouisti, 2007.
PALAQUER Patrice, Chroniques d'Oburo : haïku d'un planqué, illust. de Nishi, Seichamps,
Association française de haïku, 2003.
Ploc, La revue du haïku, Association pour la promotion du haïku, Seichamps, n° 1, déc. 2008.
POULLAOUEC Jacques, Haïku des quatre éléments, Rennes, La Part commune, 2006.
POUPAS Jean-Pierre, Bref, des haïku, Le Pallet, Traces, 2002
POUPAS Jean-Pierre, Haïku d'œil, vignettes de M.-F. Lavaur, Le Pallet, éd. Traces, 2005.
POUPAS Jean-Pierre, Ma tasse de thé : haïku monostiques, Le Pallet, Traces, 1998.
PY Daniel, Haïku : 1999-2000, trad. en anglais de l'auteur, ill. d'Odette Py, Aguessac, éd. associatives Clapàs, 2001.
QUERO Pascal, Pas de fil entre les regards, illustrations de Line Michaud, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
QUINTA Philippe, Comme nous la mouche, haïkus et senryûs, Seichamps, Association française de haïku, 2008.
RAOUL Louis, Flaques du chemin : haïku, ill. de Michel-François Lavaur, Le Pallet, Traces, 1997.
RAY Lionel, Pages d'ombres, suivi de Un besoin d'azur et de Haïku, Paris, Gallimard,
Regards de femmes : haïkus francophones, réunis sous la direction de Janick Belleau, Montréal, éd. Adage, 2008.
RELIQUET Philippe, D'un loin si sombre : poèmes, haïku (1998-2003), avec deux dessins de Fred Deux,
RENONDIN Françoise, Si la terre ainsi demeure, suivi de 19 haïkus, Blois, F. Renondin, vers 1998.
RIBIÈRE René, Haïkaï, poèmes, Cavaillon, imprimerie Mistral, 1968.
ROUBAUD Jacques, Io et le loup : dix-sept plus un plus un haïku en ouliporime, Paris, Oulipo, 1981.
SELLÈS Jacques, Haïkus sous la neige, suivi de Gouttes de vitre, Le Bugue, l'Ivre cœur, 2002.
SIGG Juan, Parfums escarpés, Seichamps, Association française de haïku, 2005.
STÉFAN Jude, Stances (ou 52 contre-haï-ku), Cognac, Le temps qu'il fait, 1991.
TABLADA José Juan, Papillons de l'instant, adaptés par Patrick Blanche, Association française de haïku, 2009.
TANGUY Pierre, Haïku du chemin : en Bretagne intérieure, Rennes, La Part commune, 2002.
TANGUY Pierre, Haïku du sentier de montagne, préf. d'Alain Kerven, Rennes, La Part commune, 2007.
TIXIER Roland, Temps ordinaire banlieue est, 100 haïkus inédits, Grenoble, Le Pré carré, 2004.
Trois graines de haïku, Seichamps, Association française de haïku, 2009.
VERBEKE Geert, Baobab, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
VILLENEUVE Jocelyne, Feuilles volantes, recueil de poèmes rédigés à la façon du haïkaï, suivi d'une bibliographie du haïkaï, Canada, Naasman, 1985.
WHITE Kenneth, Les cygnes sauvages : voyage haïku, trad. de l'anglais par Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1990.
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20/12/2011
Henti Michaux, Moments, Traversées du temps
Sur des lignes tracées sans but sur le papier ; sur des pages de
lignes.
Ennoblie par une trace d'encre, une ligne fine, une ligne, ou plus rien ne pue
Pas pour expliquer, pas pour exposer, pas en terrasses, pas monumentalement
Plutôt comme par le Monde il y a des anfractuosités, des sinuosités, comme il y a des chiens errants
une ligne, une ligne, plus ou moins une ligne...
En fragments, en commencements, prise de court, une ligne, une ligne...
... une légion de lignes
Alevins de l'eau nouvelle d'un sentiment qui point, parle, rit, ravit ou qui déjà par moments poignarde
Échappées des prisons reçues en héritage, venues non pour définir, mais pour indéfinir, pour passer le râteau sur, pour reprendre l'école buissonnière, lignes, de-ci de-là, lignes,
Dévalantes, zigzagantes, plongeantes pour rêveusement, pour distraitement, pour multiplement... en désirs qui s'étirent, qui délivrent.
Débris sans escorte, le réel déminé,
Souris du souvenir indéfiniment se profilant à 'horizon de la page,
ou bien tracés légers d'avenir incertain.
D'aucune langue, l'écriture —
sans appartenance, sans filiation
Lignes, seulement lignes.
Henri Michaux, Moments, Traversées du temps, "Le Point du jour", Gallimard, 1973, p. 29-31.
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19/12/2011
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse
Je n'ai pas eu à la chercher longtemps, la maison grise. Soudain
près du grand pont de pierre, au bout de cette rue trop noire,
elle était là. Et si je l'avais imaginée différente,
passé le bref étonnement je crus l'avoir connue depuis toujours.
Enfant, à l'une ou l'autre de ces fenêtres
tu te penchais. Mais point de jardin, point d'allée :
le bruit seulement de la rue — carrioles, chevaux et voitures —
et l'heure au clocher de l'église, les cris d'enfants au loin...
Plus rien ici ne se souvient de ton sourire.
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse, éditions Cheyne,
2007, p. 63.
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18/12/2011
Paul Celan, La Rose de personne, traduction Martine Broda
... Bruit la fontaine
Vous couteaux aiguisés de prière,
de blasphème, de prière,
de mon
silence.
Vous mes paroles, qui vous estropiez
avec moi, vous
mes paroles droites.
Et toi :
toit, toi, toi,
de vérité chaque jour plus vraie
écorché, mon plus-tard
des roses — :
Combien, ô combien
du monde. De
chemins.
Aile, tu es béquille. Nous — —
Nous chanterons la chanson d'enfant, celle,
entends-tu, celle
avec les « hom », avec les « mes », avec les hommes, oui, celle
avec la broussaille, avec
la paire d'yeux, qui restait prête là-bas :
larme-et-
larme.
... Rauscht der Brunnen
Ihr gebet-, ihr lästerungs-, ihr
gebetscharfen Messer
meines
Schweigens.
Ihr meine mit mir ver-
Krüppelnden Worte, ihr
meine geraden.
Und du :
du, du, du
mein täglich wahr- und wahrer-
geschundenes Später
der Rosen — ;
Wievel, o wievel
Welt. Wievel
Wege.
Krücke du, Schwinge. Wir — —
Wie werden das Kinderlied singen, das,
hörst du, das
mit den Men, mit den Schen, mit den Menschen, ja das
mit dem Gestrüpp und mit
dem Augenpaar, das dort bereitlag als
Träne-und-
Träne.
Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 61 et 60.
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17/12/2011
Oscar Wilde, L'artiste, et Madonna mia
L'artiste
Un soir, il lui vint l'âme le désir de façonner l'image du Plaisir qui ne dure qu'un moment. Et il s'en alla par le monde pour chercher du bronze. Car il ne pouvait penser qu'en bronze.
Mais tout le bronze du monde entier avait disparu, et nulle part dans le monde entier on ne put trouver aucun bronze, que le bronze de
la statue La Douleur qui dure pour toujours.
Or, cette statue, il l'avait lui-même de ses propres mains façonnée, et il l'avait placée sur la tombe du seul être qu'il eût aimé dans la vie. Sur la tombe de l'être défunt qu'il avait le plus aimé, il avait
placé cette statue qu'il avait lui-même faite, afin qu'elle fût comme un signe
de l'amour humain qui ne meurt pas et un symbole de la douleur humaine qui dure pour toujours. Dans le monde entier, il n'y avait d'autre bronze que le bronze de cette statue.
Il prit cette statue qu'il avait façonnée et il la plaça dans un grand creuset et il la livra au feu.
Et du bronze de la statue La Douleur qui dure toujours, il a façonné la statue du Plaisir qui ne dure qu'un moment.
Oscar Wilde, Poèmes en prose, traduction Henri D. Davray [1898], dans Œuvres,
édition publiée sous la direction de Jean Gattégno, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1996, p. 33.
Madonna mia
Une fillette, un lis, inapte à la douleur du monde,
Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,
Aux yeux charmeurs voilés de larmes folles,
Telle une eau d'un bleu pur dans un brouillard de pluie,
Et des joues pâles ignorantes des baisers,
Lèvres rouges qui ont toujours craint l'amour,
Gorge aussi blanche que gorge de colombe,
Sur le marbre de laquelle s'inscrit une veine de pourpre.
Pourtant, bien que mes lèvres ne cessent de te louer,
Je n'ose même pas embrasser ton pied,
Tant je suis assombri par les ailes de la peur,
Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,
Sous le poitrail en feu du Lion, lorsqu'il vit
La septième splendeur et l'escalier d'or (1).
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans op. cité., p. 13.
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