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19/04/2016

Robert Pinget, Mahu ou le matériau

 

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                                Le chèque

 

   Un chien se présente au couvent de Sainte-Fiduce. Il demande à la bonne sœur de faire des prières pour que son maître le retrouve. Son maître l’a perdu un jour à la chasse et depuis personne n’en a entendu parler. Mais lui, il a rôdé sans cesse jusqu’à cette idée de prières.

   La bonne sœur le fait attendre au parloir. Elle revient quelques instants après et lui dit que la Mère Supérieure ne veut pas entendre parler de prières pour les chiens. Inutile d’insister. Les dernières faites au couvent contre la règle l’ont été pour une chèvre. Des ennuis épouvantables en sont issus. Cette chèvre apparaissait à tout propos, un peu partout, dans des attitudes pieuses, et vraiment ça n’était pas convenable. On finissait dans le pays par la confondre avec sainte Fiduce elle-même qui, comme chacun sait, apparaît souvent.

   Le chien à ces paroles rougit, rougit, rougit. La bonne sœur lui demande ce qu’il a. Et lui, naïvement, lui dit qu’il a été cette chèvre assez longtemps. Qu’il n’y pouvait rien, qu’il espérait retrouver son maître plus facilement sous cette forme. « Mon maître m’a perdu en chassant le jour de la Toussaint. »

[...]

 

Robert Pinget, Mahu ou le matériau, éditons de Minuit, 1952, p. 82-83.

11/11/2014

Samuel Beckett, Mercier et Camier

                                             Samuel Beckett, Mercier et Camier, champ, haie, oiseau, mûre, chèvre

   Le champ s'étendait devant eux. Rien n'y poussait, rien d'utile aux hommes c'est-à-dire. On ne voyait pas très bien non plus en quoi ce champ pouvait intéresser les animaux. Les oiseaux devaient y trouver des lombrics. Il était de forme très irrégulière et entouré de haies malingres, composées de vieilles souches d'arbres et de fourrés de ronces. Il y avait peut-être quelques mûres sauvages en automne. Une herbe bleue et aigre disputait le sol aux chardons et aux orties. Ces dernières auraient pu servir de fourrage, à la rigueur. Au-delà des haies d'autres champs, d'aspect semblable, entourés d'autres haies, d'aspect non moins semblable. Comment passait-on d'un champ à l'autre ? À travers les haies peut-être. Un chèvre s'intéressait capricieusement aux ronces. Dressée sur ses pattes de derrières, celles de devant appuyées sur une souche, elle cherchait les épines les plus tendres. Elle s'en détournait avec pétulance, faisait quelques pas furieux et s'immobilisait. De temps en temps elle faisait un petit bond, droit en l'air. Puis elle se mettait de nouveau dans la haie. Ferait-elle ainsi le tour du champ ? Ou se lasserait-elle avant ?

 

Samuel Beckett, Mercier et Camier, éditions de Minuit, 1970, p. 87-88.