06/12/2023
Paul Celan, Grille de parole
Retour
Chute de neige, de plus en plus dense,
couleur colombe, comme hier,
chute de neige, comme si tu dormais toujours.
Du blanc à perte de vue :
Dessus, à l’infini,
la trace du traîneau du perdu.
Dessous, à l’abri,
se hausse
ce qui fait si mal aux yeux,
de colline en colline,
invisible.
Sur chacune,
rapatrié dans son aujourd’hui,
un Je échappé dans le mutisme ;
de bois, un pieu.
Là-bas : un sentiment
qu’entraîne ici le vent de glace.
Il arrime l’étoffe couleur
colombe, neige, son drapeau.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois, 1991, p. 23.
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05/12/2023
Paul Celan, Enclos du temps
Je fais le fou avec ma nuit
nous capturons
tout ce qui, ici, s’arracha,
toi charge-moi aussi
ta ténèbre sur les yeux, moitiés d’yeux,
errants,
elle aussi, elle doit l’entendre
de partout,
l’écho irréfutable
de toute ombre gagnant.
Paul Celan, Enclos du temps, traduction
Martine Broda, Clivages, 1985, np.
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07/06/2023
Paul Celan, Renverse du souffle
L’Écrit se creuse, le
Parlé, vert marin,
brûle dans les haies,
dans les noms
liquéfiés
les marsouins fusent,
dans le Nulle part éternisé, ici,
dans la mémoire des cloches
trop bruyantes à — mais où donc ?,
qui,
dans ce
rectangle d’ombres,
s’ébroue, qui
sous lui
scintille un peu, scintille, scintille ?
Paul Celan, Renverse du souffle, traduction
Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2011, p. 83.
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06/06/2023
Paul Celan, Renverse du souffle
Sous la peau de mes mains cousu :
ton nom consolé
avec des mains.
Quand je pétris la motte
d’air, notre nourriture,
la lueur de lettres passée par le
pore
ouvert-délirant la
surit.
Paul Celan, Renverse du souffle,
traduction Jean-Pierre Lefebvre,
Seuil, 2003, p. 49.
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05/06/2023
Paul Celan, La rose de personne
Mandorle
Dans l’amande — qu’est-ce qui se tient dans l’amande ?
Le Rien.
Le Rien se tient dans l’amande.
Il s’y tient, s’y tient.
Dans le Rien — qui se tient là ? Le Roi.
Là se tient le Roi, le Roi.
Il s’y tient, s’y tient.
Boucle de juif, tu ne feras pas de gris.
Et ton œil — vers quoi se tient ton œil ?
Ton œil se tient face à l’amande,
Ton œil face au Rien se tient,
Soutient le Roi,
Ainsi il se tient, se tient.
Boucle d’homme, tu ne feras pas de gris.
Amande vide, bleu roi.
Paul Celan, La rose de personne, traduction Martine
Broda, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 71.
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08/12/2022
Paul Celan, La Rose de personne
Avec toutes les pensées je suis sorti
hors du monde : tu étais là,
toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —
tu nous reçus.
Qui
dit que tout est mort pour nous
quand notre œil s’éteignit ?
Tout s’éveilla, tout commença.
Grand, un soleil est venu à la nage, claires,
âme et âme lui ont fait face, nettes,
impératives, elles lui ont tu
son orbe.
Sans peine,
ton sein s’est ouvert, paisible,
un souffle est monté dans l’éther,
et ce qui s’est nué, n’était-ce pas,
n’était-ce pas forme, et sortie de nous,
n’était-ce pas
pour ainsi dire un nom ?
Mit allen Gedanken ging ich
hinaus aus der Welt : da warst du,
du meine Leise, dumeine Offne, und —
du empfingst uns.
Wer
sagt, dass uns alles erstarb,
da uns das Aug brach ?
Alles erwachte, alles hob an.
Gross kam eine Sonne geschwommen, hell
standen ihr Seele und Seele entgegen, klar,
gebieterisch schwiegen sie ihr
ihre Bahn vor.
Leicht
tat sich dein Schoss auf, still
stieg ein Hauch in den Äther,
und was sich wölkte, wars nicht,
wars nicht Gestalt und von uns her
wars nicht
so gut wie ein Name ?
Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 (S. Fischer Verlag, 1963), p. 31 et 30.
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03/12/2020
Paul Celan, 23 novembre 1920-20 avril 1970
Publié le 30 novembre dans France Culture
Suite à la parution le 23 octobre 2020 aux Cahiers de l'Herne d'un opus consacré à Paul Celan pour célébrer le centenaire de la naissance du poète, Nicolas Bouchaud, metteur en scène et acteur, revient au micro de Marie Sorbier sur les fugacités du poète des philosophes, dont il a porté les mots à la scène dans son spectacle Le Méridien.
"L'écriture de Celan est elle-même un paysage"
Quand Paul Celan (1920-1970) s’établit à Paris à l’été 1948 ses poèmes ne sont connus que d’une poignée de gens ; à sa mort, en avril 1970, son nom est associé à l’une des œuvres poétiques les plus importantes de la littérature allemande. Pourtant, aborder cette œuvre, a fortiori pour un lecteur francophone, n’a rien d’évident : si les poèmes relèvent bien d’une écriture qui réclame pour elle une « obscurité congénitale » la critique a aussi pu contribuer à en obscurcir le sens. Il faut donc sans cesse reprendre le travail de lecture d’après les coordonnées que Celan a fixées, en partant de ce qu’il appelle « l’accent aigu de l’actualité », inséparable de « l’accent grave de l’histoire » et de « l’accent circonflexe de l’éternité ».
"On dit souvent de la poésie de Celan qu'elle est hermétique. En réalité, son écriture ne cherche pas à représenter quelque chose, ni à reproduire une réalité. Elle n'est pas dans la mimesis, elle est elle-même un paysage. Il faut donc accepter de rentrer d'abord dans un paysage qu'on ne reconnaît pas, et tout le plaisir qu'on peut y prendre est de s'y aventurer quand même". Nicolas Bouchaud
Invité le 22 octobre 1960 à Darmstadt pour recevoir le prix Georg Büchner, Paul Celan accepte la récompense et prononce un discours qui interroge le statut de la poésie à partir d'une interrogation sur l'art. Nicolas Bouchaud a interprété ce texte dans son spectacle Le Méridien, créé en 2015.
"L'envie de ce spectacle m'était venue car l'écriture de Celan est magnifique. Ce n'est pas une histoire de compréhension : je la trouve magnifique parce qu'elle m'appelle d'une façon qui ne passe pas par son sens premier. On peut être appelé par des choses qui nous semblent inconnues". Nicolas Bouchaud
"La poésie n'est pas un geste commémoratif"
La poétique de Celan tient dans un impératif à la fois moral et esthétique, consistant à créer ce qu'il appelait une contre-langue, une mise en accusation implacable et définitive de la langue et de la culture allemandes, dont la Shoah fut l'aboutissement.
"Toute l'œuvre de Celan part d'Auschwitz, de la Shoah. Ce n'est pas la Shoah en tant qu'événement catastrophique qui viendrait clore une séquence, car il écrit à partir de la Shoah. Elle est comme début de quelque chose, non pas comme une chose qui serait terminée et que l'on pourrait commémorer. La poésie, l'art, ne sont pas des gestes commémoratifs". Nicolas Bouchaud
"Ce qu'entreprend Celan est tout à fait merveilleux et bouleversant, il le dit d'une façon très simple et rapide : Je vais enjuiver la langue allemande. La langue allemande a été polluée à travers le régime nazi et l'entreprise de Celan est de laver, de nettoyer et de rendre à la langue allemande ce qu'elle était avant le régime nazi, avant la pollution". Nicolas Bouchaud
Par des jeux correspondances et résonnances de mots et un système de retournement, nous explique Nicolas Bouchaud, Celan se réapproprie sa langue.
"C'est une décision esthétique et éthique extrêmement importante de son parcours que d'avoir continué à écrire en allemand et d'avoir voulu, à travers sa poésie, retravailler du dedans la langue pour la sortir de la gangue mortifère du nazisme". Nicolas Bouchaud
"La zone incertaine où l'ombre se mêle à la clarté"
"Ce qui compte dans le poème avec Celan, c'est la zone incertaine où l'ombre se mêle à la clarté. Ce qui se dérobe à la perception immédiate". Nicolas Bouchaud
Paul Celan le dit lui-même dans son discours de 1960 Le Méridien, en citant Blaise Pascal : Ne nous reprochez pas le manque de clarté, puisque nous en faisons profession. L'œuvre de Celan, note Nicolas Bouchaud, aurait même contribué à faire changer d'avis le philosophe Theodor W. Adorno, qui soutenait qu'on ne pouvait plus écrire de poèmes après Auschwitz.
Grilles de paroles est le premier recueil que Celan envoie à Adorno. On sait aussi qu'il existe une correspondance entre les deux hommes.
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13/06/2020
Paul Celan, Renverse du souffle
Quand le blanc nous est tombé dessuss, pendant la nuit ;
quand de la cruche dispensatrice est venu
plus que de l’eau ;
quand le genou écorché
a fait signe à la cloche du sacrifice :
Va, vole !
Alors
j’étais
encore entier.
Paul Celan, Renverse du souffle, traduction J.-P. Lefebvre,
Seuil, 003, p. 39.
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05/05/2020
Paul Celan, Grille de parole
Un œil ouvert
Heures, couleur mai, fraîches.
Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,
audible dans la bouche.
Voix de personne, à nouveau.
Profondeur douloureuse de la prunelle :
la paupière
ne barre pas la route, le cil
ne compte pas ce qui entre.
Une larme, à demi,
lentille plus aiguë, mobile,
capte pour toi les images.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, 1991, p. 75.
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08/10/2019
Paul Celan, Grille de parole
Une main
La table, de bois d’heures, avec
le plat de riz et le vin.
On se tait, on mange, on boit.
Une main, que je baisais,
fait la lumière pour les bouches.
Paul Celan, Grille de parol, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois,
1991, p. 65.
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05/03/2019
Esther Tellermann, Première version du monde : recension
Ce serait sortir du cadre de la simple note de lecture que de montrer la continuité entre les textes d’Esther Tellermann ; notons cependant les liens de ce livre avec Une odeur humaine (2004), également donné comme "récit". Liens formels d’abord : prose qui privilégie souvent des blocs sans ponctuation, passage couramment dans la page d’une séquence à l’autre sans rupture syntaxique « (…) approcher la fin de l’univers, // la plaine est gorgée de sang (…) » (p. 88), introduction de formes considérées comme orales, entrelacement des voix et pas d’indication particulière pour passer de l’une à l’autre. Les rapprochements thématiques sont également nombreux, au point que Première version du monde, sur certains points, pourrait être lu comme une continuation de Une odeur humaine ; à côté de la présence de la Shoah, plus largement du racisme et des massacres de masse, le récit met aussi en scène la relation entre l’homme et la femme — plutôt qu’entre un homme et une femme — dans les échanges amoureux, qui parlent avec des interlocuteurs identiques (Madame, Docteur). En outre ces thèmes sont liés à celui de la disparition (du sujet, de la Terre).
Très tôt dans Première version du monde apparaît l’un des noms utilisés par les antisémites pour parler des Juifs (« youpins, youpinasses »), repris ensuite avec ajout de qualificatifs (« ordure, sale youpin ») ; est évoquée aussi très tôt l’envoi vers les camps de la mort : « on avait rempli les wagons de carnes, futurs cadavres », avec mention de tortures. Autre aspect des destructions, sont également rappelés les temps de la colonisation, avec un bref descriptif raciste de la vie des populations indigènes et un éloge des colons (« y avait pas encore de noms, fallait qu’on vienne ») et de leur action (« on va leur apprendre le vieux monde ! »). Ce type de discours a justifié, et justifie encore, les exactions et l’exploitation des ressources naturelles ; il est répété avec variante dans le récit, cette fois en insistant sur le caractère archaïque des pratiques indigènes, « Ils entouraient les cadavres de feuilles de palmiers, c’était à la naissance de l’Histoire (…) ». À ces « peuplades ignorantes (…) », à cet « abrutissement des races devant un lever de lune (…) », l’occidental oppose et propose ce qu’il est : « on a mieux, // tous en jeans et en baskets, on s’photographie, même que ça r’mue, on s’fait des films… ».
Cependant, si des voix vantent seulement la supériorité de leur modèle, d’autres rejettent la possibilité de toute différence et prônent la disparition de tout ce qui est estimé élément de désordre, « Faudra débroussailler ces youtres, ces nègres ces cafards (…), ce néant puant l’ordure ». Le livre abonde en allusions aux massacres et à la variété des moyens pour les mener à bien, de la machette aux armes biologiques. Éradiquer toute différence serait le moyen de préserver la vie future, « la ville doit être transformée en fosse commune, voilà tout, nous sommes nombreux depuis toujours à vouloir sauver l’espèce humaine ». On reconnaît là un des thèmes de l’eugénisme, pas seulement celui du nazisme mais (souvent) de tout projet d’un "monde nouveau". L’acharnement des humains à (se) détruire met en cause tout le vivant puisque « les océans se recouvr[…]ent de plastique » ; la disparition du monde d’aujourd’hui est vue comme une nécessité pour sortir de ce qui est mauvais (« ils (…) s’appliquaient à récuser la première version du monde ») ou comme un processus inévitable quoique incompréhensible (« nous n’avions pu ni expliquer ni enrayer la volonté humaine d’organiser sa propre fin »).
Voilà une vision peu amène, noircie sans doute par mon choix de retenir tels fragments du récit. Comment dans ce monde à l’avenir incertain peuvent se construire et se vivre les échanges amoureux ? Quel que soit l’état de la société, il est toujours nécessaire de comprendre ce qu’est la relation entre hommes et femmes ; ici, les voix sans visage ne renvoient pas à des personnages romanesques, plutôt au masculin et au féminin, et il n’est qu’une question : « que narrer d’autre que la rencontre de deux corps ? ». Les échanges amoureux évoqués relèvent du désir plus que de l’amour et ils apparaissent fort peu satisfaisants. Les mini scènes érotiques dans le récit ne font pas illusion, elles ne sont que répétition de gestes décevants ; pour lui, « c’est d’une sinistre trivialité ces cuisses ouvertes pour le même remède ancestral je t’aime tu répètes je t’aime, mêmes récidives, remèdes du vieux monde », pour elle, « ça colle cette odeur étrangère, pas lavé le sexe, j’ai rien senti Docteur, ça va trop vite ».
Ne peut-il y avoir quelque accomplissement de soi dans les échanges amoureux ? La recherche n’en est pas absente, mais le résultat toujours dans l’irréel (elle crut, ce serait), c’est dire qu’elle aboutit toujours plus ou moins à un échec. Au-delà des différences — l’homme toujours dominateur, la femme souhaitant être regardée autrement que comme objet de désir — les attentes convergent ; pour lui, la possession « serait une autre façon d’atteindre le ciel ou son envers », pour elle, l’aboutissement serait d’être « aux confins de la vie, plus proche de l’éternité qui ne réclame plus aucun effort pour disparaître ». On rapprocherait sans peine ce lyrisme amoureux, qui associe amour et disparition, de certains récits, par exemple de Bataille. Une autre aspect de la recherche exclut toute tension, rêve cette fois d’un idéal du retour à un temps d’avant tout échange amoureux, quand ce n’est pas à l’enfance.
Il est remarquable que, pour le masculin comme pour le féminin, l’évocation de l’idéal passe par la relation à l’enfance, c’est-à-dire à un moment de la vie où rien du désir amoureux n’a commencé ; pour elle il aurait fallu, non être pénétrée, mais « qu’il s’alanguisse dans un geste enfantin, les choses reviendraient à leur point de départ, l’émoi d’une première rencontre » ; pour lui, « un jour viendra (…) // l’étincelle d’un premier amour (…) // un contact si volatile (…) qu’il ferait croire à une continuité sans fin ». Pourquoi cela ne reste-t-il qu’à l’état de souhait ? Le vécu amoureux ne serait-il que sujet de roman, « illusions de pensionnaire » ? Voyons un autre plan : les conditions de vie, la « misère sociale » dans la "première version du monde" sont sans doute peu favorables à l’épanouissement par les échanges amoureux ; toute l’existence est enserrée dans un cadre rigide, limitée à « quelques actes notariés », et chacun apprend à ne vivre son corps que comme un « sac incongru » avec « une conscience empêchée d’avance ». Rien de possible aujourd’hui, mais peut-on penser un changement comme le laissent plus ou moins croire les derniers mots du livre,
« peut-être demain nous immerge dans une seconde version du monde » ?
Première version du monde offre une vision si complexe de notre monde que d’autres lectures en sont possibles. On pourrait s’attarder, par exemple, aux évocations de ce qui appartient à l’enfance, aux mentions des odeurs, à l’image du corps, à la construction même du livre (les trois parties ne sont pas équivalentes). Le récit d’Esther Tellermann ne se donne pas aisément à la lecture — et c’est tant mieux.
Esther Tellermann, Première version du monde, éditions Unes, 2018, 144 p., 20 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 10 février 2019.
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06/01/2019
Paul Celan, La rose de personne
Le menhir
Gris de pierre
qui pousse.
Forme grise, sans
yeux, toi, regard de pierre, avec lequel
la terre a fait saillir vers nous, humains,
sur l’obscur, le clair, de ces chemins de lande,
le soir, devant
toi, gouffre du ciel.
De l’adultérin,
charroyé jusqu’ici, sombrait
par-dessus le dos du cœur. Moulin-
de-mer moulait.`
Aile-claire, tu étais suspendue le matin,
entre genêt et pierre,
petite phalène.
Noires, couleur
de phylactères, ainsi étiez-vous,
cosse
partageant les prières.
Paul Celan, La rose de personne, traduction
Martine Broda, Le Nouveau Commerce,
1979, p. 97.
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05/09/2018
Ruth Weiss, De moi à toi
photo Ingeborg Gerdes
De moi à toi
si tu as de l’amour pour moi
ne dis pas je t’aime
et ainsi je garderai ma liberté
si j’ai de l’amour pour toi
je ne dirai pas je t’aime
et ainsi tu garderas ta liberté
le vieux diction
« les actes pèsent plus que les mots »
est toujours d’actualité
ces trois petits mots
ont piétiné des cœurs
ont paralysé des vies
ils baignent dans le sang
alors laisse-moi juste te dire
j’ai de l’amour pour toi
il faut donner
sans vouloir recevoir
pour apprendre à recevoir
qu’aujourd’hui demeure aujourd’hui
Ruth Weiss, dans Action Poétique, n° 200,
"Six femmes de la Beat Generation", p. 25.
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19/06/2018
Paul Celan, La rose de personne
Kolon
Dans la lumière des vigiles
des mots aucune main
gagnée par errance
Mais toi, gagnée par sommeil, toujours,
vraie de langue dans chacune
des pauses ;
à quel prix
de divorcé d’ensemble
le prépares-tu pour un nouveau départ :
le lit mémoire !
Sens, nous gisons
blancs d’une multi-
couleur, mille-
bouches à force de
vent-du-temos, souffle-année, cœur-jamais.
Paul Celan, La rose de personne, traduction Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 107.
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30/01/2018
Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet
Débris d’écoute, débris de vue, dans
le dortoir mille-
et-un,
jours ou
nuits,
la polka-des-ours :
ici on te façonne à nouveau,
de nouveau tu deviens
il.
Hörreste, Sehreste, im
Schlafsaal eintausendundeins,
tagnächtlich
die Bäten-Polka :
sie schulen dich um,
du wirst wieder
er.
Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet, Clivages, 1978, np.
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