17/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Que bâtirais-je avec ma langue ?
Quel palais fou de désespoir
Hanté d’absences immobiles ?
Quelle ville, vouée, dès jadis
Aux purs silences de l’oubli ?
Arbre, amour, solitude, poussière…
Et c’est comme si je n’existais pas
Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,
Dans l’intouchable de ce lieu
Frémissant, monstrueux…
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 41.
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16/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Elle dit : cette ombre, ce parfum,
Cette mort grandissante…
Je parle pour exister.
Elle, dans son trop vaste sépulcre de craie,
Moi, tous ceux que j’ai conviés là
Dans l’espoir que peut-être…
Elle. La pente très douce de son visage.
Moi, friable empreinte d’une bouche, aux confins.
Roger Giroux, L’arbre le remps, Éric Pesty
éditeur, 2014, p. 58.
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15/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?
Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?
Il consume les mots qui donneraient la vie,
Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)
Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 44.
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14/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
Le livre de la mort
I
Je dis la mort au cœur de la vie
la lune fondue au cœur du soleil
ta vie, étoile morte au centre
de mon cœur.
II
tes fleurs mortes sur ton lit défait,
l’horizon écrasé à ta fenêtre,
et toi, fantôme glissant ta mort
humide dans le sang de mes yeux.
III
Tu es ange mort
étalé dans mon corps
boue revenue à la boue,
pluie d’hiver installée dans mes os.
pourriture du navire
oublié par la mer
soleil éteint vomi par
la bouche d’un enfant
Tu es ange muet
Étalé dans mon corps
Etel Adnan, Je suis un volcan
Criblé de météores, Poésie/Gallimard,
2023, p. 43-44.
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13/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
De A à Z un poème
A
serait-ce
serait-ce
serait-ce
que tu préfères
la vache et le corbeau
à moi
c’est-à-dire
le langage
et
le nuage
B
Avril est le mois le plus cruel
et Décembre
le plus sombre
Disparus sont
l’East River
et le ciel qui l’accompagne
Manhattan
se lève
au lieu du SOLEIL
C
Les grandes fleurs
tombent juste après la pluie
Samuel Beckett
boit lentement
son thé
au coin
de Wooster
et Spring
D
Tempête
un
et
deux
le maire est mort
de l’East End
au West End
les trains
sont délabrés
comme Marylin Monroe
l’était
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de
météores, Poésie/Gallimard, 2023, p. 171-172.
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12/12/2023
Francis jammes, Clairières dans le ciel
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/Gallimard,
1980, p. 35.
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11/12/2023
Francis Jammes, Clairières dans le ciel
Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut
que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,
la désillusion aux désillusions ;
et, si je dois encore, par ma sombre folie,
chercher dans la douceur du vent et de la pluie
les seules vaines voix qui m’aient en passion,
je ne sais si je guérirai, ô mon amie…
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/
Gallimard, 1980, p. 40.
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10/12/2023
Paul Verlaine, Jadis et Naguère
Langueur
Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.
L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense.
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
Ô n’y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,
Ô n’y vouloir fleurir un peu cette existence !
Ô n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu !
Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! plus rien à dire !
Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !
Paul Verlaine, Jadis et Naguère, dans Œuvres poétiques
complètes, Pléiade/Gallimard, 1962, p. 570-571.
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09/12/2023
Les linguistes atterréEs, Le français va très bien, merci : recension
Faut-il "protéger" le français ?
Depuis plus de cent cinquante ans, toutes les tentatives entreprises pour faire comprendre que le français n’était pas une langue homogène, parlée (et écrite) de la même manière dans tout l’hexagone, ont échoué. En dehors de l’Académie française, tous les cercles, sociétés, associations, de « protection » de notre belle langue (sic) (et des fourmis volantes, peut-être) se sont levés, prêts à en découdre pour empêcher toute modification et défendre, par exemple, l’accord-du-participe-passé-avec-avoir -si-le-complément-est-placé-devant (j’ai oublié devant quoi). Littré, resté une référence même pour les tenants du statut quo, était convaincu de la nécessité de changements dans l’orthographe et écrivait : « L’orthographe ancienne fournira de bonnes indications pour la réformation de notre orthographe moderne, qui offre tant de surcharges, d’inconséquences et de pratiques vicieuses ». C’est en effet sur l’orthographe que les "batailles" se livraient dès la dernière partie du XIXe siècle. Les plus grands noms de la philologie, de la grammaire, de la grammaire comparée, de la phonétique, professeurs d’Université, au Collège de France, membres de l’Institut ont porté une pétition à l’Académie Française, sans succès, et certains d’entre eux n’ont pas attendu que l’institution bouge et ils ont choisi d’écrire (et de publier) avec une orthographe et une syntaxe réformées. Toute cette histoire a été écrite.
Ce que démontent les auteurs de ce livre, ce sont toutes les contrevérités largement diffusées, les pseudo-arguments qu’aucune étude n’étaie mais qui sont acceptés. Ce qu’ils proposent, c’est de débattre à partir de faits. Le premier, implicitement nié, c’est l’évolution de la langue ; personne ne parle plus comme à l’époque de Molière, pas plus d’ailleurs que dans les années 1850 — ou 1900… Les très nombreuses transformations de la vie, quotidienne ou non, ont modifié en profondeur le vocabulaire ; un agriculteur d’aujourd’hui, par exemple, n’a que très peu de lexique à partager avec un paysan des années 1920. Etc.
Autre plan. Un Français/une Française de Marseille ne prononce pas les mots de la même manière qu’un Français/une Française d’Île-de-France (ils n’ont d’ailleurs pas exactement le même lexique), le lexique et la syntaxe d’un ouvrier/d’un « employé de surface » ou d’une aide-soignante, ne sont pas les mêmes que ceux d’un énarque ou d’un polytechnicien. Voilà des évidences, dira-t-on ; certes, mais il faut en conclure qu’ils parlent tous le français, ou plutôt, comme le rappellent les auteurs, qu’il y a plusieurs français, ce que s’obstinent à ignorer les "défenseurs" de la langue. Par ignorance souvent, par mépris aussi souvent pour ceux qui ne parlent pas comme eux — mais beaucoup ne se rendent pas compte qu’ils multiplient en parlant les « fautes » qu’ils condamnent allègrement — il suffit de les écouter à la radio pour s’en convaincre si c’était nécessaire. Pour plus de clarté : il y a des français comme il y a des classes sociales.
Contre les idées toutes faites. Non, l’anglais (langue dominante aujourd’hui) n’envahit pas le français ; non, l’Académie française ne règlemente pas le français (ce n’est pas son rôle — et le voudrait-on que cela ne servirait à rien) ; non, il n’existe pas d’orthographe logique, parfaite, etc., et ce n’est pas en faisant une dictée par jour que les élèves l’apprendront — sa place dans la sélection serait peut-être à revoir ? ou bien il faudra licencier une partie des journalistes du Monde, de Libé, etc., dont une partie n’a pas dû faire assez de dictées ; non, le français des sms n’est pas une horreur : c’est une autre manière de l’écrire, et ceux/celles qui le pratiquent ne parlent pas comme ils écrivent — il faudrait, comme le suggèrent les auteurs, comparer au collège et au lycée « écrit réel et oral réel ». Pour l’écriture inclusive et les innovations comme iel, ellui, celleux, « ce ne sont qu’un tout petit bout de l’iceberg du genre grammatical ».
Les linguistes ne se demandent pas « si les anglicismes, les parlers jeunes, le rap, les tics de langage [en fait, au final], l’orthographe rectifiée, l’écriture inclusive…, c’est bien ou mal. On observe les faits linguistiques ». Cette observation permet de comprendre, et d’accepter, qu’il y ait des usages différents du français et qu’aucun n’a de prééminence : « les variantes coexistent », Il faut lire et faire lire ce livre de spécialistes qui savent de quoi ils parlent, toujours fortement argumenté. Il devrait être donné à tous ceux qui enseignent la langue, aux professeurs des écoles, de collège, de lycée, ne serait-ce que pour faire réfléchir sur les pratiques d’enseignement
Les linguistes atterrées, Le français a très bien, merci. Tracts/Gallimard, n° 49, 2023, 62 p., 3, 90 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 1er novembre 2023.
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08/12/2023
Paul Verlaine, Parallèlement
Sappho
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le longe des grèves froides,
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées ;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies :
Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.
Paul Verlaine, Parallèlement, dans Œuvres poétiques complètes,
Pléiade / Gallimard, 1962, p. 489.
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07/12/2023
Jean-René Lassalle, Ondes des lingos-poèmes : recension
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06/12/2023
Paul Celan, Grille de parole
Retour
Chute de neige, de plus en plus dense,
couleur colombe, comme hier,
chute de neige, comme si tu dormais toujours.
Du blanc à perte de vue :
Dessus, à l’infini,
la trace du traîneau du perdu.
Dessous, à l’abri,
se hausse
ce qui fait si mal aux yeux,
de colline en colline,
invisible.
Sur chacune,
rapatrié dans son aujourd’hui,
un Je échappé dans le mutisme ;
de bois, un pieu.
Là-bas : un sentiment
qu’entraîne ici le vent de glace.
Il arrime l’étoffe couleur
colombe, neige, son drapeau.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois, 1991, p. 23.
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05/12/2023
Paul Celan, Enclos du temps
Je fais le fou avec ma nuit
nous capturons
tout ce qui, ici, s’arracha,
toi charge-moi aussi
ta ténèbre sur les yeux, moitiés d’yeux,
errants,
elle aussi, elle doit l’entendre
de partout,
l’écho irréfutable
de toute ombre gagnant.
Paul Celan, Enclos du temps, traduction
Martine Broda, Clivages, 1985, np.
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04/12/2023
Jacques Roubaud, strophes reverdie
I Poèmes, quelques
16
Sans masque
Cette comédie
Ce drame
Dans la salle
En coulisses
Et le rôle ?
II Les roses, toi
49
Qui ne veut plus savoir ce qui se passe
Arrête ta mémoire
Personne ne viendra
Conclure cette histoire
Ni du cœur ni du bras
Tu ne tireras gloire
Jacques Roubaud, strophes reverdie,
l’usage, 2019, p. 14 et 45.
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03/12/2023
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, n’importe quoi
est quelque part, en quelque façon.
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à mon corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 38.
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