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15/05/2023

Jacques Roubaud, C et autre poésie

 

                    État du monde

 

N’est pas joyeux l’état du monde, formidable

n’est pas, n’est pas, du tout, en tout, il va venir

le temps en temps, mais peu joyeux, rien réussir

en nul revoir, démontre ta construction, table.

 

Mais s’il se révélait, nous qu’en indéchiffrable

complicité avec le dispositif (etc), fuir

n’est pas non plus possible. Alors quoi ? au plaisir

de te mâcher, terre, avec tes cailloux en sables ?

 

Les oiseaux nivelés, les arbres compresseurs

entament la nature à l’horizon factice

recyclés de longs bois déportant nos couleurs

du rouge vers le brun et les verts s’évanouissent

 

Que nous reconnaissions comme clefs : autre temps

Où du contrôle il sembla qu’un jour il serait temps.

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 320.

14/05/2023

Jacques Roubaud, C et autre poésie

                          jacques-roubaud-1flow.jpg                     

Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace

 

La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,

L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable

Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,

Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,

D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique

Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !

Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde

Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris

Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme

À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.

13/05/2023

Jacques Roubaud, C et autre poésie

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Nuit puis jour à Paris

 

val urbain cousu d’oisons

brun noir    noircir fut doux     plus

tard un air froid par l’afflux

sourd du matin aux maisons

tordit son azur prison

sous un pont pour chalands (glu

d’un tourbillon)     l’or inclus

dans l’ourcq parut sans raison

 

alors dut d’un blanc gris d’ail

couvrant carton soupirail

loup fuir puis au bois vacant

un chat donna coloris

qui sut avant tout passant

qu’un jour abordait Paris

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie,

NOUS, 2015, p. 109.

12/05/2023

Jacques Roubaud, C et autre poésie

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                 Présent

 

On n’écrit plus au passé. Il paraîtrait

Le temps des dominateurs du monde devoir être

Le présent. L’imparfait est solipsiste

Nominatif. Qu’un langue dérive en autre

 

N’étonne pas. La langue du bel aujourd’hui

Est statistique spasmodique : téléphones

Portables dans vos mains déportables du bord

Inférieur des jours aux soirs du peu de constat

 

La terre que tu lus n’était pas confortable

Les mots dits l’’avenir flottaient dans un bouillon

De sang épais où baignait beau le bleu factice.

 

Cela ne veut pas dire qu’il faudrait abso-

Lument que cette morasse* te satisfasse

*dernière épreuve faite généralement

 

à la Bourse quand la mise en forme du jour

                     est terminée

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012),

NOUS, 2015, p. 321.

11/05/2023

Franco Fortini, Feuille de route

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        À une ouvrière milanaise

 

Toute détruite, née toute nouvelle ;

Pierres déchirées sans pitié,

Ressurgie pour toi, devenue

Toute à nous, cette ville.

 

Ensevelie et rien qu’esprit est la mère tremblante

Qui nous angoissa asservis de baisers.

Et douloureusement en doigts de flamme l’amante

Efface ces signes tenaces.

 

Mais ici où entre être et non-être hésite

Prisonnière en elle-même notre figure,

Libérée tu apportes la justice certaine

Qui connaît les vivants et les morts.

 

Et te regardant s’humilie en nous un triste

Esclave tyran et l’espérance est entière :

Dans les matins mon peuple debout

Attend la grande sirène.

 

Franco Fortini, Feuille de toute, traduction Giulia

Camin et Benoît Casas, NOUS, 2023, . p. 17.

10/05/2023

Franco Fortini, Feuille de route

 

                                                  fortini.jpg

                   La rose ensevelie         

 

Là où nous irons chercher les couronnes de fleurs

     La musique des violons et les torches du soir

 

Là où seront les pupilles dorées

     Les ténèbres, les voix — quand à travers les pleurs

 

Descendront les cavaliers aux manteaux gris

     Sur les prés sans couleur faisant signe Et de nous

 

Derrière ce trot sans bruit par les vallées

     D’exil irrévocable, les images suivront.

 

Mais le destin le plus brisé est liberté,

     Et embaume éternelle la rose ensevelie,

 

Là où rayonnait notre joie fidèle

     Un autre retrouvera les couronnes de fleurs.

 

Franco Fortini, Feuille de route, traduction Giulia

Carmin et Benoît Casas, éditions NOUS, 2022, p. 47.  

09/05/2023

Pierre Vinclair, Idées arrachées : recension

 

 

 

 

 

 

 

 

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Pierre Vinclair construit ses idées sur l’écriture en lisant et analysant des auteurs de référence (T. S. Eliot, J. Ashbery ), ce qui aboutit pour chacun à un livre (Terre inculte, 2018, Autoportrait de John Ashbery, 2022 ) ou, au fil du temps, les "arrache" en lisant des parutions récentes : c’est le cas dans cet ouvrage qui reprend des textes parus dans des revues auxquelles il collabore régulièrement, de Catastrophes à Pozibao et Sitaudis, deDiacritik à Europe et Acta Fabula ; d’autres contributions s’ajoutent, entretiens, articles, préface. Les textes repris sont parfois anciens, comme un article de 1979, à propos de la traduction d’un poème chinois, remanié ici et augmenté. Ils sont regroupés en sept ensembles de dimension inégale : Geste du poème, Poétique de la prose, L’œuvre en question, Philosophie des genres, Face à la catastrophe, Échafauder Babel, Portrait du critique en arracheur de dents. Le livre s’achève avec trois index (notions, noms propres, revues et maisons d’édition). La diversité des domaines abordés, même si un fil les relie, déborde les limites d’une note de lecture et l’on se limite à lire le premier ensemble.

Dans tous ses livres, Vinclair n’oublie jamais la réalité vécue, y compris le moment où il entreprend telle lecture : on sait bien que le même livre n’est pas lu de la même manière à tel ou tel âge. Il se situe également dans le temps par rapport aux membres de sa famille, point d’ancrage aussi dans ses poèmes. Vie personnelle et connaissance d’une œuvre peuvent être étroitement liées ; ici, le lecteur apprend qu’il entreprend la lecture des Nouvelles Impressions d’Afrique de Raymond Roussel en 2000 alors qu’il est né en 1982. Il avoue n’avoir rien compris et son entrée en classes préparatoires en 2001 le fait renoncer à entreprendre une nouvelle lecture. Parallèlement, il découvre Roubaud et il lit La Vie mode d’emploi de Georges Perec où il retrouve le nom de Roussel. C’est le choix d’un sujet de maîtrise à partir de Foucault qui le ramène à Roussel par l’étude (Raymond Roussel) qu’a publiée le philosophe en 1963. Ce détour de Vinclair, peut-être un peu long, vise me semble-t-il à insister sur l’importance des conditions dans lesquelles on lit une œuvre. La construction des Nouvelles Impressions d’Afrique, avec ses parenthèses dans les parenthèses, ses rejets, la complexité des rapports syntaxiques, les métaphores, etc., empêche, écrit Vinclair, « la synthèse sémantique dont j’ai l’habitude et à laquelle je crois souvent avoir un droit légitime. » L’incompréhension de la première lecture n’est sans doute pas étrangère au choix du vers de Roussel dont la suite est longuement commentée : Lire souvent égale être leurré, témoin : » — Vinclair conclura de son côté « les livres sont des puzzles truqués ».

 

Ce que Vinclait répète sous différentes formes, c’est que « le poème fabrique son sens », qu’il n’est écrit pas pour "exprimer" une idée. De là la nécessité, dans la lecture, d’être attentif à la construction d’un poème, aux jeux de langage, à l’ordonnance des sons, aux images, au détail de la syntaxe. Il retient par exemple, dans plusieurs livres de Savitzkaya la question de l’adresse, introduite par "à", comme dans "à Marie" et, notant l’ambiguïté de l’emploi de la préposition pour marquer le temps ou le lieu, il propose de lire un poème comme "une pièce de théâtre" aux personnages variés, « phonèmes, signification et fonctions grammaticales, autant que les référents du monde réel qu’ils sont censés représenter. » Accepter cette proposition donne justement les moyens de lire un poème — en laissant de côté ce qui domine encore dans l’enseignement, "ce que l’auteur a voulu dire". La poésie, la littérature n’ont pas à restituer une représentation du monde, des hommes, le sens, étant de toute manière, « étranger au monde, il n‘est d’épiphanie que dans le délire ou la mauvaise foi — une fiction. » Notons que Vinclair parle aussi du « théâtre de la lecture »

Un autre ensemble de réflexions s’attache à la relation aux œuvres anciennes ; Vinclair choisit d’examiner la réécriture contemporaine de plusieurs épopées, une partie de l’Iliade (la mort des personnages), le Ramayana  de l’Inde et le Mabinogi gallois. S’agit-il, si l’on se reporte à la querelle des Anciens et des Modernes d’imiter ce qui fut ou de composer pour notre époque et, alors, d’être « infidèle au nom d’une fidélité supérieure » ? Les trois auteurs reprennent bien la matière des Anciens mais l’exploitent pour « servir des fins qui n’existaient pas à l’époque des textes canoniques ». Construction donc de « visions » propres à l’imaginaire d’aujourd’hui, volonté d’être dans le présent en relisant les œuvres du passé pour les intégrer dans notre littérature. Dans une perspective analogue, la forme du sonnet a été questionnée dès le XIXesiècle, et certains l’emploient aujourd’hui sans se préoccuper de rimes, de compte de syllabes (William Cliff), ni même du partage en quatrains et tercets (Robert Marteau). Quand le sonnet « se met lui-même en scène comme forme du passé », il use de cette « inactualité » à des fins critiques (Laurent Fourcaut) ou, en même temps, comiques (Christian Prigent) ; la lecture peut aussi être « dans le spectacle » d’un sonnet (Laurent Albarracin), l’auteur gardant toujours une distance amusée vis-à-vis de la forme.

On n’a fait que retenir quelques éléments, charpente des lectures de Vinclair. Il insiste sur la nécessité de reconnaître la forme du poème, sans négliger quelque aspect que ce soit et cette saisie, qui constitue une démarche de lecture, importe « davantage que le résultat ». Cette démarche exclut les conclusions scolaires (mais pas seulement !) qui font du poème un réservoir de sentiments ou d’idées, un lieu de représentations diverses, et l’on approuve le rejet de Vinclair : « Il y a tant à jouir au milieu des mots dans le pierrier du poème. Gardons l’interprétation pour le face-à-face avec la matière toujours si décevante des urinoirs, des carrés blancs et des sculptures en ballons » 

 

Pierre Vinclair, Idées arrachées, Essais et entretiens, Lurlure, 2023, 528 p., 26 €.

Cette recension a été publiée par Sitaudis le 8 tard 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

08/05/2023

EstherTellermann, Ciel sans prise

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Oui nous

comptions

un jour    l’autre

un lendemain n’est-il

un jadis suspendu

     à l’aurore

un front où se

     module

 les traversées ?

 Je notais les intervalles

     pour

nous ensevelir

et vous faire

     naître.

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 19.

07/05/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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Puis soudain

 je vous perds

et me fige

 reste aux portes

 car rien n’avait

 prêté serment

peut-être un

 secret que le

 corps porte

et soudain

     irradie

la brûlure.

 

Esther Tellermann,  Ciel

 sans prise, éditions Unes,

2023,p. 43.

06/05/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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Devons-nous

puiser d’autres abandons

     pour renaître ?

Et la terre nous

porte encore

vers l’incertain

une fois encore vient

     le vertige

des rues vides

et des senteurs acides

pour encore vous

bercer

     décliner

tous les verts.

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 79.

05/05/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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Déjà s’étaient

éteints    les horizons

nous devions recueillir

la lumière des chambres

des nuits rompues

par l’absence

de lendemains.

Déjà nous devions

rassembler les

vents et les os    et

tous les gestes

mais voici la main

qui oppose

   le fruit.

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 29.

04/05/2023

Oskar Pastior, Poèmepoèmes

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quand la fête commence à quatre heures le point culminant commence à six quand le poème commence par la fête le point culminant par la fin quand la fin commence à six heures la fête commence par le point culminant quand le point culminant commence par la fin la fin commence le poème quand la fin commence par la fête le poème commence par le point culminant quand le poème commence à six heures le poème commence à quatre quand le point culminant commence le poème commence par la fin quand le poème commence commence la fin

 

Oskar Pastior, Poèmepoèmes, traduction Alain Jadot, NOUS, 2913, p. 90.

03/05/2023

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, poésie complète

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une semblable, longtemps après

 

du ciel tombe la neige, désolation,

là tombent tes effets en flocons, adoration,

ils sont à terre dans le trou de ce vers

là entre mes deux socquettes l’air se réchauffe,

là mes trous de socquettes  deviennent trop petits

là je fonce tel un coq écorché vers un rêve

où s’époumonne une poule : c’est mon ode d’antan ;

mais son brio me semble là si minable,

que le ciel s’abat sur moi en éclats de vers.

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, poésie complète,

traduction Alain Jadot, NOUS, 2015, p. 79.

02/05/2023

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, poésie complète

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triste pompon

 

nombre de nuages noirs sombrent ici

ils sont si nombreux et si seuls

que même dans la pénombre

ça ne pourrait pas être plus sombre

qu’en moi en mon club solitaire

et mes pieds et mes mains

 

ils m’assombrissent en soufflant en souffrance

sur ma table de maquillage un nuage noir

avec une frange flottanttant au vent

 

nombre de nuages noirs sombrent ici

qu’en souffrance je sombre je suis à l’é3

tel le nuage de mon pompon en berne

 

toujours davantage

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, poésie complète,

traduction Alain Jadot, NOUS, 2015, p. 89.

 

 

01/05/2023

Jean-Baptiste Clément, Chansons : Pour fêter le 1er mai

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tombe de J-B Clément au Père Lachaise

             Liberté Égalité Fraternité

 

                                    Liberté,

                                    Égalité,

                                    Fraternité.

 

Lorsque nous sapons par ses bases

Votre édifice mal d’aplomb,

Vous nous répondez par du plomb

Ou vous nous alignez par des phrases.

En attendant, cher est le pain,

Longs la misère et le chômage…

Hier, en cherchant de l’ouvrage,

Hier, un homme est mort de faim !

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Vous pouvez couvrir les murailles

De ces mots vides et pompeux :

Ils ne sont pour les malheureux

Que synonymes de mitrailles.

Nous connaissons le prix du pain

Et vos doctrines libérales…

Hier, sur le carreau des Halles,

Une femme est morte de faim !

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

 

Pour qui s’en va l’estomac vide,

Ayant chez lui femme et marmots,

On peut traduire ces trois mots :

Chômage, Misère, Suicide.

Les mots ne donnent pas de pain,

Car nous voyons dans la grand’ville

De vieux travailleurs sans asile

Et des enfants mourir de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Ces mots sont gravés dans la pierre

Sur le fronton des hôpitaux,

De la Morgue et des arsenaux

Et sur les murs du cimetière.

Avec le temps, il est certain

Que la bourgeoisie en délire

Finira bien par les inscrire

Sur le ventre des morts de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Hommes libres nous voulons être,

Mais il nous faut l’Égalité.

Nous voulons la Fraternité

Mais il ne faut « Ni Dieu ni Maître ».

Moins de phrases et plus de pain,

Et, surtout, moins de politique,

Car nous disons qu’en République

On ne doit pas mourir de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Paris-Montmartre, 1884.

 

Jean-Baptiste Clément, Chansons, C. Marpon

et E. Flammarion, 5ème édition, 1887.