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11/08/2014

Nikolaï Zabolotski, Poèmes, et Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers

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Zabolotski

L’adieu aux amis

 

Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes

Vos carnets de poèmes

Vous vous êtes dispersés en poussière

Comme font les lilas passé le temps des fleurs.

Vous reposez depuis longtemps dans ce pays

Sans formes préétablies, où tout se rompt, se mêle,

Se désagrège, où le tertre funéraire tient lieu de ciel,

Où l’orbite de la lune est immobile.

Là, dans une autre langue, un idiome brumeux,

Chante un synode d’insectes aphones.

Là, une petite lanterne à la main,

Le bonhomme-scarabée complimente ses amis.

Cette paix vous est-elle douce, camarades ?

Avez-vous bien tout confié à l’oubli ?

Maintenant vos frères sont les racines et les fourmis,

Les brins d’herbe, les soupirs, les colonnes de poussière.

Vos sœurs maintenant sont les œillets sauvages,

Les thyrses de lilas, les copeaux, les poules de passage…

Le frère que vous avez laissé là-haut

N’a plus la force de se rappeler votre langage.

Sa place n’est pas encore sur ce rivage

Où vous avez disparu, légers, comme des ombres,

Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes,

Vos carnets de poèmes.

 

1952

 

Nikolaï Zabolotski, Poèmes suivis de Histoire de mon incarcération, traduits et présentés par Jean-Baptiste Para, dans Europe, n°986-987, juin-juillet 2011, p. 238-281.

Poème écrit en souvenir de Daniil Harms et d’Alexandre Vvedenski, poètes de l’Oberiou, dix ans après leur mort [Note de J.-B. Para]

Oberiou :sigle de : Obiedinienie Realnovo Iskousstva (Association de l'art réel), groupe littéraire fondé en 1927, auquel se joindra le peintre Malevitch.

 

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                                            Daniil Harms

 

 

  

Le court éclair survola le tas de neige

alluma la bougie tonnerre détruisit l’arbre

le mouton (tigre) épouvanté aussitôt

se mit à genoux

aussitôt fuirent les enfants du cerf

aussitôt la fenêtre s’ouvrit

et Harms passa sa tête

Nicolaï Makarovitch et Sokolov (1 et 2)

passèrent en parlant des fleurs et des nombres féériques

aussitôt passa de l’esprit de la poutre Zabolotski

lisant un livre de Skorovoda (3)

il était suivi par Skaldine (4) s’accompagnant d’un cliquetis

et les pensées de sa barbe tintaient. La chope de l’échine tintait

Harms par la fenêtre criait seul

où es-tu ma compagne

oiselle Esther envolée par la fenêtre

Sokolov lui depuis longtemps se taisait

sa silhouette partie devant

et Nicolaï Makarovitch renfrogné

écrivait des questions sur la papier

Zabolotski couché sur le ventre

voyageait dans un chariot

et au-dessous de l’ours Skaldine

volait un aigle du nom de Serge.

(Mars 1931)

 

 

 

Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, avant-propos de Mikhaïl Iampolski, éditons Verdier, 2005, p. 408-409.



1  Nicolaï Makarovitch Oléïnikov (1898-1942), poète fusillé le 24 novembre 1937.

2  Piotr Ivanovitch Sokolov (1898-1938), peintre.

3  Grigory Savvich Skooroda (1722-1794), poète et philosophe ukrainien.

4  Alexeï Dmitrievitch Skaldine (1885-1943 ?), poète et prosateur.

14/06/2011

Nikolaï Zabolotski, Daniil Harms

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Zabolotski

L’adieu aux amis

 

Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes

Vos carnets de poèmes

Vous vous êtes dispersés en poussière

Comme font les lilas passé le temps des fleurs.

Vous reposez depuis longtemps dans ce pays

Sans formes préétablies, où tout se rompt, se mêle,

Se désagrège, où le tertre funéraire tient lieu de ciel,

Où l’orbite de la lune est immobile.

Là, dans une autre langue, un idiome brumeux,

Chante un synode d’insectes aphones.

Là, une petite lanterne à la main,

Le bonhomme-scarabée complimente ses amis.

Cette paix vous est-elle douce, camarades ?

Avez-vous bien tout confié à l’oubli ?

Maintenant vos frères sont les racines et les fourmis,

Les brins d’herbe, les soupirs, les colonnes de poussière.

Vos sœurs maintenant sont les œillets sauvages,

Les thyrses de lilas, les copeaux, les poules de passage…

Le frère que vous avez laissé là-haut

N’a plus la force de se rappeler votre langage.

Sa place n’est pas encore sur ce rivage

Où vous avez disparu, légers, comme des ombres,

Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes,

Vos carnets de poèmes.

 

1952

 

Nikolaï Zabolotski, Poèmes suivis de Histoire de mon incarcération, traduits et présentés par Jean-Baptiste Para, dans Europe, n°986-987, juin-juillet 2011, p. 238-281.

Poème écrit en souvenir de Daniil Harms et d’Alexandre Vvedenski, poètes de l’Oberiou, dix ans après leur mort [Note de J.-B. Para]

Oberiou :sigle de : Obiedinienie Realnovo Iskousstva (Association de l'art réel), groupe littéraire fondé en 1927, auquel se joindra le peintre Malevitch.

 

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                                            Daniil Harms

 

 

  

Le court éclair survola le tas de neige

alluma la bougie tonnerre détruisit l’arbre

le mouton (tigre) épouvanté aussitôt

se mit à genoux

aussitôt fuirent les enfants du cerf

aussitôt la fenêtre s’ouvrit

et Harms passa sa tête

Nicolaï Makarovitch et Sokolov (1 et 2)

passèrent en parlant des fleurs et des nombres féériques

aussitôt passa de l’esprit de la poutre Zabolotski

lisant un livre de Skorovoda (3)

il était suivi par Skaldine (4) s’accompagnant d’un cliquetis

et les pensées de sa barbe tintaient. La chope de l’échine tintait

Harms par la fenêtre criait seul

où es-tu ma compagne

oiselle Esther envolée par la fenêtre

Sokolov lui depuis longtemps se taisait

sa silhouette partie devant

et Nicolaï Makarovitch renfrogné

écrivait des questions sur la papier

Zabolotski couché sur le ventre

voyageait dans un chariot

et au-dessous de l’ours Skaldine

volait un aigle du nom de Serge.

(Mars 1931)

 


 

Daniil Harms, Œuvres en proses et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, avant-propos de Mikhaïl Iampolski, éditons Verdier, 2005, p. 408-409.



1  Nicolaï Makarovitch Oléïnikov (1898-1942), poète fusillé le 24 novembre 1937.

2  Piotr Ivanovitch Sokolov (1898-1938), peintre.

3  Grigory Savvich Skooroda (1722-1794), poète et philosophe ukrainien.

4  Alexeï Dmitrievitch Skaldine (1885-1943 ?), poète et prosateur.