05/11/2013
Christine Caillon, Kikie Crêvecœur, Autobiographie en arbres
Bernini, Apollon et Daphné
il y a la taille mince du cyprès
les glands du chêne
noirs
gommeux
la peau de Daphné avant le laurier
me paradis perdu — paraît-il —
un jardin
il y a la fleur de grenadier
la gouge rouge
qui éclate et défigure comme
un vœu —
on peut toujours rêver
il y a le grenadier — toujours lui
comme un champ de coquelicots
en plein ciel
mais la pointe assassine
par-delà le bois de promesse
j'entends les bancs les charpentes,
les feuilles, ma feuille — les forêts d'allées de bois
il y a la pierre pour soulever le sol — voir
sentir — griffer —
entailler l'arbre
pour faire du temps autre chose que du vent
l'idée d'arbre commence par la forme
pour la comprendre
il faut la couvrir d'empreintes, la sentir,
le nez à la place des mains
il faut humer son regard
c'est la seule façon
jusqu'où sommes nous capables de ne pas
voir
Christine Caillon, Kikie Crêvecœur, Autobiographie
en arbres, préface de Jean-Louis Giovannoni, La
Pierre d'Alun, 2013, p. 13-14.
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28/05/2013
Romain Fustier, Mon contre toi
tempête de sable dans la rue. le désert avance. la grande dune enveloppe le carrefour. recouvre les feux tricolores. ensablant les immeubles. dévorant les platanes. la dune progresse à l'assaut du quartier. main chaude sur le ventre de l'avenue. poussée par la respiration du vent. tempête de deux corps. immeubles et platanes allongés sous le sable. clignotement étouffé des feux tricolores. le carrefour a cédé. les doigts passent sur la peau de l'avenue. dune caressante poussée par le vent. la tempête de sable s'abat sur la ville. enveloppe le quartier dans ses bras aux muscles chauds. vent soufflant entre les corps. la grande dune avance et passe sur nos torses enlacés.
je te serre à la manière d'un chêne dont mes bras ne font pas le tour. à la manière d'un chêne dans le site vallonné de mon ventre. t'enveloppant comme j'envelopperais une forêt dit-elle. mon homme issu de semis. mon peuplement d'arbres sur la surface déterminée de mon corps. ma route de mon torse où je me promène. empruntant le sentier qui te contourne. contourne l'étang de tes cuisses. la fontaine de ton sexe où des jeunes filles lancent des pièces je m'aventure au bord du ravin de tes reins. mon bois de chêne naviguant sur des mers démontées. mon homme à coque de bateau sous les clartés changeantes dans lesquelles je me baigne. nue dans une villa gallo-romaine. un lit sous la feuillée où s'allongent les biches qui traversent mon corps.
Romain Fustier, Mon contre toi, collection Éros / Thanatos, éditions de l'Atlantique, 2012, p. 9 et 33.
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12/03/2013
Antonella Anedda, Arbres
Arbres
Lorsque j'étais enfant je pensais que l'Est était le seul endroit où l'herbe avait un son. Est, répétais-je et je n'entendais pas seulement un bruissement mais une musique ample, une musique de tiges, une symphonie composée par l'espace, pour l'espace. Depuis le port minuscule d'une île au sein de l'île, du double cœur des roches et des eaux occidentales, l'Italie n'était que la porte d'un Continent plus vaste. Il suffisait d'enjamber cette bande de terre et l'Occident se réduisait soudain à un rivage, c'était le lieu depuis lequel la pensée s'élançait, sans écrans, sans obstacles, vers des steppes intérieures. Dans ce vent phénicien oscillaient, beaucoup plus imposants que les lièges de la Gallura (1), d'autres chênes. En restant immobile, au-delà du mur de pierres sèches et de l'horizon effrangé par la chaleur, il y aurait le chêne de la résignation d'André Bolkonsky dans Guerre et Paix, le chêne-prière dont parle Marie Tsvetaïeva dans Indices terrestres : « Récemment à Kountsevo, j'ai fait opinément des signes de croix devant un chêne Il est clair que la source de la prière n'est pas la peur, mais l'enthousiasme. »
Et l'enthousiasme avait des noms-grelots : Lithuanie, Estonie, voix-sonnailles qui balaient les distances et viraient en plongée vers les eaux de la Kama, jusqu'à Voronej, à l'orient des vers de Mandelstam : « Je regardais, en m'éloignant, un orient de conifères ». Est était alors le raccourci pour dire un Orient plus rapide et moins légendaire, plus proche et plus somptueux Un fil traversait les lieux dont les noms reviendraient plus tard, passant par-dessus bord, glissant des livres à la page manuscrite, d'une feuille à l'autre comme De l'interlocuteur de Mandelstam, traduit par Celan, et de la "lettre-Est" de son poème dédié à Marina Tsvetaïeva, avec le fleuve Oka au loin et ce son, Taroussa, emporté vers l'exil d'Ovide, en Colchide : Orient de douleur, Orient des adieux. En exil — écrire c'est en faire l'expérience — « de l'empire de la Grande Rime Intérieure ».
[...]
Antonella Anedda, traduit d el'italien par J.-B. Para, dans Europe, n° 1000, "Abécédaire", août-septembre 2012, p. 17.
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