15/06/2014
Ghérasim Luca, L'extrême-occidentale
La forêt
Les hommes qui incarnent la forêt et les femmes qui, renversées, la réfléchissent, se partagent les deux côtés du miroir Celui-ci est la terre même, surface horizontale, coupant la scène en deux parties égales, vers laquelle convergent, perpendiculaires, des hommes et des femmes dont les pieds se touchent par la plante.
« À ce contact, c(est comme un fluide ailé et rampant, alliage indicible d'essor, liant et brûlure, qui gagne rapidement les chevilles, les jambes jusqu'à la taille, frôle les doigts dans lesquels finalement il s'enfonce jusqu'aux poignets, remonte le long et des bras et ne dépasse pas les épaules qu'on dirait agitées de violents battements d'ailes tandis que les autres parties du corps ne cessent de jaillir, de s'accrocher, de perdre haleine...»
Cet envol aérien et souterrain qui tente de porter les deux séries de personnages vers l'extrême haut et vers l'extrême bas, comme aux confins d'un territoire unique, enferme troncs et racines dans une équation à deux inconnues dont la résolution sera donnée et refusée à la fois par un grand X surgissant au milieu de la scène et que l'acrobatique étreinte d'un couple amoureux calligraphie devant nous dans l'espace, afin de rendre sinon déchiffrable du moins couramment lisible la terrifiante écriture de notre passage sur la terre.
[...]
Ghérasim Luca, L'extrême-occidentale, éditions Corti, 2013, p. 43-44.
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17/01/2014
Fabienne Raphoz, Terre sentinelle
et maintenant je voyage de bête en bête partout
ici aussi, juste en face, derrière les grilles, de mon perchoir
le naturaliste a commencé sur le terrain
le naturaliste peut écrire des livres
mais c'est secondaire ;
on peut lui dédier une espèce
mais c'est secondaire ;
il peut entrer sur la toile
mais c'est secondaire
pour le naturaliste,
le sens de la vie
va de la terre à la vue
de la terre au toucher
de la terre à l'esprit
de la terre
à l'image
de la terre
j'ai d'abord fait tout le contraire, même face à la mer
pourtant, ma Mère disait : « par beau temps, ne reste pas [dedans»,
c'est vrai
j'ai connu la garenne de Saint-Martin-des-Champs
et les lapins au cul blanc
j'ai connu la mare aux têtards
et les métamorphoses
j'ai connu les rochers les algues
et la pêche aux bigorneaux
j'ai connu la forêt le petit bois mort
et la construction des cabanes
j'ai connu la plage à marée basse
et les cris des goélands
[...]
Fabienne Raphoz, Terre sentinelle, Dessins Yanna
Andréadis, Héros-Limite, 2014, p. 137-138.
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