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26/05/2013

Paul Éluard, Cours naturel

Paul Éluard, Cours naturel, passion, amour, jeunesse, femme, nudité

                         Passionnément

 

                    I

 

J'ai vraiment voulu tout changer

 

Sur l'herbe du ciel dans la rue

Parmi les linges des maisons

Partout

Elle jouait comme on se noie

Puis elle  restait immobile

Pour que je referme sur elle

Les lourdes portes de l'impossible.

 

                    II

 

Le rire après jouer ayant mis à la voile

La table fut un papillon qui s'échappa.

 

                    III                  

 

Elle déchira sa robe

Elle embrassa

Une toilette neuve et nue.

 

                     IV

 

Dans les caves de l'automne

Elle fut tour à tour

La fleur neigeuse de la foudre

Et le charbon.

 

                    V

 

Dans la ville la maison

Et dans la maison de terre

Et sur la terre une femme

Enfant miroir œil eau et feu.

 

                    VI

 

Sa jeunesse lui donnait

Le pouvoir de vivre seule

Je n'ai pas su limiter

Mon cœur à sa seule poitrine.

 

                    VII

 

Rien que ce doux petit visage

Rien que ce doux petit oiseau

Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent

 

À la sortie de l'hiver

Quand les nuages commencent à brûler

Comme toujours

Quand l'air frais se colore

 

Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.

 

Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.

24/03/2013

Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir

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                  Au cœur de mon amour

 

Un bel oiseau me montre la lumière

Elle est dans ses yeux, bien en vue,

Il chante sur une boule de gui

Au milieu du soleil

 

                          *

 

Les yeux des animaux chanteurs

Et leurs chants de colère ou d'ennui

M'on interdit de sortir de ce lit

J'y passerai ma vie

 

L'aube dans des pays sans grâce

Prend l'apparence de l'oubli.

Et qu'une femme émue s'endorme, à l'aube,

La tête la première, sa chute l'illumine.

 

Constellations,

Vous connaissez la forme de sa tête.

Ici, tout s'obscurcit :

Le paysage se complète, sang aux joues,

Les masses diminuent et coulent dans mon cœur

Avec le sommeil.

Et qui donc veut me prendre le cœur ?

 

                         *

 

Je n'ai jamais rêvé d'une si belle nuit,

Les femmes du jardin cherchent à m'embrasser —

Soutiens du ciel, les arbres immobiles

Embrassent bien l'ombre qui les soutient.

 

Une femme au cœur pâle

Met la nuit dans ses habits.

L'amour a découvert la nuit

Sur ses seins impalpables.

 

Comment prendre plaisir à tout ?

Plutôt tout effacer.

L'homme de tous les mouvements,

De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes

Dort. Il dort, il dot, il dort.

Il raie de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.

Il n'a ni froid ni chaud.

Son prisonnier s'est évadé — pour dormir.

Il n'est pas mort, il dort.

Quand il s'est endormi

Tout l'étonnait.

Il jouait avec ardeur,

il regardait,

Il entendait.

Sa dernière parole :

« Si c'était à recommencer, je te rencontrerais

            sans te chercher. » ]

 

Il dort, il dort, il dort.

L'aube a beau lever la tête,

Il dort.

 

Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir [1924], dans Œuvres complètes I, textes établis et annotés par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 137-139.

 

04/01/2013

Paul Éluard, Dignes de vivre

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                La dernière nuit

 

                           I

 

Ce petit monde meurtrier

Est orienté vers l'innocent

Lui ôte le pain de la bouche

Et donne sa maison au feu

Lui prend sa veste et ses souliers

Lui prend son temps et ses enfants

 

Ce petit monde meurtrier

Confond les morts et les vivants

Blanchit la boue gracie les traitres

Transforme la parole en bruit

 

Merci minuit douze fusils

Rendent la paix à l'innocent

Et c'est aux foules d'enterrer

Sa chair sanglante et son ciel noir

Et c'est aux foules de comprendre

La faiblesse des meurtriers.

 

                              II

 

Le prodige serait une légère poussée contre le mur

Ce serait de pouvoir secouer cette poussière

Ce serait d'être unis.

 

                              III

 

Ils avaient mis à vif ses mains courbé son dos

Ils avaient creusé un trou dans sa tête

Et pour mourir il avait dû souffrir

Toute sa vie

 

                                IV

 

Beauté créée pour les heureux

Beauté tu cours un grand danger

 

Ces mains croisées sur tes genoux

Sont les outils d'un assassin

 

Cette bouche chantant très haut

Sert de sébile au mendiant

 

Et cette coupe de lait pur

Devient le sein d'une putain.

 

 [...]

 

Paul Éluard, Dignes de vivre, nouvelle édition

revue et augmentée illustrée par Fautrier,

éditions littéraires de Monaco, 1951, p. 45-49.

16/12/2012

Paul Éluard, La vie immédiate

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Maison déserte

               abominables

Maisons

                pauvres

Maisons

Comme des livres vides

 

         *

 

     Le temps d'un éclair

 

Elle n'est pas là.

 

La femme au tablier guette la pluie aux vitres

En spectacle tous les nuages jouent au plus fin

Une fillette de peu de poids

Passée au bleu

Joue sur un canapé crevé

Le silence a des remords.

 

J'ai suivi les murs d'une rue très longue

Des pierres des pavés des verdures

De la terre de la neige du sable

Des ombres du soleil de l'eau

Vie apparente

 

Sans oublier qu'elle était là

À promener un grand jardin

À becqueter un murier blanc

La neige de ses rires stérilisait la boue

Sa démarche était vierge.

 

Paul Éluard,  La vie immédiate [1932], dans Œuvres complètes, I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 391 et 396-397.