18/04/2017
Paul Éluard, Cours naturel
Passionnément
I
J'ai vraiment voulu tout changer
Sur l'herbe du ciel dans la rue
Parmi les linges des maisons
Partout
Elle jouait comme on se noie
Puis elle restait immobile
Pour que je referme sur elle
Les lourdes portes de l'impossible.
II
Le rire après jouer ayant mis à la voile
La table fut un papillon qui s'échappa.
III
Elle déchira sa robe
Elle embrassa
Une toilette neuve et nue.
IV
Dans les caves de l'automne
Elle fut tour à tour
La fleur neigeuse de la foudre
Et le charbon.
V
Dans la ville la maison
Et dans la maison de terre
Et sur la terre une femme
Enfant miroir œil eau et feu.
VI
Sa jeunesse lui donnait
Le pouvoir de vivre seule
Je n'ai pas su limiter
Mon cœur à sa seule poitrine.
VII
Rien que ce doux petit visage
Rien que ce doux petit oiseau
Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent
À la sortie de l'hiver
Quand les nuages commencent à brûler
Comme toujours
Quand l'air frais se colore
Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.
Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.
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15/01/2015
André Breton et Paul Éluard, Notes sur la poésie
Les Notes sur la poésie, écrites par Paul Éluard et André Breton, ont été publiées dans la Révolution surréaliste en 1929. Elles sont, à la manière de Lautréamont retournant La Rochefoucauld ou Vauvenargues, un démarquage d’une partie de Littérature de Paul Valéry
Les livres ont les mêmes amis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le temps, et leur propre contenu.
Dans le poète :
L’oreille rit,
La bouche jure ;
C’est l’intelligence, l’éveil qui tue ;
C’est le sommeil qui rêve et voit clair ;
C’est l’image et le phantasme qui ferment les yeux ;
C’est le manque et la lacune qui sont créés.
La poésie est le contraire de la littérature. Elle règne sur les idoles de toute espèce et les illusions réalistes ; elle entretient heureusement l’équivoque entre le langage de la « vérité » et le langage de la « création ».
Et ce rôle créateur, réel du langage (lui d’origine minérale) est rendu le plus évident possible par la non-nécessité totale a priori du sujet.
L’idée d’Inspiration est contenue dans celles-ci :
Ce qui coûte deux sous n’est pas ce qui a le plus de valeur.
Ce qui a le plus de valeur ne s’évalue pas en sous.
Et celle-ci : Se glorifier le plus de ce dont on est le moins responsable.
Quelle fierté d’écrire sans savoir ce que sont langage, verbe, comparaison, changement d’idées, de ton ; ni concevoir la structure de la durée de l’œuvre, ni les conditions de sa fin ; pas du tout le pourquoi, pas du tout le comment ! Verdir, bleuir, blanchir d’être le perroquet…
André Breton et Paul Éluard, Notes sur la poésie, avec un dessin de Salvador Dali, G. L. M., 1936, non paginé (repris dans Paul Éluard, Œuvres complètes, I, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 473, 475, 476 et 478).
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10/11/2013
Paul Éluard, La rose publique
Passer le temps
Un enfant grimpe à l'homme
Qui dit jeune dit seul
Comme une page blanche
Puisque tout a la forme de la nouveauté
Un enfant retentit du cri commun aux solitaires
Engagés douloureusement
Sur de longues artères d'ombre
Il prend soin de crier
Mais son œil est pareil à cette bouche de froid
[qu'on n'entend pas exploser
Pareil à cette bombe de larmes qu'on ne voit
[pas couler
Pluie espérée pluie en puissance
Grande pluie meurtrière
Des blés cassants comme des cruches
Sur mes colères
J'ignore toujours mon destin
Fillette aux seins de soie
Ai-je vieilli
Midi minuit
je m'endors je m'éveille
En caressant tout doucement
Une bonne loutre vertueuse
Qui résiste à tous les poisons.
Paul Éluard, La rose publique, dans Œuvres I, édition
établie et annotée par Marcelle Dumas et Lucien
Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968,
p. 434-435.
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26/05/2013
Paul Éluard, Cours naturel
Passionnément
I
J'ai vraiment voulu tout changer
Sur l'herbe du ciel dans la rue
Parmi les linges des maisons
Partout
Elle jouait comme on se noie
Puis elle restait immobile
Pour que je referme sur elle
Les lourdes portes de l'impossible.
II
Le rire après jouer ayant mis à la voile
La table fut un papillon qui s'échappa.
III
Elle déchira sa robe
Elle embrassa
Une toilette neuve et nue.
IV
Dans les caves de l'automne
Elle fut tour à tour
La fleur neigeuse de la foudre
Et le charbon.
V
Dans la ville la maison
Et dans la maison de terre
Et sur la terre une femme
Enfant miroir œil eau et feu.
VI
Sa jeunesse lui donnait
Le pouvoir de vivre seule
Je n'ai pas su limiter
Mon cœur à sa seule poitrine.
VII
Rien que ce doux petit visage
Rien que ce doux petit oiseau
Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent
À la sortie de l'hiver
Quand les nuages commencent à brûler
Comme toujours
Quand l'air frais se colore
Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.
Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.
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24/03/2013
Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir
Au cœur de mon amour
Un bel oiseau me montre la lumière
Elle est dans ses yeux, bien en vue,
Il chante sur une boule de gui
Au milieu du soleil
*
Les yeux des animaux chanteurs
Et leurs chants de colère ou d'ennui
M'on interdit de sortir de ce lit
J'y passerai ma vie
L'aube dans des pays sans grâce
Prend l'apparence de l'oubli.
Et qu'une femme émue s'endorme, à l'aube,
La tête la première, sa chute l'illumine.
Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s'obscurcit :
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le cœur ?
*
Je n'ai jamais rêvé d'une si belle nuit,
Les femmes du jardin cherchent à m'embrasser —
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l'ombre qui les soutient.
Une femme au cœur pâle
Met la nuit dans ses habits.
L'amour a découvert la nuit
Sur ses seins impalpables.
Comment prendre plaisir à tout ?
Plutôt tout effacer.
L'homme de tous les mouvements,
De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes
Dort. Il dort, il dot, il dort.
Il raie de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.
Il n'a ni froid ni chaud.
Son prisonnier s'est évadé — pour dormir.
Il n'est pas mort, il dort.
Quand il s'est endormi
Tout l'étonnait.
Il jouait avec ardeur,
il regardait,
Il entendait.
Sa dernière parole :
« Si c'était à recommencer, je te rencontrerais
sans te chercher. » ]
Il dort, il dort, il dort.
L'aube a beau lever la tête,
Il dort.
Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir [1924], dans Œuvres complètes I, textes établis et annotés par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 137-139.
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04/01/2013
Paul Éluard, Dignes de vivre
La dernière nuit
I
Ce petit monde meurtrier
Est orienté vers l'innocent
Lui ôte le pain de la bouche
Et donne sa maison au feu
Lui prend sa veste et ses souliers
Lui prend son temps et ses enfants
Ce petit monde meurtrier
Confond les morts et les vivants
Blanchit la boue gracie les traitres
Transforme la parole en bruit
Merci minuit douze fusils
Rendent la paix à l'innocent
Et c'est aux foules d'enterrer
Sa chair sanglante et son ciel noir
Et c'est aux foules de comprendre
La faiblesse des meurtriers.
II
Le prodige serait une légère poussée contre le mur
Ce serait de pouvoir secouer cette poussière
Ce serait d'être unis.
III
Ils avaient mis à vif ses mains courbé son dos
Ils avaient creusé un trou dans sa tête
Et pour mourir il avait dû souffrir
Toute sa vie
IV
Beauté créée pour les heureux
Beauté tu cours un grand danger
Ces mains croisées sur tes genoux
Sont les outils d'un assassin
Cette bouche chantant très haut
Sert de sébile au mendiant
Et cette coupe de lait pur
Devient le sein d'une putain.
[...]
Paul Éluard, Dignes de vivre, nouvelle édition
revue et augmentée illustrée par Fautrier,
éditions littéraires de Monaco, 1951, p. 45-49.
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16/12/2012
Paul Éluard, La vie immédiate
Maison déserte
abominables
Maisons
pauvres
Maisons
Comme des livres vides
*
Le temps d'un éclair
Elle n'est pas là.
La femme au tablier guette la pluie aux vitres
En spectacle tous les nuages jouent au plus fin
Une fillette de peu de poids
Passée au bleu
Joue sur un canapé crevé
Le silence a des remords.
J'ai suivi les murs d'une rue très longue
Des pierres des pavés des verdures
De la terre de la neige du sable
Des ombres du soleil de l'eau
Vie apparente
Sans oublier qu'elle était là
À promener un grand jardin
À becqueter un murier blanc
La neige de ses rires stérilisait la boue
Sa démarche était vierge.
Paul Éluard, La vie immédiate [1932], dans Œuvres complètes, I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 391 et 396-397.
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