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10/04/2024

Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole

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Est-ce que j’aime encore ?

Je bouge à peine dans les fils ténus

de ma propre mante,

rongée par les dents de l’oubli,

mensongère assurément — mais qui, encore,

pourrait m’en assigner, qui  m’offrirait davantage ?

On disparaît. On n’est plus femme,

juste ce fantôme aux cartes de crédit,

celle qui occupe, ne devrait pas,

un siège dans l’autobus.

Et cette image dedans

de la jeune femme qu’on est encore.

 

Monique Laederach, Cette absolue liberté de paroles,

dans La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 19.

08/04/2024

Denis Roche, Les idées centésimales de Miss Elanize

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« faute de paroles l’intruse est levée »

Je ne vous conseille pas d’y souscrire, à

La différence près d’un mot, « d’y croire »,

C’était elle, c’était son style... est la voix

De l’unique du simple du monde, le sien

Enfumé

Et le bête exclusif de toute sa vie

Comme si sur elle les yeux grands ouverts il

Tenait,... il s’était littéralement joué de

Toute son âme sur elle

 

Denis Roche, Les idées centésimales de Miss

Elanize, Seuil, 1964, p. 101.

06/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

jean daive, monoritmica, malheur, babel

je dois taire

ce que je n’ai pas

compris.

 

Même

devant toi

tendrement.

 

Ma vie

n’est plus

entre tes échantillons.

 

Merle bleu

parle en nous

du malheur

ancien.

 

Quand nous

en étions à

Babel.

  

Jean Daive, Monoritmica,

Flammarion, 2023, p. 249.

05/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

jean daive, monoritmica, le moi, respiration

Au jardin comme en ville

elle porte un tailleur gris

et un diamant au doigt

elle engloutit les débris

dans son sac

pour cacher les soupirs et

le souci perdu

elle tourmente la naissance

des plantes

car chaque feuille est

une respiration.

 

Jean Daive, Monoritmica,

Flammarion/Poésie,

2022, p. 245

04/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

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Advient toujours

la question enfantine

qui double le monde sans doute

 

des intensités

et des dessous

d’une affirmation contraire

 

 

j’étreins l’illusion

sans démasquer le mythe

 

détresse de la condition d’infini

 

elle se retire, elle se défait

dans une répétition

jusqu’à nos jours

 

Jean Daive, Monoritmica, Flammarion/

Poésie, 2022, p. 33.

03/04/2024

Anne Calas, Une pente si douce

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Une femme est une énonciation illimitée

 

le ton « Je sais » par exemple

une femme est une énonciation illimitée

est incompatible avec

« Qui suis-je ? »

 

il y a une gorge profonde

que je caresse aussi avec une planche à laver

 

si douce au toucher

que j’en atteins

l’enfance

     un son

générique si particulier comme

animal

 

Anne Calas, Une pente si douce,

Flammarion, 2024, p. 201.

 

 

01/04/2024

Anne Calas, Une pente très douce

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quelques maisons à colombages

renversées dans le cours

         d’une eau poissonneuse

         au trou dans le feuillage et

les balles de foin au loin

la plaine presque

         ici comme

une clarière inhabitée

un chemin dans l’épaisseur

des souvenirs

         un océan de feuillages

une crique de

soleil innocent

et joyeux

 

Anne Calas, Une pente très douce,

Flammarion, 2024, p. 60.

31/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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Le règne du dehors et avec lui, et grâce à lui, l’empire de ses images sur nous : le corps essaie d’en absorber les chocs, d’en recueillir les forces autant que de les détourner. Le plus souvent toutefois, à l’approche des images, le corps ne s’y retrouve pas et ne fait que les détruire, faisant un désastre de leur rencontre. L’image ne frayant plus comme voie d’accès à la rugueuse irruption des corps.

Par bonheur, il n’en est pas toujours ainsi, la chair sachant adoucir son moyen d’action en bricolant ses paysages, en modifiant l’aspect des choses en sorte qu’elles puissent éteindre les images, en adorer la fièvre, et même aboutir à l’exception du désir.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 133.

30/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.

29/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf

                                     Unknown.jpeg

La tradition veut que l’amour ne puisse exister préalablement à sa déclaration. Seuls les mots l’autorisent, seuls ils le déclenchent et seuls ils le consacrent Dans cette perspective, nous étendons les pouvoirs de la langue à tout ce qui la précède, nous divulguons ces pouvoirs  depuis les corps et  les images. Poésie est le nom de ces plongées dans la nuit continuée des commencements. Partie prenante de cette perspective est le paysage. L’amour, et plus encore ce pourquoi il naît, peuvent loger dans un « jeu de langage » gagné par les stridences et la rouerie des échanges.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 51.

28/03/2024

Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté

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POST-SCRIPTUM

Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier

Antonin Artaud,
 Le Théâtre de la cruauté, dans 

Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard, 1974, p. 118.

27/03/2024

Antonin Artaud, L'Anarchie sociale de l'art

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   Au cours de la première Révolution Française on a commis le crime de guillotiner André Chénier. Mais dans une époque de fusillades, de faim, de mort, de désespoir, de sang, au moment où se jouait rien de moins que l’équilibre du monde, André Chénier, égaré dans un rêve inutile et réactionnaire, a pu disparaître sans dommage ni pour la poésie ni pour son temps.

   Et les sentiments universels, éternels d’André Chénier, s’il les a éprouvés, étaient ni tellement universels ni tellement éternels qu’ils puissent justifier son existence à une époque où l’éternel s’effaçait derrière un particulier aux préoccupations innombrables. L’art, justement, doit s’emparer des préoccupations particulières et les hausser au niveau d’une émotion capable de dominer le temps.
   Or tous les artistes ne sont pas en mesure de parvenir à cette sorte d’identification magique de leurs propres sentiments avec les fureurs 
collectives de l’homme.


   Et toutes les époques ne sont pas en mesure d’apprécier l’importance sociale de l’artiste et cette fonction de sauvegarde qu’il 
exerce au profit du bien collectif.


Antonin Artaud, L’Anarchie sociale de l’art, dans Œuvres complètes, tome VIII, Gallimard, 1971 et 1980, p. 233.



26/03/2024

Michel Deguy, Ouï dire

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Quand le vent pille le village

         Tordant les cris

            L’oiseau

S’engouffre dans le soleil

 

            Tout est ruine

               Et la ruine

Un contour spirituel

 

Michel Deguy, Ouï dire,

Gallimard, 1966, p. 33.

25/03/2024

Michel Deguy, Biefs

 

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Un jour elle sera là elle apparaîtra

Elle n’était pas là elle était ailleurs Voici qu’elle

Viendra de là-bas ici elle entrera

J’aurai affaire à elle Elle sera là pour moi

C’est moi plutôt qui entrerai dans son champ d’absence

Qui ne cesse pas Je serai happé pris dedans Soudain

Elle sera ici la fascinante Elle apparaîtra de là-bas de

Cet horizon Visible

 

Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 51.