01/10/2014
Édith Boissonnas, Jean Dubuffet, La vie est libre
[à El Golea] Les nomades deviennent très riches quand il pleut au printemps dans le désert, ils possèdent des centaines et parfois des milliers de chameaux et des moutons à ne pouvoir les compter. Mais s'il ne pleut pas tout crève, on mange les chameaux et c'est la ruine. Or cette année il n'a pas plu. Il y a des puits artésiens dont le débit est gros comme un saladier on peut les louer (mille cinq cents francs la minute). Pour les mouches (dont il y a énormément) il y a la commissure des yeux, l'orifice du canal lacrymal, fraîche source où boire à qui aime la larme saumâtre, yeux d'homme ou de mouton ou de chameau. La bestiaire comporte encore, outre la mouche et le chameau, le chien (mais pas noir, les Arabes exècrent le chien noir), le bouc, la sauterelle, le termite, la hyène, le petit renard saharien, le chacal, le scorpion et la vipère à cornes. J'oubliais l'âne (il est si chargé qu'on le distingue mal). J'oubliais la gazelle (elle court si vite !).La configuration du pays est changeante à décourager toute mensurations et topographies et il n'est pas besoin de la foi gros comme un petit pois pour faire déplacer les montagnes. Elles courent dans le vent plus vite que les gazelles et campent ici ce soir et demain matin bien loin.
Lettre de Jean Dubuffet du 5 mars 1947, dans Édith Boissonnas, Jean Dubuffet, La vie est libre, correspondance et critique 1945-1980, Zoé, Genève, 2014, p. 57-58.
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