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09/09/2025

verlaine, Sagesse

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La tristesse, la langueur du corps humain

M’attendrissent, me fléchissent, m’apitoient,

Ah ! surtout quand des sommeils noirs le foudroient,

Uand des draps zèbrent la peau, foulent la main !

 

Et que mièvre sans la fièvre du demain,

Tiède encor du bain de sueur qui décroît,

Comme un oiseau qui grelotte sur un toit !

Et les pieds, toujours douloureux du chemin,

 

Et le sein, marqué d’un double coup de poing,

Et la bouche, une blessure rouge encor,

Et la chair frémissante, frêle décor,

 

Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point

La douleur de voir encore du fini…

Triste corps ! combien faible et combien puni !

 

Verlaine, Sagesse, illustrations Maurice Denis,

Gallimard, édition fac-similé, 2025, p. 86

07/09/2025

Paul Verlaine, Sagesse

 

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Je suis venu, calme orphelin,

Riche de mes seuls yeux tranquilles,

Vers les hommes grandes villes,

Ils ne m’ont pas trouvé malin.

 

À vingt ans un trouble nouveau

Sous le nom d’amoureuses flammes,

M’a fait trouver belles les femmes :

Elles ne m’ont pas trouvé beau.

 

Bien que sans patrie et sans roi

Et très brave ne l’étant guère,

J’ai voulu mourir à la guerre :

La mort n’a pas voulu de moi.

 

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?

Qu’est-ce que je fais en ce monde ?

O vous tous ma peine est profonde :

Priez pour le pauvre Gaspard !

 

Verlaine, Sagesse, illustrations Maurice Denis,

Gallimard, édition fac-similé, 2025, p. 80.

 

10/12/2023

Paul Verlaine, Jadis et Naguère

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                Langueur

 

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,

Qui regarde passer les grands Barbares blancs

En composant des acrostiches indolents

D’un style d’or où la langueur du soleil danse.

 

L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense.

Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.

Ô n’y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,

Ô n’y vouloir fleurir un peu cette existence !

 

Ô n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu !

Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?

Ah ! tout est bu, tout est mangé ! plus rien à dire !

 

Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,

Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,

Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

 

Paul Verlaine, Jadis et Naguère, dans Œuvres poétiques

complètes, Pléiade/Gallimard, 1962, p. 570-571.

08/12/2023

Paul Verlaine, Parallèlement

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                        Sappho

 

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sappho, que la langueur de son désir irrite,

Comme une louve court le longe des  grèves froides,

 

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,

Arrache ses cheveux immenses par poignées ;

 

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantés en vers que la mémoire

De l’âme va redire aux vierges endormies :

 

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —

Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,

La pâle Séléné qui venge les Amies.

 

Paul Verlaine, Parallèlement, dans Œuvres poétiques complètes,

Pléiade / Gallimard, 1962, p. 489.

17/10/2023

Paul Verlaine, Parallèlement

paul verlaine, parallèlement, la dernière fête galante, sodome, gomorrhe

        La dernière fête galante

 

Pour ne bonne fois séparons-nous,

Très chers messieurs et si belles mesdames.

Assez comme cela d’épithalames,

Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.

 

Nul remords, nul regret vrai, nul désastre !

C’est effrayant ce que nous nous sentons

D’affinités avecque les moutons

Enrubannés du pire poétastre.

 

Nous fûmes trop ridicules un peu

Avec nos airs de n’y toucher qu’à peine.

Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine ,

Il a raison ! Et c’est un jeune dieu

 

Séparons-nous, je vous le dis encore.

Ô que nos cœurs qui furent trop bêlants

Dès ce jourd’hui réclament trop hurlants,

L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !

 

Paul Verlaine, Parallèlement, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 446-447.

16/10/2023

Paul Verlaine, Jadis et naguère

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                          Paysage

 

Vers Saint-Denis c’est bête et sale la campagne,

C’est pourtant là qu’un jour j’emmenai ma compagne,

Nous étions de mauvaise humeur et querellions.

Un plat soleil d’été tartinait ses rayons

Sur la plaine séchée ainsi qu’une rôtie.

C’était pas trop après le Siège : une partie

Des « maisons de campagne » était à terre encor.

D’autres se relevaient comme on bisse un décor,

Et des obus tout neufs encastrés au pilastre

Portaient écrit : SOUVENIR DES DÉSASTRES.

 

Paul Verlaine, Jadis et naguère, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 299-300.

15/10/2023

Paul Verlaine, La bonne chanson

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Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux formes ont tout à l’heure passé.

 

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,

Et l’on entend à peine leurs paroles.

 

Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux spectres ont évoqué leur passé.

 

­— Te souvient-il de notre extase ancienne ?

— Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne.

 

— Ton cœur bat-il toujours à mon sel nom ?

Toujours vois-tu mon âme en rêve. — Non.

 

— Ah ! les beaux jours de bonheur indicible

Où nous joignions nos bouches ! — C’est possible.

 

— Qu’il était bleu, le ciel, et grand l’espoir !

— L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

 

Tels ils marchaient dans les avoines folles,

Et la nuit seule entendit leurs paroles.

 

Paul Verlaine, La bonne chanson, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 108.

14/10/2023

Paul Verlaine, L'espoir luit...

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L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.

Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?

Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.

Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?

 

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,

Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,

Et je dorloterai les rêves de ta sieste,

Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

 

Midi sonne. De grâce, écartez-vous, madame,

Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme

Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

 

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.

Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.

Ah, quand refleuriront les roses de septembre !

 

Paul Verlaine, Sagesse, dans Œuvres poétiques,

Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 203.