05/03/2024
Pierre Alferi, Divers chaos
on demande un poème
sur l’affaissement des chairs
l’assèchement des peaux
un poème qui se penche
sur les taches de la gale
un autre sur les signes
précurseurs de la gangrène
un poème coulant
épais comme le pus
un poème
lit médicalisé
qui sent l’urine
un poème qui touche
la crasse et creuse
la faim
qui engourdisse les doigts
un poème d’épandage
élémentaire
liquide empoisonné
gazeux irrespirable
terreux toxique
qui serre la gorge
quand il se consume
avant l’heure
Pierre Alferi, Divers Chaos,
P.O.L ; 2020, p.245-246.
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04/03/2024
Pierre Alferi, Divers chaos
un tissu de pas grand-chose
innombrables
je t’embrasse à pleine bouche
ça le chauffe
c’est ignoble
il rougeoie
sous mes paupières
mon désir
ton sauveur !
combien de fois
t’a-t-il évité le pire
univers ?
Pierre Alferi, Divers chaos,
P.O.L, 2020, p. 63.
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03/03/2024
Pierre Alferi, Divers chaos
chaque voiture
sur la chaussée
trempée réveille
et son crépi-
tement de sable
le souvenir
net d’une vague
sur la grève
Pierre Alferi, divers chaos,
P.O.L, 2020, pp. 218.
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18/09/2022
Paul Klee, Paroles sans raison : recension
Dans sa jeunesse, Paul Klee (1879-1940) jouait sans cesse Bach au violon et se demandait s’il ne devait pas consacrer sa vie à la musique ; il écrivait aussi des poèmes de contenus variés, dont des quatrains érotiques. On suit dans son Journal* son désir de s’engager dans diverses voies et il s’établissait un programme au printemps 1901 (p. 50) :
au premier chef, l’art de la vie, puis, en tant que profession idéale : l’art poétique et la philosophie ; en tant que profession réaliste : l’art plastique et, à défaut d’une rente : l’art du dessin (illustration).
Comme le rappelle Pierre Alferi, c’est au cours de son voyage en Tunisie (avec August Macke et Louis Moilliet) qu’il a décidé d’être peintre ; il écrivait le 16 avril 1914 après un voyage à Kairouan, « La couleur me possède. (...) Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. » (p. 282)
C’est avec le regard du peintre qu’il écrit « Voir c’est le savoir », mais la lecture des récits de rêve découvre un Paul Klee proche de Desnos ou de Leiris. Certaines images de son monde onirique, bien éloignées de la vie diurne (un banc de roses, un sorcier), empruntent cependant en partie à la réalité : la fille du sorcier qu’il regarde ferme les rideaux, mais l’observe par une fente ; ces images d’une relation à peine esquissée sont commentées dans la seconde partie du poème par Klee, pour qui on rêve à partir de « ce qui nous a un instant désarmés ». Dans un autre rêve de la même année (1906), s’effectue un mouvement du corps désorganisé vers une origine où se trouverait « Madame l’Archicellule », symbolisant la fertilité ; en même temps, son activité de peintre est évoquée et heureusement reconnue, avec la mention d’une « délégation (...) / pour rendre grâce à son travail ». Rêve encore, cette fois de l’absence de tout espace, de tout corps (« ma nudité volée »), de tout signe qui évoquerait une existence (« effacée, l’épitaphe ») — vision frappante de la disparition, du néant.
La mort, la violence sont présentes autrement, exprimées de manière lapidaire : « Animal humain / heure de sang ». Dans les poèmes retenus apparaît aussi le motif de la claustrophobie, avec l’enfermement dans un lieu clos (« grand danger / pas d’issue ») et, pour en sortir, le plongeon par une fenêtre, mais l’image de la liberté retrouvée (« Libre je vole ») est mise en défaut : la chute sans fin figurée par la répétition : « Mais la pluie fine, / la pluie fine, / la pluie / tombe, / tombe... / tombe... ». Enfermement encore avec le retour de l’enfouissement, lié au monde des morts ou au passage du temps avec l’image classique du « ver qui ronge ». La préoccupation de l’au-delà est aussi mise en scène ironiquement dans une fable où un loup dévore un homme et tire une conclusion de son acte : l’homme peut être le dieu des chiens si le loup peut le manger, et la question demeure, « Où donc est leur [=des hommes] Dieu ? ».
La diversité des poèmes permet de lire d’autres aspects de l’écriture de Paul Klee qu’Alferi rattache notamment à Christian Morgenstern (1871-1914) pour la bouffonnerie, par exemple dans "Parole sans raison" avec des propositions comme « 1. Une bonne pêche est un grand réconfort », « 7. Douze poissons, / douze meurtres ». Ce qui apparaît souvent, ce sont les jeux avec les mots : adjectif qui change de sens selon sa position (« des gens petits / pas de petites gens »), verbe accompagné ou non de la négation : « lui qui sait qu’il ne sait pas / à l’égard de ceux qui ne savent pas / qu’ils ne savent pas / et de ceux qui savent qu’ils savent ». Un poème de quatre courtes strophes est construit avec cinq mots, deux adjectifs de sens opposés, "grand" et "petit", accompagnés de "calme", "forme" et "mobile, mobilité" qui s’achève par le retour du peintre, « calme petite forme s’appelle "peinture" ». Des vers à propos des états de la lune selon le lieu rappellent Max Jacob avec des vers comme : « que le cactus ne la crève pas ! ». Paul Klee avait aussi l’art de la pirouette, un portrait de chat qui saisit ses qualités sensorielles bien différentes des nôtres — « l’oreille cuiller à sons / la patte prête au bond [etc.] » — s’achève par un trait qui le sépare des humains : il « n’a, au fond, rien à faire de nous »
À la suite des poèmes, après une photographie de Paul Klee, sont excellemment reproduits onze tableaux et dessins, tous légendés, le plus ancien de 1915, le plus récent de 1940. Pierre Alferi retrace à grands traits dans sa postface le parcours de Paul Klee, qui continue d’écrire jusqu’à sa mort, en prose et en vers. Traducteur également de John Donne et d’Ezra Pound, il restitue le caractère singulier de l’écriture du peintre ; il propose un choix de traductions en suivant l’ordre chronologique, retenant des textes écrits de 1901 à 1939. L’ensemble des poèmes de Paul Klee est aujourd’hui traduit dans plusieurs langues, pas en français... : espérons que ce premier ensemble de 21 poèmes, publié par les éditions Hourra installées en Corrèze, décidera un autre éditeur d’entreprendre la publication de la totalité.
Paul Klee, Paroles sans raison, Choix, traduction et postface Pierre Alferi, reproduction de onze tableaux, éditions Hourra, 2022, 48 p., 15 €. Cette recension a té publiée par Sitaudis le 22 août 2022.
* Paul Klee, Journal, traduction Pierre Klossowski, Grasset, 1959 ; le Journal est maintenant disponible en poche dans la collection "Les Cahiers rouges" chez le même éditeur.
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23/07/2022
Paul Klee, Paroles sans raison
Parole sans raison
Une bonne pêche est un grand réconfort.
2.
La bassesse essaie, cette année encore, de me gagner.
-
-
-
-
-
- Je dois être sauvé .
-
-
-
-
Par la réussite ?
4.
L’inspiration a-t-elle des yeux,
ou est-elle somnambule ?
5.
Mes mainss se plient parfois.
Mais juste au-dessus mon ventre digère,
mon rein filtre la claire urine.
6.
Aimer la musique par-dessus tout
veut dire être malheureux.
Paul Klee, Paroles sans raison, choix et
traduction Pierre Alferi, éditions Hourra,
2°22, np.
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16/04/2020
Pierre Alferi, chaos : recension
divers chaos réunit des poèmes écrits ou publiés au cours des années 2000 (un seul ensemble date de 1993), sous une autre forme ou dans un autre contexte pour des poèmes isolés — par exemple, un hommage à Jude Stéfan édité isolément (ink, 2011) est intégré dans la sirène de satan. Le titre — chaoss’emploie rarement au pluriel(1) — insiste aussi bien sur la diversité des ensembles que sur la mise en question de normes formelles admises et, par ailleurs, sur l’état de la société, image du désordre.
Le premier chaos, c’est celui que retiennent les poèmes d’ouverture ; et la rue(2018) présente une vue de la ville — Paris — aujourd’hui et questionne la difficulté à restituer la réalité : comment le mot "violence" peut-il suffire à dire ce que sont les opérations de police ? La violence de l’État prend des formes diverses, visibles, abandonnant les plus pauvres, les migrants dans la rue ; aussi
la honte nous survivra
nos descendants diront
enjambaient des corps
longeaient des familles à terre
pour faire leurs courses
Alferi brise la syntaxe, ici et dans d’autres poèmes, pour que la violence dans la réalité quotidienne soit inscrite dans la langue. Le désordre s’impose à d’autres niveaux, les changements affectent la manière d’habiter la ville et rejettent à l’extérieur une partie de la population (« on va / vivre plus loin »). En même temps c’est « la laideur sans frontières », l’importance des "jeux du cirque" avec des « projecteurs / plus haut que les flèches / de leur dame », la transformation de la nourriture (« les churros les burgers »), la surveillance permanente (« souriez / vous êtes filmés »), les pratiques à la mode et leur vocabulaire (« phyto chéro déco bio »), l’omni-présence des médias (« les nouvelles nouvelles »). La « métaphore du vide » est prolongée par l’existence des parcs dits de loisir, celui de Disney et « son univers impitoyable- / ment fluide ». Monde du leurre et de la suffisance dans lequel les assis « mangent des huîtres sous faux modigliani ».
Rien d’heureux dans ce tableau, encore assombri dans rue des deux-gares. Le premier poème donne le nom de quelques médicaments antidépresseurs et, progressivement, s’impose l’image d’un monde sans assise ; on voit « une vieille qui pisse / un allemand fou aux urgences / qui hurle je suce je suce ». Dans la sirène de satan (2019) c’est encore un monde de semblant qui est présenté, où « chacun trouve un équilibre / sans se soucier des autres » : « vivre sépare ». La violence n’a rien de symbolique — on peut compter « le nombre d’éborgnés chez les manifestants » — et il faut (et l’on peut) écrire à propos de la réalité de la société, « un poème qui touche / la crasse ». Poésie non pas "engagée", mais contre le chaos pour que chacun « lève / les yeux vers le / dégagement / qui rend la ville / propre à de nouveaux / usages d’utopie ». L’écriture permet de construire un cadre pour saisir quelque chose de la réalité, dire le chaos pour imaginer ce qui pourrait être autre.
En se souvenant cependant que le sens, des mots comme des choses, échappe souvent, comme tel graffiti sur un mur : une injonction peut être claire (« rappelle-toi beryllos »), mais ni le destinateur, ni le destinataire, ni le contenu de ce qui est à se remémorer. Cette question du sens est une de celles abordées dans un livre de Jacques Derrida (La Carte postale, 1980), cité par Alferi (« chez nous tous les messages / dépassent leur cible / je n’oublie pas la carte / postale de mon père »). On peut orienter le sens de la lecture d’un énoncé grâce notamment à l’emploi de paronomases (« l’arrêt alité », « des gafa gaffe à », « l’intime mité », etc.), ou par le rejet (« la rentrée des classes / sociales »). On s’arrêtera aussi à la manière dont est travaillée une forme traditionnelle, le sonnet.
Écrire l’histoire du sonnet, ce serait sans doute retracer les transformations du modèle pétrarquiste et du modèle français jusqu’aux sonnets en prose de Roubaud. Pierre Alferi, lui, abandonne la langue et propose un sonnet en 14 dessins, sonnet que l’on peut reconnaître de forme shakespearienne : (ABBA) x 2 CDCDEE — cette forme est aussi celle de quelques pièces (dont la première) des Holy sonnets de John Donne (2). Des personnages en noir au premier plan dans la première image sont en grisé dans l’image, vue comme dans un miroir, qui "rime" avec elle, et ceux au départ en grisé viennent alors au premier plan ; ils sont en mouvement dans les "quatrains", plutôt immobiles dans les "tercets". Une simple description du dispositif montre donc que les règles sont respectées si l’on accepte l’équivalence une image = un vers. Cependant, on est loin du projet des poètes du XVIe siècle pour qui le sonnet visait à illustrer les ressources de la langue ; ici, le lecteur peut commenter l’attitude des personnages (coureur, lutteurs de sumo, femme aux seins nus sur un piédestal, équilibriste, etc.) sans qu’il soit possible d’introduire une continuité propre au genre : c’est le contenu même du mot "sonnet" qui vacille.
D’autres ensembles mêlent texte et dessin. Algologie est écrit à partir de dessins d’algues empruntés au livre d’une botaniste ; sous le titre beryllos des lettres en désordre de l’alphabet grec annoncent le graffiti au centre du poème. La première page de gauche de propre à rien (où "propre" est aussi à entendre pour « bien lavé ») évoque dans une chambre les odeurs du corps (cou, seins, sexe), évocation qui s’ouvre par une homophonie, « chair amie », et se ferme par une paronomase, propriété-propreté, en accord avec la relation suggérée ; la chambre est dessinée page de droite, réduite à un lit et à un téléviseur. La plupart des poèmes suivants sont liés aux odeurs avec une répartition texte-dessin analogue ; la dernière image présente un homme fort concentré pour lâcher des vents, image du refus de la bienséance, « — tout plutôt que / l’arrogance du neutre / du littéral déodorant / réputé libre ».
Le dessin n’est pas une simple illustration de ce que les mots suggèrent, et d’ailleurs les mots ne suggèrent parfois que des stéréotypes — une des formes du chaos ? C’est le cas, sous le titre "serial", dans des poèmes en français avec leur traduction en anglais (ou l’inverse), qui énumèrent des situations souvent propres aux films de série B ; ainsi ce résumé de scénario qui ouvre l’ensemble, « une pièce brisée / une boîte noire / une balle de cuivre / sept perles / qu’est-il arrivé à marie ? / avec qui se marie marie ? ». On notera que dans le second scénario, également concis, sont accumulés des mots suggérant l’absence, le manque : perdu, caché, fantôme, sans clé, j’aimais, attachée, bâillonnée.
Il est un autre regard vers l’anglais avec le souvenir des poètes américain John Asbery et anglais Tom Raworth, annoncé dans le premier vers d’un poème par « j’ai deux amours ». Cette allusion transparente à une chanson de Joséphine Baker est peut-être à intégrer dans la pratique d’Alferi qui introduit dans les poèmes, parfois très brefs, quantité d’homophonies, paronomases, allitérations, assonances et allusions, de « cèdre crayon craquant copeau » à patchouli-pâte jolie et au « j’y suis » de Rimbaud. Alferi essaie des formes en prenant son bien partout, y compris avec une forme proche du haïku (dans été passé) ou une mise en page de poèmes chinois. Ce qui reste constant, c’est le choix du vers bref, le plus souvent de 4, 5 et 6 syllabes, vers qui exclut le récit — d’ailleurs un poème s’achève par « l’histoire manque ». L’unité de ces chaos n’est pas que formelle, ce qui domine à la lecture, c’est le rejet du convenu.
- Un exemple dans La Légende des siècles("Le Satyre"), « Au-dessus de l’Olympe éclatant, (...) Plus loin que les chaos, prodigieux décombres ».
2. Pierre Alferi a traduit John Donne (Paradoxe et problèmes, Allia, 2011).
Pierre Alferi, Divers chaos, P. O. L, 2020, 270 p., 18 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 9 mars 2020.
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09/03/2020
Pierre Alferi, divers chaos
avec vous contre qui
la perte de qui
l’appauvrissement
la soumission de qui
la loi travaille
l’état valet
ne fait pas de quartier
d’été l’état
va — lèche-cul
dans de la soie — danser
la valse des pantins
des représentants
de votre abandon
jusqu’à la sortie
la rentrée des classes
sociales voulez-vous
vous les
laisser faire ?
serons-nous beaucoup
trop peu avec
les plus nombreux ?
Pierre Alferi, divers chaos, P. O. L,
2020, p. 233.
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25/02/2020
Pierre Alferi, divers chaos
et la rue
la pluie glacée
poursuit chacun dans son impasse
le berge étroite
du flux de tôle
autour des foyers électriques
les grappes de nous
venus nous réchauffer les fesses
ou nous brûler les yeux
sommes
d’animaux rationnels
non-entiers fractions
irréductibles
au dénominateur commun
proche de zéro
Pierre Alferi, divers chaos, P.O.L , 2020, p. 9.
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04/02/2015
Pierre Alferi, Sentimentale journée
UN NU
La chose
La toucher
Bousculer
La forme
Pour s'assurer qu'existe
La chose là
Chose — capitale —
Vue tous les jours
Toujours dans un délire
Conscience du temps réduite
À la pointe de flèche
Espace réduit
À l'angle
Cul d'un sac très froncé
La toucher
Prudemment peur
D'aviver sa
Nudité douloureuse de la
Froisser de la
Défroisser mais tellement
Excitable mollusque
Aveugle quand
Se rétracte s'étale
Qu'on veut aussi bousculer
La forme
Extraordinairement profuse
Petite
D'une crête
Qui s'efface passe
Dans une autre et lui passe
L'énergie de pliure
Par ondes
Rouges holà oh
Mon Dieu embrasser
Le visage sans yeux l'œil
Sans visage ?
Pierre Alferi, Sentimentale journée, P. O. L.,
1997, p. 45-46.
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16/09/2014
Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduction Pierre Alferi
On a toujours trouvé la poésie plus littéraire que la musique, mais la prétendue musique pure, en tant que communication, peut être littéraire. Les voix d’une fugue, disait Bach, doivent se comporter comme des hommes raisonnables dans une conversation sérieuse. Pourtant, la musique ne dépend pas principalement, comme la poésie, d’une voix humaine qui sache la rendre. Et l’imagination peut dépouiller la parole de tout élément graphique pour qu’elle devienne un pur mouvement sonore. C’est en vertu de cet horizon musical de la poésie (jamais atteint, sans doute, par les poèmes) que n’importe qui peut écouter la poésie d’Homère sans connaître le grec et en tirer quelque chose ; se mettre « sur la même longueur d’onde » que la tradition humaine, que sa voix mûrie parmi les sons de la nature, et ainsi échapper à l’emprise d’une époque et d’un lieu comme on n’a guère de chance d’y échapper en étudiant la grammaire homérique. En ce sens, la poésie est internationale.
Si quelque chose a un sens, la poésie a le sens de tout. Ce qui veut dire : sans elle, la vie n’aurait guère de présent. Écrire des poèmes ne suffit pas s’ils ne gardent pas la vie enfuie. Écrire des poèmes semble toujours insuffisant quand ils parlent d’une vie enfuie. Le poète peut cesser visiblement d’écrire, mais il se mesure secrètement à chaque mot de poésie jamais écrit. S’il est d’une profondeur constante, il pense, en outre, à ceux qui ont vécu, vivent et vivront pour dire les choses qu’il ne peut dire. Qui fait cela travaille sans cesse et ne craint pas de paraître oisif. L’effort de poésie se reconnaît, tranchant sur la plupart des textes au goût du jour, malgré l’habit et les retards des poètes. La poésie n’a pas tel visage aujourd’hui pour faire mauvaise figure demain. On trahit une pensée bien courte en disant que la poésie s’oppose — parce qu’elle ajoute — à la science. La poésie s’explique sur-le-champ, sauf aux paresseux et aux insensibles.
Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alféri, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 47-48 et 26-27.
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18/05/2012
Pierre Alferi, Sentimentale journée
UN NU
La chose
La toucher
Bousculer
La forme
Pour s'assurer qu'existe
La chose là
Chose — capitale —
Vue tous les jours
Toujours dans un délire
Conscience du temps réduite
À la pointe de flèche
Espace réduit
À l'angle
Cul d'un sac très froncé
La toucher
Prudemment peur
D'aviver sa
Nudité douloureuse de la
Froisser de la
Défroisser mais tellement
Excitable mollusque
Aveugle quand
Se rétracte s'étale
Qu'on veut aussi bousculer
La forme
Extraordinairement profuse
Petite
D'une crête
Qui s'efface passe
Dans une autre et lui passe
L'énergie de pliure
Par ondes
Rouges holà oh
Mon Dieu embrasser
Le visage sans yeux l'œil
Sans visage ?
Pierre Alferi, Sentimentale journée, P. O. L., 1997, p. 45-46.
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27/10/2011
Pierre Alferi, ET JUDE ?
ET JUDE ?
ET JUDE où est-il ? dans son trou
normand ? mais non ce mur
de verdure est sa couverture
Jude est en l’air pas loin
au ciel ? mais non pas chez le père
alors il reste dans sa tour
d’ivoire ? mais non
Jude n’est pas obscur ni haut
Jude est chépèr il chine
la quincaillerie
du tapin catholique
à la recherche de la perle
à dissoudre dans le vinaigre
du temps menton volé
de gris démarche
chansautilante voix
raclée reprise fluettranchante
regard papillon qui se pose
à peine larme slave à l’œil
lorgnant le guignon
du siècle dernier il nous reste
tant de cartouches pleines
il lâche eh Jude ne nous lâche pas
le guidon il manque verser
dans le fossé de sa campagne grasse
une luxuriance de serre
chaude frayée à la machette
moderne et il en sort content
du sort il a aimé la scène
qu’il a lue dans un nuage noir
morbide fut macabre
serai dit-il bandant
son arc métrique
d’Actéon forcé
de serf pris en flag
avec la tsarine ou la vierge
aux moches seins
lyrique formaliste ironique
Jude est jalousé par les gros
barons de l’avant-scène
car il est là il reste
dans le siècle n’importe
lequel mais à l’arrière
notre champion notre victor
mature dont Marlene disait
si on le cherche il est derrière
dans la roulotte avec les filles
Pierre Alferi, ET JUDE ?, Lnk, 17, 2011, np.
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12/10/2011
Louis Zukofsky, Un objectif & deux autres essais, traduction Pierre Alféri
On a toujours trouvé la poésie plus littéraire que la musique, mais la prétendue musique pure, en tant que communication, peut être littéraire. Les voix d’une fugue, disait Bach, doivent se comporter comme des hommes raisonnables dans une conversation sérieuse. Pourtant, la musique ne dépend pas principalement, comme la poésie, d’une voix humaine qui sache la rendre. Et l’imagination peut dépouiller la parole de tout élément graphique pour qu’elle devienne un pur mouvement sonore. C’est en vertu de cet horizon musical de la poésie (jamais atteint, sans doute, par les poèmes) que n’importe qui peut écouter la poésie d’Homère sans connaître le grec et en tirer quelque chose ; se mettre « sur la même longueur d’onde » que la tradition humaine, que sa voix mûrie parmi les sons de la nature, et ainsi échapper à l’emprise d’une époque et d’un lieu comme on n’a guère de chance d’y échapper en étudiant la grammaire homérique. En ce sens, la poésie est internationale.
Si quelque chose a un sens, la poésie a le sens de tout. Ce qui veut dire : sans elle, la vie n’aurait guère de présent. Écrire des poèmes ne suffit pas s’ils ne gardent pas la vie enfuie. Écrire des poèmes semble toujours insuffisant quand ils parlent d’une vie enfuie. Le poète peut cesser visiblement d’écrire, mais il se mesure secrètement à chaque mot de poésie jamais écrit. S’il est d’une profondeur constante, il pense, en outre, à ceux qui ont vécu, vivent et vivront pour dire les choses qu’il ne peut dire. Qui fait cela travaille sans cesse et ne craint pas de paraître oisif. L’effort de poésie se reconnaît, tranchant sur la plupart des textes au goût du jour, malgré l’habit et les retards des poètes. La poésie n’a pas tel visage aujourd’hui pour faire mauvaise figure demain. On trahit une pensée bien courte en disant que la poésie s’oppose — parce qu’elle ajoute — à la science. La poésie s’explique sur-le-champ, sauf aux paresseux et aux insensibles.
Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alféri, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 47-48 et 26-27.
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23/05/2011
Louis Zukofsky, Un objectif & deux autres essais
Un poème. Cet objet en formation — Le poème comme travail — Un classique.
Les vagues mouillées d’Homère, non pas nos vagues mouillées, mais, dans ces deux mots, assez d’associations pour rendre un contexte capable de s’étendre depuis son lieu jusqu’au présent. Parce qu’il y a, même si les significations changent, une étiquette linguistique, une archive qui peut rester claire pour nous comme image d’un contexte passé — le contexte tel qu’à l’origine il signifia — ou bien, si l’on ne peut y croire, un équilibre atteint — ou du moins le passé que nous ne pouvons même deviner, mais qui atteint un équilibre de sens déterminé par les significations nouvelles surgissant dans le mot à mot.
Un poème : un contexte associé à une forme « musicale », musicale entre guillemets puisqu’il ne s’agit pas de notes, mais de mots plus variables que les variables et employés à l’extérieur comme à l’intérieur du contexte pour une référence communicative.
Impossible de communiquer autre chose que des singularités — historiques et contemporaines — des choses, des êtres humains comme choses, leur appareillage de capillaires et de veines entrelaçant les événements, les circonstances, et s’entrelaçant avec eux. Le mot révolutionnaire, s’il doit accomplir sa révolution, ne peut se libérer d’une référence. Il n’est pas infini. Mais infini est un terme.
L’ordre, pour toute poésie, consiste à s’approcher d’un état de musique où les idées s’offrent aux sens et à l’intelligence, dénuées de toute intention prédatrice. Un dur travail, comme le savent les poètes, qui s’évertuent à réconcilier les principes contrastés des faits. Dans la poésie, le poète ne cesse de rencontrer les faits, qui semblent faire obstacle à la musique en cours de route, bien que ni musique ni mouvement ne puissent exister sans eux, sans les faits qui leur sont propres. Matière première, pour parler vite, qui attend le sceau de la forme. Les poèmes ne sont que des actes exercés sur les singularités. Et par cette seule activité ils deviennent eux-mêmes des singularités — c’est-à-dire des poèmes.
Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alferi, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 18-19 et p. 23.
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