11/12/2016
Pierre Bergounioux, Métamorphoses
[…] Combien de fois, tombant inopinément, des années plus tard, sur des hommes bâtis en athlètes, des femmes faites qui se donnent pour avoir été de mes élèves, n’ai-je pas éprouvé une tristesse insidieuse, un sentiment de perte irréparable. Le garçonnet brillant, la fillette vive, résolue, étincelante à qui tout semblait permis, disparus, le feu éteint, la promesse oubliée. Comme si nous procédions, nous aussi, par métamorphoses complètes, séparés de ce qui palpitait, tremblait d’être, insoucieux d’y revenir en pensée. Comme si l’esprit, à l’instar du corps, son compère, avait dépouillé l’éclat natif, la puissance originelle qui l’animaient.
Il y a l’inverse, aussi, la même tristesse, si l’on veut, mais résultant de la constatation opposée. On croise des femmes, des hommes qu’on n’a pas connus avant et dont il se vérifie, très vite, que ce sont des enfants. Comme ces derniers, ils l’ignorent, et ce qu’il faut bien envisager un jour, dût-il en cuire et d’autant plus, sans doute, qu’il en cuit. Ils laissent le monde extérieur empiéter sur eux-mêmes, persévèrent dans l’inachèvement, le confus, l’odieux qui qualifient aussi l’enfance. Et pour le coup, c’est aux insectes à métamorphoses incomplètes, qui croissent en volume sans changer de forme, que je songe.
Pierre Bergounioux, Métamorphoses, dans Penser/Rêver, « L’enfant dans l’homme », printemps 2002, p. 24-25.
© Photo Chantal Tanet
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18/04/2013
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik
Adulte
Adulte, on fait des affaires.
Des roubles en poche.
De l'amour ,
En voilà !
Pour cent petits roubles.
Et moi, sans domicile,
les mains
dans les poches
déchirées,
je m'en allais, les yeux ouverts.
La nuit
vous mettez vos meilleurs habits,
vous cherchez le repos sur l'épouse ou la veuve.
Et moi, Moscou m'étouffait dans ses bras,
de l'anneau des boulevards sans fin.
Dans vos cœurs,
dans vos montres,
vont et viennent les amantes.
Quels transports, partenaires de la couche d'amour !
Moi, qui suis la Place de la Passion1,
je surprends
le sauvage battement du cœur des capitales.
Déboutonné,
le cœur presque dehors,
je m'ouvrais au soleil et à la flaque d'eau.
Entrez avec vos passions !
Grimpez avec vos amours !
Dès maintenant, j'ai perdu le contrôle de mon cœur.
Je connais chez autrui le domicile du cœur.
Il est dans la poitrine — c'est connu de chacun.
Avec moi,
l'anatomie a perdu la tête.
Je suis tout cœur —
Cela bat de partout.
Ô, combien furent-ils,
seulement les printemps,
en vingt ans engloutis dans sa fournaise !
Accumulé, leur poids n'est pas supportable.
Pas supportable,
non pour le vers,
mais à la lettre.
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik (1917-1930),
traduites du russe par Andrée Robel, présentées par Claude Frioux, Gallimard, 1969, p. 93-94.
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03/03/2012
Maïakovski, "Adulte", dans Lettres à Lily Brik
Adulte
Adulte, on fait de affaires.
Des roubles en poche.
De l'amour ? En voila !
Pour cent petits roubles.
Et moi,
sans domicile,
les mains
dans les poches
déchirées,
je m'en allais, les yeux ouverts.
La nuit
vous mettez vos meilleurs habits,
vous cherchez le repos sur l'épouse ou la veuve.
Et moi,
Moscou m'étouffait dans ses bras,
de l'anneau des boulevards sans fin.
Dans vos cœurs,
dans vos monstres,
vont et viennent les amantes.
Quels transports, partenaires de la couche d'amour !
Moi, qui suis la place de la Passion,
je surprends
le sauvage battement de cœur des capitales.
Déboutonné,
le cœur presque dehors,
je m'ouvrais au soleil et à la fleur d'automobile...
Déboutonné,
le cœur presque dehors,
je m'ouvrais au soleil et à la flaque d'eau.
Entrez avec vos passions !
Grimpez avec vos amours !
Dès maintenant, j'ai perdu le contrôle de mon cœur.
Je connais chez autrui le domicile du cœur.
Il est dans la poitrine — c'est connu de chacun.
Avec moi,
l'anatomie a perdu la tête.
Je suis tout cœur —
Cela bat de partout.
Ô, combien fussent-ils,
seulement les printemps,
en vingt ans engloutis dans sa fournaise !
Accumulé, leur poids n'est pas supportable.
Pas supportable,
non pour le rire,
mais à la lettre.
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lily Brik (1917-1930),
traduites du russe par Andrée Robel et présentées par
Claude Frioux, Gallimard, 1969, p. 95-96.
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