18/04/2013
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik
Adulte
Adulte, on fait des affaires.
Des roubles en poche.
De l'amour ,
En voilà !
Pour cent petits roubles.
Et moi, sans domicile,
les mains
dans les poches
déchirées,
je m'en allais, les yeux ouverts.
La nuit
vous mettez vos meilleurs habits,
vous cherchez le repos sur l'épouse ou la veuve.
Et moi, Moscou m'étouffait dans ses bras,
de l'anneau des boulevards sans fin.
Dans vos cœurs,
dans vos montres,
vont et viennent les amantes.
Quels transports, partenaires de la couche d'amour !
Moi, qui suis la Place de la Passion1,
je surprends
le sauvage battement du cœur des capitales.
Déboutonné,
le cœur presque dehors,
je m'ouvrais au soleil et à la flaque d'eau.
Entrez avec vos passions !
Grimpez avec vos amours !
Dès maintenant, j'ai perdu le contrôle de mon cœur.
Je connais chez autrui le domicile du cœur.
Il est dans la poitrine — c'est connu de chacun.
Avec moi,
l'anatomie a perdu la tête.
Je suis tout cœur —
Cela bat de partout.
Ô, combien furent-ils,
seulement les printemps,
en vingt ans engloutis dans sa fournaise !
Accumulé, leur poids n'est pas supportable.
Pas supportable,
non pour le vers,
mais à la lettre.
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik (1917-1930),
traduites du russe par Andrée Robel, présentées par Claude Frioux, Gallimard, 1969, p. 93-94.
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