10/11/2024
Philippe Jaccottet, Airs
Qu’est-ce que le regard ?
Un dard plus aigu que la langue
la course d’un excès à l’autre
du plus profond au plus lointain
du plus sombre au plus pur
un rapace
Philippe Jaccottet, Airs, dans
Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.
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09/11/2024
Philippe Jaccottet, Leçons
Toi cependant,
ou tout à fait effacé
et nous laissant moins de cendres
que feu d’un soir au foyer,
ou invisible habitant l’invisible,
ou graine dans la loge de nos cœurs,
quoi qu’il en soit,
demeure en modèle de patience et de sourire,
tel le soleil dans notre dos encore
qui éclaire la table, et la page, et les raisins ?
Philippe Jaccottet, Leçons, dans Œuvres,
Gallimard, Pléiade, 2014, p. 460.
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08/11/2024
Philippe Jaccottet, Airs
Qu’est-ce que le regard ?
Un dard plus aigu que la langue
la course d’un excès à l’autre
du plus profond au plus lointain
du plus sombre au plus pur
un rapace
Philippe Jaccottet, Airs, dans
Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.
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07/11/2024
Philippe Jaccotet, L'Ignorant
Chanson
Qui n’a vu monter ce rire
comme du fond du jardin
la lune encore peu sûre ?
Qui n’a vu s’ouvrir la porte
au bout de l’allée de pluie ?
(Ah ! qui entre dans cette ombre
ne l’oublie pas de sitôt !)
Les bras merveilleux de l’herbe
et ses ruisselants cheveux,
la flamme, du bois mouillé
tirant rougeur et soupirs…
(Qui s’enfonce dans cette ombre
ne l’oubliera de sa vie)
Qui ‘a vu monter ce rire…
Mais toujours vers nous tourné,
on ne peut qu’appréhender
sa face d’ombre et de larmes.
Philippe Jaccottet, L’Ignorant, dans
Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 147.
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06/11/2024
Philippe Jaccottet, Observations, I
L’amour lui-même ne doit-il pas être absolument sans but ? Ainsi une sorte de bonheur semblerait possible même dans les plus dures conditions.
La lumière du monde n’est pas moins pure qu’au temps des Grecs ; mais moins proche, et nos paroles moins limpides. Il es inquiétant de songer à cette évolution.
La vanité est tressée dans la littérature. Elle détruit. Bonheur de la naïveté.
Pas de hâte. On est toujours trop pressé. La source est bien gardée : que de contes nous l’ont dit ! Ce n’est pas encore aujourd’hui que tu dissiperas l’obscurité qui t’entoure, que tu deviendras le compagnon des oiseaux.
Philippe Jaccottet, Observations I, Gallimard, Pléiade, 2014, p.44, 46, 56, 62.
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05/11/2024
Philippe Jaccottet, L'Effraie et autres poésies
Les eaux et les forêts
I
La clarté de ces bois en mars est irréelle,
tout est encore si frais qu’à peine insiste-t-elle.
Les oiseaux ne sont pas nombreux ; tout juste si,
très loin, où l'aubépine éclaire les taillis,
le coucou chante. On voit scintiller des fumées
qui emportent ce qu’on brûla d’une journée,
la feuille morte sert les vivantes couronnes
et, suivant la leçon des plus mauvais chemins
sous les ronces, on rejoint le nid de l’anémone,
claire et commune comme l’étoile du matin.
Philippe Jaccottet, L’Effraie et autres poésies, dans
Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 20.
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22/05/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Tous les blés flambent
et la brève alouette est un fragment ascendant de ce feu.
Elle ne gravit tous les paliers de l’air
que parce que le sol est trop brûlant.
Il est une beauté que les yeux et les mains touchent
et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.
Mais l’autre se dérobe et il faut s’élever plus haut
jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,
la belle cible et le chasseur tenace
confondus dans la jubilation de la lumière.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 30.
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08/03/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Tous les blés flambent
et la brève alouette
est un fragment ascendant de ce feu.
Elle ne gravit tous les paliers de l’air
que parce que le sol est trop brûlant.
Il est une beauté que les yeux et les mains touchent
et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.
Mais l’autre et dérobe et il faut s’élever plus haut
jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,
la belle cible et le chasseur tenace
confondus dans la jubilation de la lumière.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 30.
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07/03/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
En écoutant Claudio Monteverdi
On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre
qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt
et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :
c’est par urgence que sa voix prend feu.
Alors , à sa lumière d’incendie, on aperçoit :
une pré nocturne, humide, et par-delà
où il avait surpris cette ombre tendre,
ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :
Il n’y a plus que chênes et violette maintenant.
La voix qui a illuminé la distance retombe.
Je ne sais pas s’il a franchi le pré.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 9.
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09/10/2021
Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies
En se rejoignant
elles deviennent silencieuses
les eaux de montagne
Qu’a donc voulu dire Buson en écrivant ce haïku, sinon, apparemment, ceci : qu’au moment où confluent au fond de la vallée les torrents descendus des montagnes, on cesse d’entendre le bruit de leurs eaux ? Belle découverte !
Il se trouve toutefois que l’extrême concision du haïku, en ne laissant passer dans les mots que quatre éléments : la montagne, les eaux, leur confluence et le silence qui s’ensuit, en les associant comme elle le fait dans un mouvement et une sorte de métamorphose, permet au poète de susciter, autour de ce presque rien, un espace ouvert où la rencontre de ces éléments, dont chacun est lié pour nous à un nombre très élevé de correspondances intérieures, de souvenirs et de rêves peut prendre sa plus large et plus profonde résonance. En cela, de surcroît, sans avoir l’air d »’y toucher, sans que cette notation qui serait, formulée autrement, à la limite de l’insignifiance, soit aucunement montée en épingle.
Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies, le bruit du temps, 2015, p. 47-48.
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08/10/2021
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre
8 mai 1995
Le mot « élucubration » : « veille, travail qu’un ouvrage a coûté », « ouvrage composé à force de veilles et de travail » ; le mot souvent entendu comme synonyme de pensées plus ou moins laborieusement extravagantes. Il pourrait me servir de titre pour certain ensemble de textes, avec cette note : « Élucubrations : travaux accomplis à la lueur de la lampe, souvent entendus comme laborieux sinon extravagants ; quoi qu’il en soit, accomplis pendant les heures nocturnes, dans les ténèbres et contre les ténèbres ; dans ce cas-ci, avant qu’elles ne l’emportent définitivement, sans que l’on puisse mesurer qu’elle avance on garde encore sur elles. »
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 154.
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07/10/2021
Philippe Jaccottet, Le bol du pélerin (Morandi)
(Une récente nuit, je me suis rappelé une halte marocaine, à Ouarzazate : des sables roses et des sables jaunes, des rafales de vent de sable, au loin, comme des drapeaux, et ces espèces de forteresses qui tremblaient dans l’excès de lumière sans être des mirages, mais à peine distinctes du sol où elles avaient été bâties, brève entrevision, un matin, pourquoi si poignante ? Je me trouvais dans un endroit du monde où je n’avais même pas désiré passionnément me rendre, et sans qu’aucune aventure personnelle n’y fût mêlée (car enfin bien sûr, s’il y avait eu dans un de ces palais ou forteresses entrevus — comme au cinéma ! — une femme captive, ou pas, que je serais allé rejoindre — délivrer !— mon émotion fût allée de soi et personne ne s’en fût étonné — sinon du fait que c’était moi le héros ! — mais non) ; et ce que j’avais entrevu ainsi à quelque distance n’était même pas un site imprégné par la présence, ou l’absence de dieux, comme l’Égypte ou la Grèce m’en avaient offert en d’autres occasions.
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2006, p. 63.
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11/07/2021
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame : recension
Philippe Jaccottet, disparu le 24 février, a pu préparer la publication de trois livres, Bonjour monsieur Courbet (le bruit du temps) qui rassemble des essais sur l’art, de l’âge roman à Paul Vergier, Le dernier livre de madrigaux et La Clarté Notre-Dame (Gallimard). Ce dernier livre rassemble cinq textes de dimension différente, écrits du 19 septembre 2012 au 6 septembre 2016 et suivis d’un post-scriptum du 7 juin 2020. Il s’agit d’un ensemble de réflexions autour de la fragilité de la condition humaine, de ce que l’écriture peut en dire, également du gouffre infranchissable entre la beauté du monde et les forces de destruction, entre la naissance toujours renouvelée de la nature et la « traversée impensable » qu’est la mort.
Ce qui « hante » Jaccottet depuis qu’il en a eu connaissance, c’est le récit d’un homme arrêté dans la Syrie de Bachar al-Assad, comme bien d’autres sans savoir pourquoi et qui, libéré de sa prison, traverse un couloir et entend les cris de ceux qui sont torturés. Le contraste entre la beauté des ruines de Palmyre — qui dissimulent peut-être prison souterraine et lieu de tortures — et ces cris rendent inutile cette beauté, ou plutôt empêchent de « croire encore aux enchantements », à la grâce de ce qui a subsisté d’une civilisation. La coexistence est impossible entre ce qui procure de la joie et une violence destructrice qui nie l’humain, comme si l’on se trouvait devant un mur infranchissable avec en outre le sentiment qu’il n’y a rien derrière.
Il est tout autant impossible de mettre de côté ces cris quand on entend le son de la cloche du couvent La Clarté Notre-Dame, point de départ de la méditation. Le son limpide, « cristallin », évoque l’eau d’un ruisseau, par exemple celle qui coule le long des jardins du couvent, et il est « à garder vivant comme un oiseau dans la paume de la main ». Il entraîne le surgissement de poèmes d’Hölderlin qui, précise Jaccottet, sont « au centre de ce qui m’a fait écrire » (1). Parmi ces poèmes, d’une « pureté (...) insensée », plusieurs associent l’eau vive et les oiseaux, « les deux messages privilégiés de la poésie » ; sont cités des vers de "Patmos", un des élégies : « Donne-nous une eau innocente / Oh donne-nous des ailes », et c’est la présence de l’oiseau qu’invoque Jaccottet pour la « traversée impensable », la mort.
Le son de la cloche est entendu pour la première fois en mars, dans la grisaille et le silence, dans un espace qui figure une « profonde absence », un vide, et il est perçu comme une parole qui ne peut être immédiatement comprise, « saisie », impossible à assimiler à des mots mais cependant entendu comme un « appel » ou un « rappel », appel bien réel pour les vêpres dans le couvent et voix vers le sacré pour Jaccottet. Il constate la continuité de ses écrits, citant ce qu’il écrivait en 1946, où apparaissaient l’eau vive dans la montagne, les sources qui « tintent ». Le souvenir de la montagne écrite conduit à celui d’un séjour à Soglio (dans le canton des Grisons), véritable « nid », « berceau » entouré de montagnes et lié aux écrits de Rilke, plus encore peut-être à ceux de Jouve, et dans ce lieu à la beauté « presque surnaturelle », les dents des montagnes figurent « le suspens prolongé d’une migration de grands oiseaux blancs ».
Il semble que l’écriture soit impuissante à restituer ce que l’on éprouve à entendre la cloche du couvent, de là l’emploi de « comme » et des analogies établies avec d’autres sensations : ce que l’on verrait enveloppé d’une averse de grésil ou au lever avec la rosée matinale. Tout se passe pour Jaccottet comme s’il avait été chargé de recueillir un ensemble de signes, signes attachés à la lumière, et toujours celle du printemps croît quand parallèlement, avec le grand âge, s’approche la mort. Cette proximité lui fait ressentit plus fortement le fait, écrit-il, de n’avoir pas compris « quoi que ce soit à quoi que ce soit ». Il a pu seulement noter des signes, « dont la singularité est d’être toujours infimes, fragiles, à peine saisissables », toutes ces rencontres de signes allant toutes dans le même sens, dirigées vers le Sacré, les Dieux, pour reprendre faute de mieux les métaphores d’Hölderlin. On peut avoir ét persuadé longtemps que tout poème, comme la liturgie, était plus nécessaire que l’utile, selon les mots de Cristina Campo ; cependant, l’effroi provoqué par les cris des torturés dévalue peut-être toute poésie. C’est pourquoi reviennent des poèmes qui portent des mots essentiels pour chacun, un haïku, des fragments de Claudel, Goethe, Leopardi, un vers encore de Hölderlin : « Énigme, ce qui sourd pur ».
Ces pages sont restées longtemps « en réserve », Jaccottet éprouvant le sentiment d’échouer à écrire ce qui devait l’être du réel, un doute persistant quant à la capacité de l’usage de la langue à en rendre compte. Peut-être n’y a-t-il pas de réponse à la fin de la vie, sans pourtant que toute poésie soit dévaluée. La certitude qu’il faut rechercher la beauté et des moments — fragiles — de lumière est toujours présente, me semble-t-il. Ainsi, le son de la cloche rapporte aussi au temps de l’enfance, rappelant le bruit de la clochette à l’entrée du jardin lors des visites à l’oncle au début de l’année. Ainsi en suivant le ruisseau, Jaccottet se souvient de la fin de L’Enfer où Virgile et Dante suivent un sentier qui monte vers les étoiles.
1 On se souvient que Jaccottet a dirigé l’édition des œuvres d’Hölderlin dans la Pléiade et en a traduit une partie
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, Gallimard, 2021, 48 p., 10 €. Cette recension a été publiée dans libr-critique le 6 juin 2021.
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08/04/2021
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre
15 juin 1962
Des oiseaux au-dessus de nous, lointains, qui disent la distance, qui disent : ici est la forêt, ici est le ruisseau dans la forêt, le val qui s’élève en sinuant, qui s’éloigne de nous en s’élevant, qui disent : la beauté est bien visible, mais distante, nous sommes sa voix, son vol, et je voudrais les écouter, les suivre, qui disent : la beauté ne t’appartient pas, mais elle te regarde et sourit. Au-dessus des forêts, leur chant lointain, mais clair.
La nuit, le chant des rossignols comme une grappe d’eau.
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 46.
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07/04/2021
Philippe Jaccottet, Nuages
Et ce dernier été, peut-être parce que je sais que, dans la meilleure hypothèse, je n’en ai plus tant que cela devant moi, et que le risque de voir ce mot "dernier" prendre son sens absolu s’aggrave chaque jour selon une progression accélérée, certaines choses de ce monde qui aura été le mien, le nôtre, pendant presque toute notre vie, m’ont étonné plus qu’elles ne l’avaient jamais fait encore, ont pris plus de relief, d’intensité de présence ; plus de, comment dire ? plus de chaleur aussi, étrangement, comme on n’en reçoit généralement que des êtres proches ; bien que je sache, en même temps, que cela ne peut en aucune manière être pris au pied de la lettre, comme si je m’étais mis à croire à une amitié, à des sentiments des choses pour l’homme, qui les rendraient capable de nous "parler" vraiment, à leur façon. Il doit s’agir d’une autre espèce de relation. N’empêche : j’ai peine à croire que la chaleur ne fût qu’en moi, se reflétant en elles. Ce doit être plus compliqué.
Philippe Jaccottet, Nuages, Fata Morgana, 2003, p. 13-15.
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