26/05/2013
Paul Éluard, Cours naturel
Passionnément
I
J'ai vraiment voulu tout changer
Sur l'herbe du ciel dans la rue
Parmi les linges des maisons
Partout
Elle jouait comme on se noie
Puis elle restait immobile
Pour que je referme sur elle
Les lourdes portes de l'impossible.
II
Le rire après jouer ayant mis à la voile
La table fut un papillon qui s'échappa.
III
Elle déchira sa robe
Elle embrassa
Une toilette neuve et nue.
IV
Dans les caves de l'automne
Elle fut tour à tour
La fleur neigeuse de la foudre
Et le charbon.
V
Dans la ville la maison
Et dans la maison de terre
Et sur la terre une femme
Enfant miroir œil eau et feu.
VI
Sa jeunesse lui donnait
Le pouvoir de vivre seule
Je n'ai pas su limiter
Mon cœur à sa seule poitrine.
VII
Rien que ce doux petit visage
Rien que ce doux petit oiseau
Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent
À la sortie de l'hiver
Quand les nuages commencent à brûler
Comme toujours
Quand l'air frais se colore
Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.
Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.
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13/02/2013
William Shakespeare, Les Poèmes, traduction Yves Bonnefoy
Vénus et Adonis
Le soleil au visage pourpre vient de se séparer de l'aube en pleurs, et Adonis aux joues de rose se hâte d'aller chasser. Il aime la chasse mais il se ri avec mépris de l'amour. Vénus, dont il obsède la pensée, se jette au-devant de lui et, en hardie amoureuse, elle se met à le courtiser.
« Ô trois fois plus beau que moi-même, dit-elle pour commencer, ô de ces prés la fleur suzeraine, douceur incomparable, éclipse de toute nymphe, plus beau qu'un homme, plus blanc et plus vermeil que ne sont les roses ou les colombes, la nature qui t'a fait en cherchant à se dépasser elle-même dit que le monde avec ta vie finira.
Daigne, ô merveille, descendre de ton coursier et, sa tête orgueilleuse, rapproche-la par le frein de l'arçon de ta selle. Si tu veux bien m'accorder cette faveur, pour récompense tu connaîtras mille secrets de miel. Viens t'asseoir ici, où jamais le serpent ne siffle et je t'étoufferai de baisers.
Et pourtant je ne rassasierai pas tes lèvres de la satiété écœurante, plutôt je les affamerai en pleine abondance, les faisant rougir et pâlir par mes inventions très nombreuses : dix baisers aussi courts qu'un seul, un seul aussi long que vingt. Un jour ne nous semblera qu'une heure, dépensé en ces jeux qui trompent si bien le temps. »
Disant cela, elle saisit cette main dont la sueur atteste la vigueur et la fougue. Et toute tremblante de passion, elle appelle cette sueur le baume, l'onguent suprême que la terre réserve pour l'apaisement des déesses. Elle est si bouleversée que son désir lui donne la force et le courage d'arracher Adonis de son cheval.
[...]
William Shakespeare, Les Poèmes, traduction et préface Yves Bonnefoy, Mercure de France, 1963, p. 13-14.
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