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02/02/2019

Hölderlin, Poèmes de la folie

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Moitié de la vie

 

Suspendue avec des poires jaunes

Remplie de roses sauvages,

La terre sur le lec.

Et vous merveilleux cygnes ivres de baisers

Trempez la tête dans l’eau sainte et sobre.

 

Malheur à moi ! où les prendrai-je moi

Quand ce sera l’hiver, les roses ?

Où le miroir du soleil

Avec les ombres de la terre ?

Les murs s’élèvent sans parole et froids

Et les enseignes grincent dans le vent.

 

Hölderlin, Poèmes de la folie, traduction

Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski, dans

PJJ,Œuvres, II, Mercure de France, 1987, p. 1908.

14/10/2016

Paul Klee, Journal, traduction Pierre Klossowski

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   (1903)

   L’idiot en art est en général un très respectable et laborieux individu. Toute une semaine durant il a sué du nombril et des aisselles. Va-t-on le blâmer si, le dimanche, il tient à jouir de l’art qu’il apprécie ? Faudra-t-il qu’il force également au septième jour son cerveau avide de repos ? Et voici maintenant que paraissent des ouvrages proprement inquiétants, ou qui ont pour effet de semer la discorde. Les Russes, par exemple, que tout le monde lit à présent. Ibsen, lui aussi, était certainement un être méchant. (…) Mais autrefois, tout de même, tout allait beaucoup mieux ! L’art était alors beaucoup plus accessible. À présent chacun veut n’être qu’individualité.

   Et nous autres, idiots en art ? Ne comptons-nous pour rien ? Et pourtant, c’est nous qui faisons vivre les artistes, nous qui achetons leurs livres et leurs tableaux. Et de surcroît dans notre démocratie ? En avant, citoyens helvétiques, en avant !

 

Paul Klee, Journal, traduction Pierre Klossowski, Grasset, 1959, p. 147.

04/04/2015

Paul Klee, Journal

 

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Jeudi 16 avril [1914]. Le matin, face à la ville [Kairouan], ai peint dans une lumière légèrement dispersée, à la fois claire et tendre. Sans brumes. Puis ai dessiné à l’intérieur. Un imbécile de guide se charge du ton comique. Auguste [Macke] lui apprend quelques expressions allemandes, et des pires. Dans l’après-midi, il nous conduit dans les mosquées. Le soleil est on ne peut plus pénétrant. On fait un petit bout de chemin, monté sur un âne.

  Vers le soir, par les rues. Un café orné de tableaux. Belles aquarelles. Nous pillons en achetant. Attroupement provoqué par une souris. Finalement on l’assomme à coups de chaussures. Échouons à la terrasse d’un café. Soirée aux nuances aussi délicates que précises. Virtuose du moulinet.

[...]

   Vendredi, le 17. Passé de nouveau la matinée à peindre devant la ville, tout près de la muraille, sur un monticule de sable. Ensuite, ai cheminé seul, parce que j’exubérais, franchissant une porte au-dehors jusqu’à l’endroit où s’élevaient quelques arbres. Raretés format un ensemble rare. Constaté qu’il s’agit d’un petit parc Un bassin plein de plantes aquatiques, de grenouilles et de tortues.

 

Paul Klee, Journal, traduction de Pierre Klossowski, Grasset, 1959, p. 281-2

30/01/2015

Pierre Klossowski, Les lois de l'hospitalité

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                                        I

 

   Après avoir manqué le portrait d'une femme parce qu'elle m'est proche, mais que son âme m'échappe par maints côtés, si bien que tout ce que je pourrais dire n'était que de l'ordre de la suspicion et que tout ce que je me suis appliqué à dire d'elle ne concernait que le piège de son corps et de son visage, tant pour elle-même que pour autrui — je tâcherai d'évoquer maintenant comment, de cette même femme qui vit auprès de moi, j'ai voulu capter la physionomie émanée d'elle, et que sa vie propre, pourtant si simple, me disputait et me dérobait — et c'est tout de même la vie que nous menons ensemble. Et l'effort que j'ai tenté depuis des années, c'était de passer derrière notre vie, pour la regarder. J'ai donc voulu saisir la vie en me tenant hors de la vie, d'où elle a un tout autre aspect. Si on la fixe de là, on touche à une insoutenable félicité...

 

Pierre Klossowski, Le souffleur, dans Les Lois de l'hospitalité, Le Chemin, Gallimard, 1968, p. 187.