16/06/2012
Jean Tardieu, Jours pétrifiés (1942-1944)
Regina terrae
À Albert Camus
Comme un souvenir
je t'ai rencontrée,
personne perdue.
Comme la folie,
encore inconnue.
Fidèle fidèle
sans voix sans figure
tu es toujours là.
Au fond du délire
qui de toi descend
je parle j'écoute
et je n'entends pas.
Toi seule tu veilles
tu sais qui je suis.
Le terre se tourne
de l'autre côté,
je n'ai plus de jour,
je n'ai plus de nuit ;
le ciel immobile
le temps retenu
ma soif et ma crainte
jamais apaisés,
pour que je te cherche,
tu les as gardés.
Sœur inexplicable,
délivre ma vie, laisse-moi passer !
Si de ton mystère
je suis corps et biens
l'instant et le lieu,
ô dernier naufrage
de cette raison,
avec ton silence
avec ma douleur
avec l'ombre et l'homme,
efface le dieu !
Faute inexpiable
je suis sans remords.
Dans un seul espace
je veux un seul monde
une seule mort.
Jean Tardieu, Jours pétrifiés, 1942-1944,
Gallimard, 1948, p. 77-79.
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