08/01/2013
Philippe Beck, Poésies didactiques
Et la prose
Prose :
de la masse absorbante
supposant trop les nerfs
fragiles de l’enfantine poésie ?
De la poésie enfantine d’aujourd’hui ?
Véhicule insouciant
véhiculé.
Ce qui est serré
et qu’aère la poésie,
ou la trame sérieuse
de la vie dont les mailles
sont assouplies ou bien relâchées
par de la poésie oxygénée ?
La vertu est prose,
et l’innocence est poésie ?
Hum.
Le monde des corps est prosaïque
et l’espace est poème du commencement,
puis, quand formé, p. de la fin ?
Donc, la santé vraie est prose ?
Et la poésie médicament ?
Mais la santé absolue
est absolument prosaïque,
et il n’y a plus la poésie
si tout est santé
paradisiaque (hypothèse d’alcool),
car les divertissements règnent
là-bas, sans délai.
Là-bas = absolu pays des jouets.
Des poupées.
Le Non
au pur devoir de diversion
est un problème musical.
De la médecine musique.
Philippe Beck, Poésies didactiques,
Théâtre typographique, 2001, p. 119.
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16/08/2012
Philippe Beck, De la Loire, éditions Argol : recension
De la Loire : On pense à un traité ; on lit les moments d’un parcours – 40 Vagues de pierre – de Nantes à l’estuaire de la Loire, des villages de la rive nord du fleuve ou de la rive sud (Le Pellerin, Trentemoult) à Donges et Paimbœuf, et pour qui connaît les bords de cette Loire-là il retrouvera détails, minuscules (les joncs de la rive) ou visibles traces du passé (la Tour à Plomb, à Couënon). Les noms de lieux et les détails ne suffisent pas pour reconstruire un paysage, et l’on retiendra autre chose de cette promenade jusqu’à la mer. Suivre la Loire c’est aussi un voyage dans la langue, éprouvée dans ses possibles, et dans la littérature comme s’il s’agissait d’éprouver et de développer l’affirmation de Thoreau donnée en exergue : « Il y a dans un fleuve et son paysage quelque chose de comparable à la culture et à la civilisation ».
On ne lira aucune description d’une nature, parce qu’il serait incongru de vouloir restituer la « polysémie sans masque » (Celan, cité par P. Beck) qui se manifeste lors du parcours, le fleuve transformant ce qu'il traverse : « Loire est nuancier habité » et « Fleuve est idée migrante, idée voisine, ou idée circulante dans l’immobile provisoire, le Promeneur Absent ». Ce n’est pas que la Loire soit simple prétexte à mots puisqu’elle existe, et ses îles, ses cordes de sable, vagues, rives, herbes, et au-delà arbres et toits d’ardoise. Mais elle aussi parcourue dans l’imaginaire et c’est le Lignon emporté par le fleuve, le Lignon de l’Astrée, Céladon rêvé, l’Arcadie évanouie :
« Les morceaux d’amour sont mouillés.
Rien ne peut les sécher. »
S’il y a une réalité, elle dans les nombreux fragments et bribes cités – « J’ai sorti des citations de l’eau, ici et là, maintenant » – ; Thoreau, régulièrement, et dans la dernière Vague de pierre, pour tirer leçon d’un parcours : il faut être voyageur et aussi « matelot de pont, et sur le pont du monde ». Le déplacement d’un lieu à un autre implique un narrateur , qui emprunte des voies à l’écart du fleuve, interrompant le mouvement pour interroger ce que peut être la poésie, et la poésie n’est pas que découverte des rapports entre les choses du monde. « J’écris avec les mots que la chose me jette », pour citer Hugo ; insuffisant pourtant. Être plutôt « ministre des proses-paysages », et lire ministre ici comme le minister latin : "instrument", "intermédiaire". Ressortit de ce choix la nécessité de créer des mots, à l’imitation du fleuve qui sans cesse semble reconstruire le paysage. Et : « Les mille rides blanches avancent. Elles futurent et toujournent. » ; « Et des salicaires violettent les franges en face de la Terrasse d’Abandon ». Ce n’est pas que le vocabulaire fasse défaut, mais bien que les impressions provoquées par le parcours sur la Loire n’appartiennent qu’à ce parcours, obligeant à l’invention – et le parcours sur un autre fleuve contraindrait à d’autres inventions.
La Loire est aussi « le miroir à composer. Miroir d’eau sans tain. » Et qui donne une image de la nature entière, avec toutes ses failles, ses obscurités, ses éclaircies. D’où souvent l’élision de l’article devant le nom et l’usage de la majuscule pour sortir de l’individualité. Ce que Philippe Beck rappelle par une citation de Pavese : « Le lieu mythique n’est pas le lieu individuellement unique, type sanctuaire ou lieux analogues, mais bien celui de nom commun, le pré, la forêt, la grotte, la plage, la clairière qui, dans son indétermination, évoque tous les prés, les forêts, etc., et les anime tous de son frisson symbolique. » Ce n’est plus la Loire, mais Loire, le pont ou le canal, mais Pont et Canal. Par cette sortie de l’unique, le parcours de Nantes à l’estuaire, et retour, deviennent méditation, mouvement vers soi : « « L’espace est le monde extérieur le plus intérieur » (Hermann Broch). »
L’usage régulier de la citation, de noms ou le renvoi à des peintres contribuent à éloigner de la représentation, à déplacer vers la littérature ce qui est rapporté d’un simple parcours. Henri James, Hopkins, Nerval, Rilke, Turner, Jean Renoir, Hugo, Leonid Tsypkine, Zhang Dai, Balzac, Celan, Segalen — d’autres, Thoreau souvent. De la Loire comme un journal où se mêlent aux vers et proses de Philippe Beck les moments de ses lectures, autres parcours. « Rivières et nuages font le liant dans le chant dehors. « N’est-ce pas comme si j’étais paisible, quand je trouve, au dehors, sous le ciel ardent, d’autres difficultés et d’autres excès que ceux de mon cœur ? » Senancour sort et devient description. Des descriptions. (Peine a tendance à rentrer dans son cas.) »
Philippe Beck, De la Loire, Argol, 2008, 17€.
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02/04/2012
Philippe Beck, Un Journal
Samedi 11 février 2006
À Françoise Santon
« Je peins comme d'autres écrivent leur autobiographie. Mes toiles, finies ou non, sont les pages de mon journal, et en tant que telles, elles sont valables. L'avenir choisira les pages qu'il préfère » (Picasso). Journal est l'autobiographie du monde. Il y a des pierres. C'est pourquoi il peint ce que voient beaucoup. Déductions sont descriptions, ou visions communes, phrasées, des pensées courantes et concrètes, possibles, nombreuses, des vues distribuées ; et « l'effort dramatique d'une vision à l'autre » (Picasso) fait la transition des pages de la vie générale : J. Imp. est le livre des suavités.
Ainsi la Vision des faits de la nuit. Hamlet (III, 1) voit la réalité de Sommeil. La Commune du Sommeil. Il se tient avant le Lit, avant le Désir d'Oubli de Lady M. En deçà du Regret-Macbeth. Lady a l'idée de la Consommation Capitale. Idée tardive avant folie de marche incosnciente aux yeux de bœuf, et espace abîmé. Hamlet voit la frontière du Lit. Il oublie Consomm., en deçà de la peur. Il trouve la frontière ou pré-désir. Lit est l'espace loin. Et Désir de sommeil est feu éteint — désir de la boisson de rêve ou philtre d'oubli. Hamlet est ancien. Il trouve le moment exact : une frontière où l'humain résiste aux mille chocs d'existence. Au Chant du Sommeil Infini aussi. Désir Guerrier de Dormir est humain ? Souhait du sommeil long, baume subtil sur des effets de flèches et de masses d'existence dans la mer d'ennuis = Souhait de quitter la Condition, Rhumaine Condition, ou Transcendantal d'élaboration de la pensée dans un corps, en trois temps. Pensée contacte la réalité. Sommeil Infini fait peur, et interdit l'image de la disparition du rythme et des rêves rythmés. Éveil = férocité orgiaque + tendresse lyrique ? Mais chant prend le sommeil, huile de lampe et fleurs de lilas. « Je ne regarde pas la douleur, les souvenirs de la souffrance et l'oppression comme nécessaires pour grandir » (Janácek, Discours à l'Apple Tree Farm, 2 mai 1926).
[...]
Philippe Beck, Un Journal, Flammarion, 2008, p 182-183.
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03/01/2012
Philippe Beck, Poésies premières : un poème et une recension du livre
33. Atticus aujourd'hui.
L'ancien ami à venir
ou l'ami chambré
de la dune
et dans la tête du mari heureux
ne se retourne pas,
normalement.
C'est pourquoi
le ménage complet
détruit la notion même
du paradis des célibataires
laissant derrière eux
de l'essence de foyer
pour mieux
la boire.
Il n'a pas
à se retourner,
s'il n'est pas parti.
Ami de sa femme,
ego qui encadre les faits du jour.
= Un qu'il ne faut pas conduire
aux gens.
L'alcôve maritale sans secret
est re-banale.
(J'ajoute : la fadeur est hors-sujet.
Le thème : la Dynamo du rapprochement date.)
Philippe Beck, Rude merveilleux (1998), dans Poésies
premières 1997-2000, Flammarion, 2011, p. 129.
Maurice Blanchot écrivait à propos de Mallarmé qu’il « ne s’échappe pas de la langue nationale, mais va jusqu’à l’étrangeté qu’elle recèle, aussi ancienne que nouvelle, puisque se découvrant des intonations inouïes ou se délivrant par des accords neufs », et il concluait en définissant la langue poétique comme « rupture d’un Dire réfractaire au déjà dit, sans lequel il n’y aurait pas de silence ». (1) C’est à partir de cette idée de rupture que l’on pourrait lire Poésies premières ; Yves di Manno y a réuni trois livres anciens de Philippe Beck, Chambre à roman fusible (1997), Rude merveilleux (1998) et Inciseiv (2000). Ils sont suivis d’une postface inédite (2), dont je retiens une des citations en exergue, celle de Charles Reznikoff, « Le monde est très vaste et je ne peux certainement pas en témoigner dans son entier » : c’est redire que la poésie est ancrée dans l’Histoire, dans le monde, comme aussi bien l’était celle de Virgile (auquel un poème est consacré dans Rude merveilleux, "Publius Maro") ou celle de Novalis, également présent. On lira aussi dans Rude merveilleux : « Impossible d’être automatiquement poète / (obéissant à la commande dehors ou dedans) ; / ou machinalement (comme grand voyageur) ».
Comment le monde est-il présent ? Il est vivement inscrit dans la littérature — on relèvera aisément les noms cités, dont il faudrait analyser pour chacun d’eux la fonction dans le texte —, le cinéma, la musique et la peinture. Il est appelé par le titre d’une œuvre (Asphodèle, William Carlos Williams), par le biais de ceux qui furent des modèles de personnages, comme Georges Pollard pour le capitaine Achab, ou Owen Chase, chez Melville : bel exemple du rapport entre réel et texte. La mention « du chat jaune de l’abbé Seguin » (p. 21) qui termine un poème autour du jugement d’une œuvre, renvoie au début du livre premier de Vie de Rancé de Chateaubriand (« […] une vieille bonne, vêtue de noir venait m’ouvrir : elle m’introduisait dans une antichambre sans meuble où il y avait un chat jaune qui dormait sur une chaise »). Dans Rude merveilleux, le titre d’un poème, "Accablant le tu" est un jeu à partir du premier vers d’un poème de Mallarmé (« À la nue accablante tu ») dont le prénom est cité : mesure de l’apport de ce maître et conclusion, « Donc il faut bien dire / comment continuer sans / un des patrons » (p. 116) — Philippe Beck revient dans la postface (p. 252-253) sur sa relation à Mallarmé. Un autre stimulus de son travail poétique est cité avec Hölderlin et son Hypérion, Hölderlin qui écrivait en 1797 « La poésie que je fais a plus de vie et de forme ; mon imagination absorbe plus volontiers les formes du monde ». Le nom de l’acteur Keith Carradine, qui apparaît dans Chambre à roman fusible, peut évoquer la comédie musicale Hair (il en fut un des interprètes), dont on sait l’importance des chansons dans les manifestations contre la guerre du Vietnam, mais il a joué aussi dans des films de Robert Altman, auquel un poème est dédié dans Rude merveilleux ; ce cinéaste a consacré une partie de son œuvre à l’analyse de certaines formes de violence dans la société contemporaine.
Cette violence est un thème récurrent dans Poésies premières, ce sur quoi Philippe Beck insiste dans la postface : « la violence historique est le thème commun, évident, des livres rassemblés » (p. 252). Par exemple, allusion est faite — "Jogichès", titre, p. 57 — à Léo Jogichès : le lecteur, consultant une encyclopédie, apprendra que ce communiste polonais très actif fut un des fondateurs du Parti communiste d’Allemagne en 1918 ; arrêté pendant la révolution allemande, il est assassiné en prison en mars 1919, peu de temps après Rosa Luxembourg. Mais le plus lisible de la violence historique, et qui donne son sens au titre Chambre à roman fusible, se trouve dans un poème également titré avec un nom de personne ("David Olère", p. 47), nom qui réapparaît dans Rude merveilleux (p. 99) :
Le destin d’emportés
de petits emportés par des intermédiaires majeurs
de grands emportés par des aussi grands ;
le destin des anciens petits et grands
destin pleuré, sans regret,
puisqu’il n’y a pas de regret dans ce dessin
de respiration ancienne
et de cuisson future.
Il s’agit ici des chambres à gaz ; David Olère, juif rescapé d’Auschwitz a dessiné, peint et sculpté ce qu’il avait vécu. On pourrait, en partie, relire Chambre à roman fusible avec en tête ce poème (voir par exemple le tout début : « Mes personnages sont des fumées. // Mais je ne viens pas les voir dans leurs cheminées »), y compris dans l’examen de ce qu’est un roman : voir « Dans les romans passés se cachait l’évidence volée » (p. 26) Le commentaire du poème "David Olère" dans Déductions (éditions Al Dante, 2005, p. 11-12) distingue la chambre à gaz, où « les humains réduits aux poupées » sont niés, et la chambre domestique. L’activité d’écriture ne peut être isolée du monde, et presque tous les noms cités dans Poésies premières, quand ils n’évoquent pas strictement une question poétique, renvoient plus ou moins directement à une action ou à une position dans la société — ainsi celui de Theolonious Monk, puisque pour « le Moine américain » le jazz avait aussi une fonction politique.
Comment écrire cette violence ? Il y a entre Chambre à roman fusible et Inciseiv une évolution sensible. Le premier ensemble mêle poèmes en prose, prosimètres et poèmes en vers, on ne lit dans le second que trois poèmes précédés d’une prose et le troisième est entièrement en vers : tout se passe comme si le vers s’imposait au fil du temps, permettant mieux (autrement) que la prose de construire un récit. Chambre à roman fusible et Rude merveilleux sont tous deux divisés en séquences numérotées, LIII pour l’un (avec en plus un poème liminaire, un autre qui ferme la série avec le retour des fumées, 67 pour l’autre (qui s’achève par un épilogue), et Inciseiv est partagé en quatre ("Le cœur", "Le sans-cœur", "L’âme", "Le génie").
Comment une rupture est-elle introduite dans la langue ? Pour l’essentiel, dans un travail sur la syntaxe (qui est approfondi dans les livres ultérieurs), parfois déroutant : énoncés sans verbe sur un vers, utilisation de symboles mathématiques, de parenthèses, suppression de l’article, usage de la majuscule pour un nom commun. Ce travail, qui ne s’en prend que très rarement à l’ordre des mots, est inséparable d’une création verbale qui s’inscrit dans une longue tradition, notamment celle des rhétoriqueurs ; il s’agit de revivifier la langue (« le français est une langue morte / à 95% + 5% de vie essentielle », p. 223) en formant des verbes (esthétiquer, dépleurer, profonder,etc.), des noms (chercheriez, bravité, défermeture, re-prose, re-poésie, etc.), des adjectifs (poésie, capacieux, décapitale, etc.), parfois des ensembles comme enfantiné, enfantinement, désenfantiner. Une autre rupture tient au statut du je dans Poésies premières ; s’impose, avec l’insistance forte sur la place du monde extérieur, la notion d’impersonne (3)— le moi n’est pas un livre —, clairement exposée dans la postface et présente explicitement dans Inciseiv (p. 235):
« J’appelle philosophie
l’art d’être dans la poésie
et d’avoir en poésie
beaucoup d’impersonnalité. »
À cette notion se rattache celle de sobriété, de lyrisme "sec", incisif, ce qu’exprime le titre Rude merveilleux (ici rude est adjectif) et qu’affirme un poème dans Inciseiv (p. 189) :
« Et le cœur de pierre
doit rester sec ?
Oui.
La p. est du sec ? [p. = poésie]
Oui.
Inciseiv. »
Voie continuée (cf. encore le titre Lyre dure, 2009), la sècheresse n’excluant pas le lyrisme, autrement perçu (4).
J’ai emprunté dans ce survol à la postface, qui nécessiterait à elle seule un compte rendu. Philippe Beck y revient sur les livres réunis dans Poésies premières, précise quelles en furent les matrices, explique l’unité de l’ensemble et, longuement, les enjeux de son abandon progressif du prosimètre dont il esquisse ce qu’en a été l’usage dans la littérature. Ce serait beaucoup, ce n’est pas tout : les réflexions commencées ici sur la prosodie, complexes, annoncent deux livres à paraître, Qu’est-ce que la poésie ? (Folio / Gallimard) et Contre Boileau.
Cette recension a paru en 2011 dans Terre de Femmes
1 Maurice Blanchot, "La parole ascendante", dans Lettres à Vadim Kosovoï, suivi de La Parole ascendante, éditions Manucius, 2009, p. 172.
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16/09/2011
Philippe Beck, Chants populaires
Chaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte « noté » par les Grimm.[…] Les Chants populaires dessèchent des contes, relativement. Ou les humidifient à nouveau. Par un chant objectif. Un conte est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. (Philippe Beck, Avertissement, p. 7 et 9).
27. Technique
La force de l’homme est le point.
Celui-là sur le banc
fut un homme.
Celui-ci sur le banc continue.
Il devient ce qu’il est.
Qui est un homme ?
Bête se demande.
Elle dit parfois : « Voilà un homme ».
Ou « Voici ».
Elle va sur lui. Droit devant.
Il prend un bâton et souffle dans le dur.
Il souffle autour.
Les braises vont
au visage de la bête.
Des pierres qui brillent.
Des pierres combatives.
Comme foudre mariée à grêle.
Bête sent qu’il y a une idée
dans le souffle. I. cause
étonnement.
Et l’arrêt en plein vol.
En plein air.
Bête allée à Technicité.
En passant.
Elle visite bouche ouverte et tombée
(coquillage)
pays de violence et d’invention.
Silence et inauguration
dans la bête.
Avant les jeux.
Elle commence la vertu commune.
Et les tissus de vertu.
D’après « Le Loup et l’Homme »
Philippe Beck, Chants populaires, collection Poésie, Flammarion, 2007, p. 85-86.
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08/07/2011
Jean Bollack, préface à : Philippe Beck, Chants populaires, traduits en allemand
Les Chants populaires de Philippe Beck ont été traduits en allemand par Tim Trzaskalik et publiés avec une préface de Jean Bollack, inédite en français.
La poésie de Philippe Beck, que ce volume présente au public allemand, se distingue de toute autre — disons le mot : radicalement. On pourrait parler de licence, à condition d’associer au terme la plus grande distance, qu’elle existe, ou qu’on l’imagine face à la chose qui se dit ou que l’on écrit (ce qui ne va pas de soi). Le lecteur allemand retrouve dans ce recueil les contes réunis par les frères Grimm, d’après une traduction française, puis réécrits, retraduits, commentés, creusés, plus encore. Une trace du modèle y reste, l’auteur s’y rapporte dans la langue du poète : c’est dire qu’il s’en éloigne. Je conjecture qu’il nous parle en se parlant à lui-même, et en prenant possession de Grimm. Le récit ne sera plus le même, une fois retracé, reformulé, intégré dans un nouveau discours ; il est passé à autre chose, pour de vrai ou pour nous, pour le faire mieux comprendre, ou pas, tel autre.
Les contes sont devenus des poèmes, comme le montrent les titres, « Porte » ou « Bruit » ou « Faille », des thèmes recentrés, encore que Beck n’écrive pas proprement des poèmes, du moins comme on a pu les faire et refaire avant lui – et avant une coupure. L’unité de composition n’est plus là ni la fermeture, abolies, et pouvant ainsi ressurgir ailleurs dans la différence, d’une langue ou d’une matière ; elles seront simples ou plus complexes, avec, à l’horizon, l’énigme, et, repérables, les rencontres quotidiennes, la référence particulière, vécue.
Ce qui se dit se réfère ; c’est le plus souvent du dit, de l’avant-dit. Tout se redit, mais Beck s’est créé initialement une forme – un vers , si c’en est un, court et limitatif, qui scande à sa façon, se réduit aussi et se brise. Il prête au discours, mieux vaut dire aux mots et à leur substance sonore, un débit et un rythme qui se maintient, saccadé ou fluide. Il est hérité des anciennes épopées, françaises entre autres ; les ressources narratives, défaisant l’alexandrin, y jouent leur rôle. Dès le départ, quasi immémorial, un mouvement s’est enclenché ; il se poursuit, s’offre à l’avance à toutes les interventions à venir. Ancestral, le rythme et sa base créent une continuité essentielle ; elles ne sont pas moins proches, réinventées, adaptées à un nouvel état de la langue, épuisée et disponible, dépassable. Sur ce fond, en ce lieu primaire, riche de toutes les potentialités, une invention poétique vient s’inscrire en second ; elle s’y retrouve et s’actualise ; c’est comme si une poésie en acte depuis toujours, et comme telle préalable, se transformait en un réceptacle et empêchait tout déploiement verbal, contraignant à la rigueur d’un jugement.
La pensée, dans ce cadre, peut prétendre à une place, il ne lui faut que l’objet, la matière ; pour la façon de dire, elle n’est pas implicite ni accordée ; elle est comme préparée, je dirais, disponible. Ainsi, dans une autre geste, non moins large, dans un autre livre, Beck a choisi de lire les critiques et les réactions que l’œuvre de Mallarmé a pu susciter autour de lui, auprès de ses contemporains ; la reprise a pu en faire la matière, toujours dans le cadre continu décrit, d’une interrogation et inclure ainsi une relation critique dédoublée. Le poète peut y intervenir en tiers, introduisant par sa présence et sa réflexion une autre constante complémentaire de l’autre, à l’autre pôle.. Ainsi, pour les contes, on attend le retour de la voix off, qui dira ce qu’il en est, de l’écrit et de l’inscrit, comme elle le lit et l’entend. Le lecteur connaît le récit, ou mieux, il l’a relu, puis il découvre comme à neuf ce que le poète en fait. Il le redit multiplement, selon ses choix, retraduisant, ou commentant, ou approfondissant en s’emparant. Le défi est énorme.
Dans un passage de « Robe », d’après « La véritable fiancée », le château est le dernier degré des exigences exorbitantes de la marâtre. Fille est opposée à Ancienne (la vieille magicienne) ; elle rêve et bâtit dans les nuées. Le poète tend la corde de l’arc jusqu’aux extrêmes. Est-ce hors conte ?
« Parfois, tristes maçonnent des vapeurs »
La fille cède sa place. Ce sont les pierres qui construisent :
« Elles [les pierres ] sont le bâtiment des bâtiments ».
En creusant un dédoublement (tiré du polyptote sémantique), on perce jusqu’au principe — l’art, le faire — inhérent à la matière :
« Des mains ont manié des pierres ».
C’est, tiré d’un autre retour sur soi (« manier » se lit à travers la figure de la paronomase — une « étymologie » ; elle a pour fonction de dire vrai (de dire l’étymon). L’exemple est encastré dans un médaillon scintillant – il faudrait encore dire autrement : ce sont des « fleurs » que le texte porte à l’épanouissement. Un développement peut aussi bien être appelé dépouillement, cela se tient. Il se dessine au hasard, mais les hasards ne se comptent pas.
L’originalité n’est jamais première ; elle se situe, elle se démarque, se ménage des espaces propres, s’autonomise face à la référence. Elle invente ainsi sans inventer, et fait voir sans aucun paradoxe ce qu’elle trouve. Toujours on s’appuie, toujours on se libère, on découvre ce que c’est ou ce que cela pourrait être. On peut aussi (pensons à « Tour » d’après « Œillet ») lire les transpositions sans confronter. On saisit alors la force condensée de l’abstraction et la liberté d’une réduction.
Je me suis servi, en étudiant les poèmes de Celan, du terme de « réfection ». Le procédé que l’on trouve ici appartient à la même catégorie. La contradiction en moins peut-être. La reprise s’interprète différemment, selon les positions prises et les moments de l’histoire. Beck s’est construit une base initiale, presque avant d’avoir cherché, puis trouvé sa voie dans le monde de la lettre.
Jean Bollack, préface (en allemand) à : Philippe Beck, Populäre Gesänge, Matthes & Seitz, Berlin, 2011, traduction par Tim Trzaskalik de Chants populaires, Flammarion, 2007.
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22/04/2011
Philippe Beck, Chants populaires
Chaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte « noté » par les Grimm.[…] Les Chants populaires dessèchent des contes, relativement. Ou les humidifient à nouveau. Par un chant objectif. Un conte est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. (Philippe Beck, Avertissement, p. 7 et 9).
18. Faille
Tailleur a un fils,
né petit.
Petit Relatif.
Petit-Poucet est variété
de Tom.
Ce sont deux rhumains.
Des coupes.
Tailleur a aussi du cœur
au ventre.
Plus que beaucoup.
Il s’en va pour connaître le monde.
Ce qui s’appelle du monde.
Mère cuisine un adieu.
Avec rivière.
Il va à la cheminée,
couloir vertical
de terre privée à commencement
de ciel.
Vapeur qui monte du bouillon
le lance en haut. Il monte dans les airs
sur la vapeur
et redescend à terre.
Il est au milieu de Monde.
Dans le Grand Extérieur.
À Publicité et Possibilité.
Il commence un voyage.
Soucis divins disparaissent
pour l’instant.
Il va droit devant.
Il est dans la grande forêt,
image de l’Ensemble Menaçant.
Elle a des failles.
Comme une porte.
C’est une grille.
Et une chambre d’or.
Les écus sont comme des appelants
Appelants inconnus ?
Ou des communiqués de chasse ?
Ils manquent comme des pommes comptées.
Les écus dansent et font
cling ! cling ! cling !
Petit va dans les brèches,
les fentes de monde,
et prend.
Fentes d’opéra ?
Il prend quoi ?
Derrière une pièce qui brille,
Il dit « Hé ! hé ! »,
« Ho ! ho ! » ou « Ohé ! ».
Il est ailleurs, et ailleurs.
Successivement.
Héros qui apparaît.
Il va au monde. Indéfiniment.
Une bête le prend dedans.
Il est dans la nuit de monde.
Il a peur.
Il est dans la noire.
Au milieu de chair qui a des mouvements.
Il passe dans l’intervalle des coups.
À l’usine de nuit.
Danger donne le nerf
et le muscle.
Il reste à l’Ensemble de Viande.
Vivant élément.
Ou Chair de Marionnette curieuse.
Jungle ou Manège Menaçant.
Avec des souffles d’enfer.
Il y danse énergiquement.
Maison provisoire est en mouvement.
C’est l’hiver. Il sort la tête
d’un monde sombre et vivant.
Dehors alimente le souvenir
de danse et des vapeurs
mélancoliques.
Souvenir d’Usine Dedans.
D’après « Le voyage du Petit-Poucet »
Philippe Beck, Chants populaires, Poésie / Flammarion, 2007, p. 62-64.
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