06/06/2013
André Suarès, Cité, Nef de Paris
Du Petit Pont au Pont Saint-Louis
Quand vient le soir autour de Notre-Dame, la Cité se vide. La vie humaine se retire, toute la folle vie qui porte le masque de la durée et qui mime l'illusion du bonheur. Au jardin de l'archevêque, les nourrices bouclent les poupons dans le petites voitures, et rentrent sous la couverture le petit bras en aileron qui veut saisir un rayon encore. Les mères rassemblent les jouets ; les balles roulent dans les sacs, à dormir jusqu'à demain ; les petites filles nouent en écheveau les cordes à sauter, et elles sautillent en même temps qu'elles nattent ; on ramasse les pelles et les seaux, les outils des terrassiers puérils ; et les femmes poussent devant elles les enfants toujours en retard, qu'elle ramènent au bercail.
Vers le Pont Saint-Louis et vers le Parvis, deux courants opposés se forment : les familles de la rive droite et celles de la rive gauche. Quelques petits chiens courent en serre-file, çà et là. Quelques vieux secouent une pipe tiède et la logent dans leur poche. De pauvres gueux, têtes basses, cherchent on se sait quoi dans les cailloux et ramassent les journaux qui traînent. On s'appelle, on se presse ; des femmes aux visages las commandent des enfants qui rient. L'heure répand des cendres.
André Suarès, Cité, Nef de Paris, éditons Bernard Grasset, 1934, p. 137-138.
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04/06/2013
Nathalie Riera, Paysages d'été
Dans la pénombre du roman
mon enjouement dans le retrait j'écris la certitude de la soie à être douceur la certitude du fruit à mûrir j'écris sans m'éloigner ni du demi jour ni du midi sans fuir les limites de l'enclos du jardin
mon enjouement dans l'attente du souffle qui reprend du rêve qui est vie l'ardeur contre le désarroi qui ne peut prendre place nulle part et de l'insouciance parmi les soucis
dans la pénombre du roman que reste-t-il ? deux voix qui se sont tues un vent sans fougue et ce qui se répète mais ne se renouvelle pas
réveiller la pénombre remanier le texte rafraîchir le jardin
ce n'est pas la vie mais le destin qui est grave reprendre possession de la joie pour écrire et se dire que c'est l'instant qui compte le souvenir n'est même pas un jour lointain ce qui a commencé un jour a eu lieu et dont il est impossible de se souvenir un jour lointain qui aurait pris asile dans la pierre la plus exposée la plus chaude sur cette même pierre où je me suis assise à regarder passer les chevaux
Un jour lointain tu te retournes ! et c'est un jour nouveau !
rien à savoir de plus que ce que je sais
un secret sous le soleil ou dans la fraîcheur d'une tonnelle se préserve de la même manière
la vibration de mes chevilles tout près des bouquets de thym le spasme de leurs parfums le serrement et à nouveau l'abandon c'est sans repos mais d'une telle patience la bienveillance même
imperturbable est la pierre qui recèle le secret
Nathalie Riera, Paysages d'été, Lanskine, 2013, p. 29-30.
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