06/06/2013
André Suarès, Cité, Nef de Paris
Du Petit Pont au Pont Saint-Louis
Quand vient le soir autour de Notre-Dame, la Cité se vide. La vie humaine se retire, toute la folle vie qui porte le masque de la durée et qui mime l'illusion du bonheur. Au jardin de l'archevêque, les nourrices bouclent les poupons dans le petites voitures, et rentrent sous la couverture le petit bras en aileron qui veut saisir un rayon encore. Les mères rassemblent les jouets ; les balles roulent dans les sacs, à dormir jusqu'à demain ; les petites filles nouent en écheveau les cordes à sauter, et elles sautillent en même temps qu'elles nattent ; on ramasse les pelles et les seaux, les outils des terrassiers puérils ; et les femmes poussent devant elles les enfants toujours en retard, qu'elle ramènent au bercail.
Vers le Pont Saint-Louis et vers le Parvis, deux courants opposés se forment : les familles de la rive droite et celles de la rive gauche. Quelques petits chiens courent en serre-file, çà et là. Quelques vieux secouent une pipe tiède et la logent dans leur poche. De pauvres gueux, têtes basses, cherchent on se sait quoi dans les cailloux et ramassent les journaux qui traînent. On s'appelle, on se presse ; des femmes aux visages las commandent des enfants qui rient. L'heure répand des cendres.
André Suarès, Cité, Nef de Paris, éditons Bernard Grasset, 1934, p. 137-138.
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