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25/11/2025

Piere Revrdy, Œuvres complètes, II

pierre reverdi,Œuvres complètes,ii,respiration

                  Sans respirer

              
La jambe à droite
                       L’ombre du mort
Le marbre
           La table qui s’est inclinée
La nuit recouvre tout de son tapis troué
Le silence a de la peine à vaincre le bruit
Les mots faiblissent de partout
Et les lèvres frémissent
On ne sait pas pourquoi
Contre le mur des paroles qui glissent
Entre les doigts
                       Le vent
                       Le souffle
                       Et les soupirs
Partout entre les arbres tout ce qu’on voit courir

Piere Reverdy, Œuvres complètes, II, Flammarion,

2010, p. 244.

24/11/2025

Pierre Reverdy, Main d'œuvre

 

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              Tête à tenir

Une large bouffée de flammes
Sur la frise en bas des forêts
Le brouillard échappé des larmes
Sous une écharpe de rosée
L’odeur rugueuse des cigares
Le feu caché des feuilles mortes
Rayons cassés qui tissent ton sourire
Le visage effacé sous son voile de peur
Il va il vient il se retire
Un rayon de miel dans la cire
Une larme amère à ton cœur
Amour reviens dans le silence
Le poids de la main sur ton front
Et toujours la mort entêtée
La mort vorace

Pierre Reverdy, Main d'œuvre,

Mercure de France, p. 412.

23/11/2025

Pierre Reverdy, Main d'œuvre

                             

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                 Lumière rousse


On accroche le ciel d’automne aux quatre coins
               Un tambour résonne
Des pas dans le vent
                             Le regard qu’on donne
                            À chaque passant
Les flammes effilées à travers les barrières
                            Les maisons retournées
                            Tous les dos en prières
Et les jours perdus dans les aventures
                                     le long des années
Il n’y a pas de temps
Mais de la poussière
ou l’eau du printemps
dans chaque clairière au regard ardent
Sous les flocons plus lourds
Sous le poids des nuages
Il reste encore un tour à faire sur la page
Un nom qui se traîne
Un cœur qui s’en va
Ce n’est pas la peine 
De s’arrêter là
                                     Personne dans la marge
Plus rien sur le trottoir
                                     Le ciel est plein d’orages

 

Pierre Reverdy, Main d’œuvre, poèmes, 1913-1949,

Mercure de France, 1949.

22/11/2025

Pierre Reverdy, Le épaves du ciel

                                   

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                             La repasseuse


         Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
         Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.


                                      Cœur à cœur

Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va

Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte

On pourrait crier
                  Personne n’entend
On pourrait pleurer
                  Personne ne comprend

J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser

S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend

Pierre Reverdy, Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22, 86-87.


21/11/2025

Pierre Reverdy, Le livre de mon bord

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Le style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit. On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité dans le style que dans la pensée.


L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le font grand ou petit.

Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa pensée.


Pierre Reverdy, Le livre de mon bord, Mercure de France, 1948,  p. 47-48, 162, 210.

20/11/2025

Pierre Reverdy, Gant de crin

pierre reverdi, gant de crin, image

Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.


Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.


Pierre Reverdy, Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

 

23/09/2025

Pierre Reverdy, En vrac

pierre reverdy, en vrac, émotion, réalité"

La poésie est atteinte quand une œuvre d’art quelconque s’intègre, ne fût-ce qu’un moment, à la vie réelle de l’homme par l’émotion qu’elle provoque dans son esprit et comme dans sa chair. La poésie n’est dans rien d’autre que dans la mise en commun d’aspirations diverses auxquelles l’œuvre d’art peut donner la violente illusion de s’être rencontrées.

 

Le poète ne s’occupe pas et ne doit pas s’occuper de l’émotion que pourra provoquer son œuvre. Il ne doit et ne peut connaître ou reconnaître, dans son œuvre, que l’émotion qui lui a donné l’élan nécessaire à sa création. Mais, plus cette œuvre sera loin de cette émotion, plus elle en sera la transformation méconnaissable et plus vite elle aura atteint le plan où elle était, par définition, destinée à s’épanouir et vivre, ce plan d’émotion libérée où se transfigure, s’illumine et s’épure l’opaque et sourde réalité. 

 

On ne fait pas de la poésie. On écrit des poèmes en risquant sa chance ; on peint des tableaux, on compose un morceau de musique et il s’en dégage de la poésie ou il ne s’en dégage pas, c’est-à-dire qu’on a écrit, peint, composé absolument pour rien, ou bien…

 

Le poète doit voir les choses telles qu’elles sont et les montrer ensuite aux autres telles que, sans lui, ils ne les verraient pas.

 

L’art et la poésie ne sont là que pour puiser dans la nature ce que la nature ne fait pas.

 

Je vis, d’abord — j’écris, parfois, ensuite. Mais il m’arrive de sentir davantage ce que veut dire vivre en écrivant.

 

Pierre Reverdy, En vrac, Flammarion, 1989, p. 33, 42-43, 78, 96, 99, 185.

 



 

 

 

 

 

16/04/2025

Pierre Reverdy, Nord-Sud

                             

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                                Littérature 

   Dans un coin de petits personnages se dont face. Derrière chacun d’eux, il y a une glace. Et ils se retournent pour écrire, car ils écrivent. Plus énorme à leurs yeux que l’actualité — qui pourtant leur est chère (de quoi s’occuperaient-ils ?) — chacun parle de soi et se félicite. Ils se félicitent même l’un l’autre… humblement. Il y a aussi ce petit concert de voix d’enfants encore naïfs qui trépignent de joie. On entend des applaudissements nombreux. Les acteurs eux-mêmes applaudissent.

   Quand on a fini de parler de soi-même quelqu’un prend l’encensoir et le promène sous le nez de quelque faux grand homme en forme de mannequin. À l’enseigne de … la boutique est fermée.

   La muflerie est un courage autant qu’encourir les rigueurs de la censure (celui-ci très recherché). Et on travaille ferme pour la littérature.

 

Pierre Reverdy, Nord-Sud, dans Œuvres

complètes, Flammarion, 2010, p. 486.

15/04/2025

Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé

pierre reverdy, le cadran quadrillé, le temps demain

Le temps demain

 

La flamme au cadre

Et le visage au fond du puits

                  À son rebord

On entend la musique sourde 

   l’esprit s’endort

Le chemin dans le ciel bordé de briques rouges

La rampe où se suivent les mains

         Devant les paupières fermées

Près du jardin

Les armes suspendues

         La lune sur la tête

Et l’heure qui sort de la croisée

 

            En même temps qu’une voix claire

         Peut-être rien

 

Pierre Reverdy, La cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 833.

 

 

14/04/2025

Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit

pierre reverdy, les ardoises du toit, vivre

                Et là

 

Quelqu’un parle et je suis debout

Je vais partir là-bas à l’autre bout

                           Les arbres pleurent

Parce qu’au loin d’autres choses meurent

                           Maintenant la tête a tout pris

 

Mais je ne l’ai pas encore compris

Je marche sur tes pas sans savoir qui je suis

Il faut passer par une porte où personne n’attend

                  Pour un impossible repos

Tout s’écarte et montre le dos

                           Un peu de vide reste autour

Et pour revivre d’anciens jours

Une âme détachée s’amuse

Et traîne encore un corps qui s’use

Le dernier temps d’une mesure

Plus tendre et plus déchirant

Plus tenace et plus déchirant

Un chagrin musical murmure

 

Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres

complètes, Flammarion, 2010, p. 229.

 

13/04/2025

Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit

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        Carrefour

 

«’arrêter devant le soleil

                               Après la chute ou le réveil

    Quitter la cuirasse du temps

Se reposer sur un nuage blanc

Et boire au cristal transparent

                         De l’air

                                    De la lumière

Un rayon sur le bord du verre

Ma main déçue n’attrape rien

Enfin tout seul j’aurai vécu

Jusqu’au dernier matin

 

Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin

 

Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres

complètes, Flammarion, 2010, p. 201.

12/04/2025

Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit

            

pierre reverdy, les ardoises du toit, nuit

              Minute

 

     Il n’est pas encore revenu

Mais qui dans la nuit est entré

     La pendule les bras en croix

               S’est arrêtée

 

Pierre Reverdy, Leq Ardoises du toit, dans

Œuvres complètes, I, Flammarion 2010, p. 185.

11/04/2025

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale

pierre reverdy, la lucarne ovale absence

Grandeur nature

 

Je vois enfin le jour à travers les paupières

Les persiennes de la maison se soulèvent

Et battent

Mais le jour où je devais le rencontrer

N’est pas encore venu

 

Entre le chemin qui penche et les arbres il est nu

Et ces cheveux au vent que soulève le soleil

C’est la flamme qui entoure sa tête

 

Au déclin du jour

Au milieu du vol des chauves-souris

Sous le toit couvert de mousse où fume une cheminée

 

Lentement

Il s’est évanoui

 

Au bord de la forêt

Une femme en jupon

Vient de s’agenouiller

 

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 109.

21/02/2025

Pierre Reverdy, La Guitare endormie

pierre reverdy,la guitare endormie

                 

                                La vie fragile

 

Plus loin entre la plante grasse et le rideau

             Dresser l'échelle

Les formes qui remuent dans le fond du jardin sont blanches

    d'autres noires

Selon le mouvement brutal du réflecteur

              Les maillots des arbres sont roses

Mais au premier plan une main tient la clef du cœur

Un couple ailé marche dans des couleurs qui changent

                     Celui qui vole bas c'est l'homme

                          Celui qui va à pied c'est l'ange

Les yeux luttent dans la lumière

                      La lampe fraîche du matin

Un fil cassé descend derrière

                      La tête nue s'incline et barre le chemin

                      Tout le reste est recouvert de feuilles mortes

Quant au ciel il s'ouvre par le fond et de côté mais en triangle

 

Pierre Reverdy, La Guitare endormie. [1919], dans Œuvres complètes I,  "Mille&unepages", Flammarion, 2010, p. 262.

30/07/2024

Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie

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Réponse à l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? »

 

Vous m’écrivez pour me demander

J’écris pour vous répondre

On écrit aussi pour faire parler de soi, en s’occupant bien plus de faire écrire sur ses œuvres que de savoir si elles sont dignes qu’on en parle ; mais ceci est une tendance ! Pour le moment je ne lis que les affiches électorales. Eh bien, on écrit aussi pour que les autres en prennent de la graine !!! Vous comprenez ce qu’il y a !

                                            Littératuren°10, décembre 1919.

 

Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 562.