17/04/2015
Raymond Queneau, Fendre les flots
Quel est ton nom ?
Quel est ton nom ?
— Mon nom est naufrage
mon nom découpe l’horizon
seul, seul un mât surnage
survivrai-je à cet orphéon ?
L’ouragan étend ses trompettes
la mer multiplie ses trempettes
survivrai-je à ce rigodon ?
tout se tait puis tout se calme
la constance me tend sa palme
merci ! encore un effort
pour trouver quelque dictame
dans la perspective d’un port
Un chemin d’eau
Mon avenir est-il sur l’eau
souventes fois me le demande
Où est-il le temps des limandes
où nageant comme un serpentin
je traçais à travers les ondes
mon petit tout petit chemin
mais le crauleur s’est assagi
en restant sur la terre ferme
marcher sur l’eau est difficile
prendre le bateau bien banal
l’Océan dans mon esprit
engendre ici ces poésies
Je marche le long du canal
en regardant les chalands lents
poursuivre leur chemin fatal
vers le port de débarquement
Raymond Queneau, Fendre les flots,
Gallimard, 1969, p. 57 et 170.
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19/08/2014
Christiane Veschambre, Fente de l’amour
au chemin creux
glaise et pierres
demeure
ma demeurée
m’attend
— pas moi
mais celle que la mort lavera
l’amour cherche
une chambre en nous
déambule dans nos appartements meublés
parfois
se fait notre hôte
dans la pièce insoupçonnée mise à jour par le rêve
creuse
entre glaise et pierres
un espace pour mon amour
n’ai que lui
pour osciller
comme la tige à l’avant de l’aube
au respir de l’amour
— la vaste bête
qui tient contre elle
embrassée
la demeurée du chemin creux
Christiane Veschambre, Fente de l’amour, illustrations de
Madlen Herrström, éditions Odile Fix (Bélinay, 15430
Paulhac), 2011, n.p.
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15/07/2014
Valérie-Catherine Richez, Précipités
J'étais perchée sur ce miroir zébré de griffures. L'endroit où les blessures remontent à la surface. Sous l'eau miroitantes je voyais tournoyer les poissons carnassiers. Je me souvenais d'eux. Le les appelais par leurs noms. Dents acérées. Rien ne pourrait nous consoler. À certaines heures on aurait voulu tout renier. On se roulait sur le sol jusqu'à peser des pierres. Jusqu'à chuter.
Chaque nuit on jette un corps.
Bancs de lueurs flottantes passant comme des nuées dans la mer, glissant sans bruit sur nos paupières — Peut-être ne devrions-nous jamais parler que de cette nuit où nous marchons, jusqu'à la vider entièrement de son sens. Jusqu'au silence. Prendre si souvent chaque avenue, chaque rue, chaque ruelle, qu'on sache les parcourir les yeux fermés. Et chaque fois nous-mêmes, courants d'air comme usés, épuisées, incréés.
Quelqu'un qu'on ne verra jamais.
Valérie-Catherine Richez, Précipités, éditions isabelle sauvage, 2014, p. 5-6.
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15/12/2012
Adonis, Chronique des branches
Miroir du chemin, Chronique des branches
I
Non pas l'estuaire des miroirs,
non pas la rose des vents.
Toute chose est une aile
ascendante dans mon sang,
dans les champs,
nageant dans l'orbite des saisons.
J'ai fait de mon visage le frère de l'herbe
et mes pas se sont livrés à la nostalgie
des miroirs.
J'ai vu les éléments pleurer, ouvrir
entre nous la blessure fraternelle.
J'ai reconnu le signe attestant
que je suis prélude à l'annonciation,
plante de l'Orient au jardin de la prophétie.
Non pas l'estuaire des miroirs,
non pas la rose des vents.
Toute chose est chemin,
les frontières et leurs étendards,
la rencontre et son ascension,
la voix, ma voix dans mes paumes,
les oiseaux qui s'éloignent
et laissent leurs noms parmi les branches,
les branches et leur histoire.
Adonis, Chronique des branches, traduit de l'arabe
par Anne Wade Monkowski et présenté par
Jacques Lacarrière, édition bilingue, Orphée /
La Différence, 2012, p. 47 et 49.
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