17/02/2014
Guy Goffette, Un manteau de fortune (2)
Psaumes pour le temps qui me dure d'être sans toi
Le jour est si fragile à la corne du bois
que je ne sais plus où ni comment ce matin
poser mes yeux, ma voix, poser ce corps d'argile
si drôlement qui craque à la croisée des ombres.
J'ai peur soudain, oui, peur de n'être que cela :
une poignée de terre qu'un souffle obscur à l'aube
tient dans sa paume, et qu'il ne s'épuise d'un coup
et me laisse tomber dans la poursuite du temps,
comme ces fruits qu'aucune bouche n'a touchés
et qui roulent sans fin dans la nuit des famines.
Seigneur, si vous êtes ce souffle obscur et si
fragile à la corne du bois, et si je suis
ce corps, resserrez votre paume, resserrez)la.
Aux marges
Il reste deux ou trois choses
à dire sous le ciel, deux
ou trois seulement par quoi
les poètes comme les chevaux
les chiens perdus, les lisières
se reconnaissent — c'est un
creux, une ride, une veilleuse
dans la nuit de l'œil _ deux
ou trois choses à peine
qu'on peut entendre et qui
nous tiennent comme l'ét
dans la langue d'avril
à la merci des marges.
Guy Goffette, Un manteau de fortune, suivi de L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne, Préface de Jacques Réda, Poésie/Gallimard, 2014, p. 159, 192.
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16/02/2014
Guy Goffette, Un Manteau de fortune
Défense de Verlaine
Pauvre Lélian, mon vieux Verlaine, vil défroqué,
qu'ils disent, toute débauche et sale et laid comme
un cochon de Chine, et poivrot par-dessus et,
par-dessous la vase verte quoi ? quoi qui sonne
et qui reste à ton crédit ? une âme qui file
doux sous la laine et vague un peu dans les brouillards ?
mais cette âme-là, cachée sous le noir sourcil,
est d'un ange, ô fruste certes, louche et braillard
comme un arbre peint par la tempête d'un ange,
vous dis-je, qui se fiche bien du tiers et du
quart, pourvu que l'eau des yeux dans son vers se change
en un vin léger qui tremble quand on l'a bu,
tremble encre, tremble longuement, tremble et trouble
jusqu'au lit où, rivières, nous couchons nos vies
petites, blêmes, racornies et parfois doubles
aussi, moins exposées aux vents de toute envie
que toi, Verlaine, parmi les plumitifs et les
rassis, toi, vieil enfant rebelle à tout ce qui
pèse ou qui pose, boiteux à la route ailée
avec l'âme tendre à jamais dans son maquis.
I. Travaux d'aveugle
Ô bucheron assis dans l'ombre
que réveillait l'enfant des bois
près de Rambervilliers, tais-toi,
laisse chanter la voix sans nombre
de l'arbre couché dans ses feuilles.
Elle a comme une femme blonde
dans le sillage de ses pas
jeté le sel du rêve, elle a
cousu nos âmes vagabondes
à la voile bleu de son œil.
Et nous voici, tâchant dans l'ombre
avec des mots de rien des voix
perdues, et des touchers de soie
comme un marieur de décombres
dans tes dentelles, ô poésie.
Guy Goffette, Un Manteau de fortune, suivi de
L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne,
Préface de Jacques Réda, Poésie/Gallimard, 2014,
p. 71-72, 83.
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