20/02/2020
Luis Cernuda (1902-1963), La Réalité et le Désir
Birds in the night
Le gouvernement français, ou le gouvernement anglais peut-être ? apposa une
plaque
sur cette maison du 8 Great College Street, Camden Town, Londres,
où dans une chambre, Rimbaud et Verlaine, curieux couple,
ont véxu, bu, travaillé, forniqué,
pendant quelques courtes semaines orageuses.
À l’inauguration assistèrent sans doute l’ambassadeur, le maire,
tous ceux qui furent ennemis de Verlaine et Rimbaud quand ils
étaient vivants.
La maison, comme le quartier, est triste et pauvre,
de la tristesse sordide qui va toujours avec la pauvreté,
non de la tristesse funéraire de la richesse sans âme.
Lorsque tombe le soir, comme de leur temps,
sur le trottoir, dans l’air humide et gris, un piano mécanique
joue, et des habitants, au retour du travail,
les uns — les jeunes — dansent, les autres vont au café.
Courte fut l »’amitié singulière de Verlaine l’ivrogne
et de Rimbaud le voyou : ils avaient de longues disputes.
Mais nous pouvons penser que peut-être il y eut
un bon instant pour tous les dexu, du moins si chacun se rappelait
qu’ils avaient laissé derrière eux une mère insupportable et
une ennuyeuse épouse.
Mais la liberté n’est pas de ce monde, et les affranchis
en rupture avec tout, doivent la payer un prix fort.
[...]
Luis Cernuda, La Réalité et le Désir, traduction R. Marrant et A. Schulman, Gallimard, 1969, p. 151 et 153.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luis cernuda, la réalité et le désir, verlaine, rimbaud, londrès | Facebook |
09/01/2015
Isabelle Garron, Corps fut, “Suite 4”
Suite n° 4
retour] .dernier bain de saison
premiers pas sur la terre
neuve dans les dédales
leurs peaux sont
brunes
les filles du port vont autant
qu'elles possèdent les yeux
plus noirs
que l'olive sur l'arbre
l'oursin au fond
du seau
Nos peaux s'apparentent à celles
des serveuses de leurs
époux
en cuisine, en bateau
aux comptoirs des
cabanes
un lieu d'où tu ne m'as point
écrit
en cette journée prolongée
quelque chose de séparé
de certain et d'inclassable
a enfin lieu de sorte
que la rive du voyage
se rapproche aussi
de la fin du voyage
que le temps est
court celui par
lequel l'oracle attendu
par un monde qui
nous abrite
et quelle joie nous
guette .si possible
en plein jour.
Londres : un après-midi : l'entaille
de la couleur sur le mur de droite
dans la grande salle une
suture violette comme un velours
sur la même surface fleurit un imprimé
tons orange et vert empreintes bleu
orage cernées de ciel clair
je tombe tu me retiens
[...]
Isabelle Garron, Corps fut, “Suite 4”,
Flammarion, 2011, p. 137-141.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : isabelle garron, corps fut, “suite 4”, voyage, corps, londres | Facebook |
27/02/2013
William Cliff, Marcher au charbon
Londres
Sur un trottoir de cette ville
on l'a trouvé étendu mort
j'ignore encor s'il faisait froid
dehors quand il s'est résigné
à se laisser crever j'ignore
aussi ce qu'a duré son a-
gonie si le remords a tra-
versé son âme au moment du
trépas (c'était un beau garçon
intelligent sentimental
un des plus fins produits
de notre bourgeoisie
d'avoir lu Nitche et d'autres livres
ça lui aura été fatal —
ainsi l'on parle des défunts
sans savoir ce qu'ils ont été,
il ne nous reste de plus d'un
que lourd silence et corps figé.
L'oubli t'a rendu plus ténu
qu'un fil de vent dans la bourrasque :
peut-être que ce qui perdure
de toi n'est que cette écriture.
William Cliff, Marcher au charbon,
Gallimard, 1978, p. 81.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : william cliff, marcher au charbon, londres, mort, écriture | Facebook |