02/04/2017
Jacques Borel, Commémorations
La collection
Pendant des années, je n’ai pas pu passer par cette étroite rue qui fait un coude, à l’angle d’une place irrégulière où saillent, au milieu, deux ou trois maisons plus anciennes et plus basses, aux hautes toitures de tuiles petites, brunies et rectangulaires comme il n’en existe plus nulle part dans la ville, mais dans des villages seulement, toujours plus reculées, aux alentours, sans m’approcher, une fois de plus, de cette boutique devant laquelle, enfant, adolescent, m’avait, au sortir du lycée, si souvent immobilisé la rêverie, et de nouveau, ramené par la même fascination, je n’étais plus que ce regard qui me quitte, franchit la cloison transparente et coule au loin, dans l’eau, dans l’air empoussiéré de la vitrine, à travers les étoiles de mer séchées, les éponges, les coquillages — corne d’abondance tarie et ridée de l’euplectelle, oreille déchiquetée de la strombe, pareille à celles, monstrueuses, démesurées , de ces idiots couverts de bave, à Ligenèse, spires, volutes, cœur pétrifié du cardium et, sur une étagère en retrait, cette conque aux lèvres entrouvertes où affleure le murmure d’une mer captive—,
(…)
Jacques Borel, Commémorations, Le temps qu’il fait, 1990, p. 165-166.
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