30/07/2015
Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve ; William Cliff
am Cliff
XIII
Ah si vous étiez vous à vous-même ! mais, amour, vous n’êtes vous-même à vous-même que tant que vit ici votre vous-même : contre cette fin qui accourt vous devez vous prémunir, et votre chère semblance à quelque autre la départir.
Alors cette beauté dont vous avez la jouissance, elle ne trouverait de fin alors vous seriez votre vous-même encore après mort de vous-même, votre doux fruit portant votre très douce forme.
Qui peut laisser si belle maison tomber à ruine, qu’un soin familier maintiendrait en honneur, contre bourrasque et vent du jour d’hiver et stérile rage du froid éternel de la mort ?
Oh seulement l’infécond. Cher amour vous savez que vous eûtes un père : que votre fils aussi de vous puisse le dire.
William Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 2081.
13
Est-ce que tu t’appartiens ? Mon Chéri,
tu ne t’appartiens pas sur cette terre
et avant que ton destin soit fini
tu dois donner de vivre à un autre être.
Lors ta beauté que tu tiens en partage
ne cessera pas avec ton décès
mais elle durera dans l’héritage
délectable que tu auras laissé.
Qui voudrait en effet que la froidure
puisse dégrader son bien tout entier
alors qu’il peut contre l’horreur future
sauver sa beauté par un héritier ?
Et toi-même n’as-tu pas eu un père ?
Fais donc un fils qui bénisse ta sève !
Shakespeare, Sonnets, traduction William Cliff,
Les éditions du Hasard, 2010, p. 33.
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31/03/2014
Shakespeare, Sonnet 1 (2)
Deux traductions du premier des Sonnets de Shakespeare.
From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory ;
But thou contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light's flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel,
Thou that art now the world's fresh ornament.
And only herald to the gaudy spring,
Within thine own bud buriest thy content,
And, tender churl, mak'st waste in niggarding,
Pity the world, or else theis glutton be,
To eat the world's due, by the grave and thee.
The Oxford Shakespeare, The Complete Works, Clarendon Press, Oxford, 1988, p. 751.
Des plus beaux êtres, nous voulons croissance
et que par eux la rose point ne meure,
qu'ils laissent dans leur tendre descendance
la richesse qu'ils eurent à leur heure ;
mais toi fasciné par tes propres yeux,
tu te nourris toi-même de ta flamme,
empêchant que le lit de tes aïeux
se perpétue en fécondant la femme.
Ô toi, du monde si bel ornement
mais seul héraut de tes années superbes,
hélas ! ton bourgeon meurt en enterrant
ce que tu devrais nous offrir en gerbes
car tu ne peux permettre qu'au tombeau
tu donnes tout entier ton corps si beau.
Shakespeare, Sonnets, édition bilingue, traduits par William Cliff, Les éditions du Hasard, 2010, p. 9.
Les êtres les plus beaux on voudrait qu'ils s'accroissent
et que jamais leur splendeur n'en vienne à mourir
mais puisque avec le temps ce qui mûtit périt
qu'en soit mémoire au moins quelque tendre héritier.
Mais toi tu ne te voues qu'à l'éclat de tes yeux,
tu en nourris le feu par ta propre substance,
tu crées de la famine en un lieu d'abondance,
ennemi de toi-même et cruel à ton charme.
Toi qui es aujourd'hui le chatoiement du monde
et le seul messager du triomphal printemps,
dans ton propre bourgeon tu enterres ta sève
et par économie, cher faraud, tu gaspilles.
Ô prends pitié du monde ou sinon dévores
toi et la tombe, ce qu'au monde vous deviez.
Shakespeare, dans Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004, édition de Jacques Réda, préface de J.M.G. Le Clézio, 2012, p. 232.
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