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21/04/2012

Jacques Dupin, Gravir

 

 

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                 La soif

 

J'appelle l'éboulement

(Dans sa clarté tu es nue)

Et la dislocation du livre

Parmi l'arrachement des pierres

 

Je dors pour que le sang qui manque à ton supplice,

Lutte avec les aromes, les genêts, le torrent

De ma montagne ennemie.

 

Je marche interminablement.

 

Je marche pour altérer quelque chose de pur,

Cet oiseau aveugle à mon poing

Ou ce trop clair visage entrevu

À distance d'un jet de pierres.

 

J'écris pour enfouir mon or,

Pour fermer tes yeux.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 55.

 

30/12/2011

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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   J'étais le seul. L'œil en activité. Elle était le nombre. Dormant. Le nombre, et le monstre. Dormant. Elle est le trait, la soif, l'herbe folle. Elle est la veuve, et l'éclair, d'un orage futur...

 

   Comme s'affile la lame, commence l'écoute, la dictée... Quelques gouttes de sang, et cet étirement du vide entre chien et loup...

   Difficulté des étoiles à me suivre. Allégresse du corps à les réfracter.

 

Séquence de l'eau qui te presse, te divise — te divinise. Qui m'enserre dans l'étreinte de son épaisseur liquide. Et noie le souffle, la voix. Sous son scintillement, sa divination. Sa course...

 

   Écrire sans casser le silence. Écrire, en violation d'un lieu qui se retire ; quadrature du texte, visage désencerclé, non-lieu... La rapacité du vide, le calme, — étonne ses proies...

 

   La terre et le ciel. Et la peur, la ligne d'horizon. Leur complicité et leur agonie. Fertilisant le fond de l'œil. Et leur guerre, les arrérages de la nuit.

 

   On me crève les yeux. C'est le jour. Je m'expose, en cette infirmité, écrivant : c'est le jour. Intouchable, désœuvré. Mal dégrossis par la dénégation du JOUR.

 

   Quelle créance claire oscille entre tes seins... Accompagnant, niant, le battement des étoiles contre la vitre... Broyant la couleur sur ma bouche... Ouvrant une veine de nuit dans la voix...

Rien... Soulevant l'herbe. Relevant sa trace dans l'herbe...

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1992, p. 91-97.

04/09/2011

Jacques Dupin, Gravir, Chansons troglodytes

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                           Francis Bacon, Portrait of Jacques Dupin, 1990

 

             Ta nuque, plus bas que la pierre,

Ton corps plus nu

Que cette table de granit…

 

Sans le tonnerre d’un seul de tes cils,

Serais-tu devenue la même

Lisse et insaisissable ennemie

Dans la poussière de la route

Et la mémoire du glacier ?

 

Amours anfractueuses, revenez,

Déchirez le corps clairvoyant.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 94.

 

 

           Romance aveugle

 

Je me suis perdu dans le bois

dans la voix d’une étrangère

scabreuse et cassée comme si

une aiguille perçant la langue

habitait le cri perdu

 

coupe claire des images

musique en dessous déchirée

dans un emmêlement de sources

et de ronces tronçonnées

comme si j’étais sans voix

 

c’en est fait de la rivière

c’en est fini du sous-bois

les images sont recluses

sur le point de se détruire

avant de regagner sans hâte

 

la sauvagerie de la gorge

et les précipices du ciel

le caméléon nuptial

se détache de la question

 

c’en est fini de la rivière

c’en est fait de la chanson

 

l’écriture se désagrège

éclipse des feuilles d’angle

le rapt et le creusement

dont s’allège sur la langue

la profanation circulaire

 

d’un bond de bête blessée

la romance aveugle crie loin

 

que saisir d’elle à fleur de cendre

et dans l’approche de la peau

et qui le pourrait au bord

de l’horreur indifférenciée

[…]

Jacques Dupin, Chansons troglodytes, Fata Morgana, 1989, p. 21-23.