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29/10/2013

Mary Oliver, "Wild Geese", dans Dream Work

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                   Les oies sauvages

 

Vous n’avez pas à être sages.

Vous n’avez pas à traverser à genoux

des centaines de kilomètres de désert, en repentance.

Vous avez juste à laisser le doux animal de votre corps

aimer ce qu’il aime.

Parlez-moi du désespoir, le vôtre, je vous parlerai du mien.

Pendant ce temps le monde avance.

Pendant ce temps le soleil et les limpides galets de pluie

traversent les paysages,

survolent les plaines et les forêts profondes,

les montagnes et les rivières.

Pendant ce temps les oies sauvages, là-haut dans le pur air bleu,

sont sur le chemin du retour.

Qui que vous soyez, en quelque solitude,

le monde s’offre à votre imagination,

vous appelle comme les oies sauvages, rude et passionnant —

et indéfiniment signale votre place

dans la famille des choses.

                                       *

Wild Geese 

You do not have to be good. 
You do not have to walk on your knees 
for a hundred miles through the desert, repenting. 
You only have to let the soft animal of your body

 love what it loves. 
Tell me about despair, yours, and I will tell you mine. 
Meanwhile the world goes on. 
Meanwhile the sun and the clear pebbles of the rain 
are moving across the landscapes, 
over the prairies and the deep trees, 
the mountains and the rivers. 
Meanwhile the wild geese, high in the clean blue air, 
are heading home again. 
Whoever you are, no matter how lonely, 
the world offers itself to your imagination, 
calls to you like the wild geese, harsh and exciting —
over and over announcing your place 
in the family of things.

 

Mary Oliver, "Wild Geese", extrait de Dream Work, The Atlantic Monthly Press, 1986, p. 14. Traduction inédite de Chantal Tanet et Melissa Nickerson.

 

 

 

23/03/2013

Écrits de Laure

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   Je le sens bien maintenant : « mon devoir m'est remis » lequel exactement ?

   C'est parfois si lourd et si dur que je voudrais courir dans la campagne.

   Nager dans la rivière

    oublier tout ce qui fut, oublier l'enfance sordide et timorée, le vendredi Saint, le mercredi des cendres,

   l'enfance tout endeuillée à odeur de crêpe et de naphtaline.

   L'adolescence hâve et tourmentée.

   Les mains d'anémiée.

   Oublier le Sublime et l'infâme

   Les gestes hiératiques

   Les grimaces démoniaques.

     Oublier

     Tout élan falsifié

     Tout espoir étouffé

     Ce goût de cendres

     Oublier qu'à vouloir tout

     on ne peut rien

 

   Vivre enfin

   « Ni tourmentante

   Ni tourmentée »

   Remonter le cours des fleuves

   Retrouver les sources des montagnes

   les femmes les vrais hommes travailleurs

   qui enfantent

   moissonnant

   M'étendre dans les prairies

   Quitter ce climat

   Ses dunes, ses landes sablonneuses, cette grisaille et ses déserts artificiels,

   Ce désespoir dont on fait vertu,

   Ce désespoir qui se boit

   se sirote à la terrasse des cafés

   s'édite... et ne demanderait qu'à nourrir très bien son homme

   Vivre enfin

   Sans s'accuser

   ni se justifier

   Victime

   ou coupable

   Comment dire ?

   Un tremblement de terre m'a dévastée

 

   On t'a mordu l'âme

   Enfant !

   Et ces cris et ces plaintes

   Et cette faiblesse native

   Oui —

   Et s'ils ont vu mes larmes

   Que ma tête s'enfonce

   jusqu'à toucher

   le bois

   et la terre.

 

Écrits de Laure, précédé de Ma mère diagonale de Jérôme Peignot, avec un "vie de Laure" par Georges Bataille, Pauvert, 1971, p. 227-229.

27/03/2012

Bernard Delvaille, Blues, dans Poèmes (1951-1981)

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      Rencontre

 

Dans les couloirs du métro vers minuit

j'allais seul hâtant le pas

Lorsque j'arrivai sur le quai

je m'aperçus que j'étais suivi

Un homme marchait derrière moi

il fumait une cigarette bleue

et était habillé de noir

avec un immense col blanc

il n'avait pas de cravate.

Je fis comme si je ne l'avais pas vu

Le métro arriva alors en sifflant

Au moment où je soulevais le loquet

L'homme s'approcha de moi

et me murmura lentement à l'oreille

Ne crains rien Je suis le Désespoir

La porte se referma Le métro démarra

L'homme resta seul sur le quai

Je le vis encore au loin quelques secondes

il avait un revolver à la main

et il l'appuyait contre sa tempe

 

Bernard Delvaille, Blues, dans Poèmes (1951-1981),

Seghers, 1982, p. 247.

19/03/2012

Emily Jane Brontë, Poèmes (1836-1846)

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      Il devrait n'être point de désespoir pour toi

 

Il devrait n'être point de désespoir pour toi

Tant que brûlent la nuit les étoiles,

Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,

Que le soleil dore le matin.

 

Il devrait n'être point de désespoir, même si les larmes

Ruissellent comme une rivière :

Les plus chères de tes années sont-elles pas

Autour de ton cœur à jamais ?

 

Ceux-ci pleurent, tu pleures, il doit en être ainsi ;

Les vents soupirent comme tu soupires,

Et l'Hiver en flocons déverse son chagrin

Là où gisent les feuilles d'automne.

 

Pourtant elles revivent, et de leur mort ton sort

Ne saurait être séparé ;

Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie

Du moins jamais le cœur brisé.

             

                                              [Novembre 1839]

 

      There should be no despair for you

 

There should be no despair for you

While nightly stars are burning,

While evening sheds its silent dew,

Or sunshine gilds the morning.

 

There should be no despair, though tears

May flow down like a river:

Are not the best beloved of years

Around your heart forever ?

 

They weep — you weep — it must be so;

Winds sigh as you are sighing;

And Winter pours its grief in snow

Where Autumn's leaves are lying.

 

Yet they revive, and from their fate

Your fate cannot be parted,

Then journey onward, not elate,

But never broken-hearted.

 

                                                 [November, 1839]

 

Emily Jane Brontë, Poèmes (1836-1846), choisis

et traduits d'après la leçon des manuscrits par Pierre Leyris,

édition bilingue, [1963], Poésie / Gallimard, 1983, p. 87 et 86.