10/03/2018
Marina Tsevetaeva, La diable et autres récits
Ma mère et la musique
Lorsqu'au lieu d'Alexandre, le fils désiré, réclamé, presque commandé au destin, vint au monde une fille, moi, rien que moi, ma mère avala un soupir avec dignité et dit : « Du moins, elle sera musicienne ». Et lorsque le premier mot manifestement absurde mais tout à fait distinct que je prononçais avant d'avoir un an fut "gamme", ma mère se contenta de réaffirmer : « je le savais bien » et entreprit aussitôt de m'apprendre la musique, me clamant sans cesse cette gamme : « Do, Moussia, et ça c'est ré, do-ré... ». Ce do-ré se transforma bientôt pour moi en un livre énorme, la moitié de ma propre taille, un "rivre" comme je disais alors, son "rivre" à elle, avec un couvercle sous le mauve duquel l'or perçait avec une force si effroyable, que jusqu'à présent j'en ressens en un coin secret, le coin d'ondine de mon cœur, la chaleur et l'effroi, comme si, ayant fondu, cet or sombre se fut déposé tout au fond de mon cœur et que de là, il s'élevât au moindre contact pour m'inonder tout entière jusqu'au bord des paupières et m'arracher des larmes brûlantes.
Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits, traduction et postface de Véronique Lossky, L'âge d'homme, 1979, p. 65.
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18/08/2017
Marina Tsvetaeva, Averse de lumière (sur Pasternak)
Pasternak est un grand poète. Il est aujourd’hui le plus grand de tous ; la plupart des poètes authentiques ont été, quelques-uns sont, lui seul sera. Car il n’est pas encore tout à fait : balbutiement, pépiement, tintement — il est tout A-venir ! — éructation de nouveau-né, et ce nouveau-né — c’est le Monde. Hoquetant de hâte. Suffocant d’inspiration. Pasternak ne dit pas, il n’a pas le temps de dire jusqu’au bout, il est tout explosion — comme si sa poitrine n’était pas assez grande : a-ah ! Il ne connaît pas encore nos mots : il parle une sorte de babil — de paradis perdu — îlien, énigmatique — qui vous jette à la renverse.
Marina Tsvetaëva, Averse de lumière, traduction du russe Denise Yoccoz-Neugnot, Clémence Hiver, 1988, np.
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26/11/2014
Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits
Ma mère et la musique
Lorsqu'au lieu d'Alexandre, le fils désiré, réclamé, presque commandé au destin, vint au monde une fille, moi, rien que moi, ma mère avala un soupir avec dignité et dit : « Du moins, elle sera musicienne ». Et lorsque le premier mot manifestement absurde mais tout à fait distinct que je prononçais avant d'avoir un an fut "gamme", ma mère se contenta de réaffirmer : « je le savais bien » et entreprit aussitôt de m'apprendre la musique, me clamant sans cesse cette gamme : « Do, Moussia, et ça c'est ré, do-ré... ». Ce do-ré se transforma bientôt pour moi en un livre énorme, la moitié de ma propre taille, un "rivre" comme je disais alors, son "rivre" à elle, avec un couvercle sous le mauve duquel l'or perçait avec une force si effroyable, que jusqu'à présent j'en ressens en un coin secret, le coin d'ondine de mon cœur, la chaleur et l'effroi, comme si, ayant fondu, cet or sombre se fut déposé tout au fond de mon cœur et que de là, il s'élevât au moindre contact pour m'inonder tout entière jusqu'au bord des paupières et m'arracher des larmes brûlantes.
Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits, traduction et postface de Véronique Lossky, L'âge d'homme, 1979, p. 65.
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