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08/11/2014

Caroline Sagot-Duvauroux, Le Vent chaule, suivi de L'Herbe écrit

 

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                         Lecture avec Jean-Louis Giovannoni

 

Même sans histoire maman faut bien vivre. Avant le grand cri dessus l'étendue, tu as pituité par moitié de bouche c'est un peu tôt non ? mais j'ai déguerpi rincer ma honte au whisky. Ta tendresse dis, c'est au naturel ou c'est concocté par foi l'espérance et la charité ? je suis dans la rue ne suis rien qu'à me confier le guidon. Pourquoi n'ai-je pas la mémoire d'enfance ? j'ai des trous. Où je dissimule des livres d'amour et mon cœur de pierre, Thomas touche des trous sur le corps de Jésus. Touche des trous pour croire. Je touche des trous mais j'ai pas le reste de Jésus autour. 

Sans mémoire ni cigogne toujours s'en va-t-en guerre on est. Revenir c'est écrire mutilé tout à fait. Ce qu'on fait. On compte les absents mais coupée des servages jarret fendu des marronnages. Entre, on plante la bourrache, l'herbe à chat, valériane et patates et des ormes pour l'ombre. On métisse on parle. Sur la terre tétée de récoltes impériales on plante des absences et des tentatives on écrit.

 

Caroline Sagot-Duvauroux, Le Vent chaule, suivi de L'Herbe écrit, Corti, 2009, p. 69.

20/02/2012

Caroline Sagot-Duvauroux, Le Vent chaule

 

images.jpegProblème : peut-on supporter d'être parmi. Objet soi-même parmi les objets dont on a perdu l'usage et qui retrouvent leur condition de chose et nous font leçon. Que faut-il faire ? qu'est-ce que je peux faire ? Tenir au plus près du vent. Laisser s'échapper ce qui peut s'échapper. Cesser de souffrir affreusement de l'anachronisme entre séduction et vérité. J'entends par vérité l'audace de n'être que là. Non distrait du cours mais chopé quelquefois par un autre cours. Sauter d'un misérable saut, le regard planté, local, où ça bouge. N'être que le sursaut d'une braise dans la fournaise. S'accepter du moindre souffle. Refuser la castration d'un mode. S'attacher à la soif non au goût. Tenter tenter. La polyphonie est trop arrangée trop sublime pour la vérité. Cacophonie va mieux, je suis désolée. L'irrécupérable est aussi le boulot de la poésie. Peut-être faut-il jeter le livre tout de suite. Le laisser aux poches de résistance à l'état rélictuel que l'on trouve dans les décharges. Madame de Lafayette nous voici. Aux poches avec poing mouchoir poussière toute une vie dit Beckett. S'y connaît en embosse cap au pire. L'incertitude est un espoir quelquefois. Ce n'est pas tout à fait triste. Et si je ne fais pas ça, je mens. Et ça c'est cahots, choses avec promesses ça et là. Je peux tirer quelques phrases heureuses, quelques trouvailles, les recueilir. Mais la lame de fond ! qui démantèle tout ce qui se présente avant même que le corps se dépouille de l'annonce, corps du récit, corps du pamphlet, corps du poème, corps, corps, corps, jusqu'au corps du Christ ! Mais la lame de fond, l'étrange broussaille de sensations, analogies, qui afflue Devant. D'où la pensée lèvera peut-être, non préalable. Le minotaure invisible, le déferlement souterrain des apories qui fend les jarrets du grand récit, la lame de fond, si je ne sais la dire je ne peux la dédire. Et je ne sais la dire, alors je laisse flotter au bord du néant des friches de langues ou d'histoires qui s'entêtent comme du chiendent. Ça me coûte beaucoup mais j'ai une joie à l'hasardeux pari qu'une lecture écrira. C'est ce qui manque que j'aimerais donner le plus et le donner manquant. Le lien. L'ordre brisé.

 

 

Caroline Sagot Duvauroux, Le Vent chaule, suivi de L'Herbe écrit, éditions José Corti, 2009, p. 108-109.