Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/04/2011

Michel Leiris & Georges Limbour, André Masson et son univers

Michel Leiris, Georges Limbour, André Masson, autoportrait           Dans le feu de l’inspiration

 

     Si les objets des natures mortes — mettons : les pommes — étaient conscients et savaient parler, quels vivants et indiscrets portraits des peintres ils pourraient faire ; car ils connaîtraient leur regard dans l’action, et leurs passions, et leurs manies. Si l’œil du peintre saisit un secret des choses, ces choses, ayant soutenu le regard du peintre alors qu’il se croyait seul et non observé, auraient aussi saisi une part de son secret, ou plutôt de son intimité. Ah ! quel malheur que ce ne soit jamais les choses qui prennent le peintre pour modèle !

     Malgré que l’on rencontre beaucoup de peintres à l’ouvrage à l’orée des bois et sur les falaises, il est rare de voir un peintre au travail, je pense : de pouvoir s’installer face à son regard et de le dévisager comme un diable assis sur son chevalet, au centre même de son inspiration, ce qui n’aurait sans doute d’intérêt que… psychologique et ne satisferait qu’une vicieuse curiosité.

     Pourtant de grands artistes ont voulu s’observer dans leurs moments de concentration le plus intense et nous ont laissé des autoportraits où ils se représentent, la palette à une main et les pinceaux dans l’autre. Il est vrai que pour certains ils ne donnent là que leur portrait en général, non dans l’acte de peindre, et s’ils tiennent bien palette et pinceaux, ils se détournent néanmoins du chevalet, vers un spectateur imaginaire, dans une attitude d’apparat. Ces portraits sont les moins intéressants. Mais il en est d’autres, où le regard du peintre se scrute lui-même avec une évidente angoisse et le visage semble sortir avec violence du cadre pour se rapprocher de lui-même ; ces autoportraits sont très émouvants : nous nous sentons pénétrés par ce regard halluciné qui en réalité ne cherche que lui-même, mais aujourd’hui, nous sommes à la place du miroir où il se contemplait.

 

Michel Leiris et Georges Limbour, André Masson et son univers, Genève, Paris, éditions des Trois collines, 1947, p. 83-84.