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28/01/2014

Antoine Emaz, Flaques, dessins de Jean-Michel Marchetti (2)

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   Je suis seul ; il fait froid ; il pleut sur le jardin ; la lumière tombe ; profondément, je suis bien.

   Pluie régulière et pas fine, claquettes légères sur le plastique du toit. Je viens de raturer "heureux" parce que ce n'est pas l'adjectif approprié. Je suis neutre, c'est-à-dire en paix avec ce monde (non pas le monde) et avec moi (non pas les autres).

   Aucun stoïcisme ou quelconque dépassement par je ne sais quelle vertu, aucun principe suivi d'une quelconque spiritualité lointaine. C'est parfaitement immédiat : un accord profond avec la pluie, le bout de mur gris, les arbres quasi nus, cette lumière pauvre juste. Juste ce moment : accord. Je vis avec ; je me dissous dedans. Je ne parle pas de bonheur, je parle d'être Le neutre, c'est de l'être pur.

  Aucune sagesse. Vivre en tension, contradiction présente ou alternance d'angoisse et de calme. Être sage revient à être mort avant de mourir. Aucune envie de cela : je préfère de loin affronter mes peurs, mes joies... mon lot de vivre, souffrir inclus, car tout cela ne va pas sans mal. Mais pouvoir au moins me dire que je n'ai pas évité ma vie.

 

Antoine Emaz, Flaques, dessins de Jean-Michel Marchetti, éditions centrifuges, 2013, p. 51.

Photo Tristan Hordé

27/01/2014

Antoine Emaz, Flaques, dessins de Jean-Michel Marchetti

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   Le plus important de ce que tu vis n'est pas forcément le plus important à écrire. L'essentiel; c'est ce que tu peux écrire de vivre. Parfois, seulement des miettes, mais au moins, cela, tu peux le faire.

 

   Écrire s'enracine dans un certain nombre de hantises profondes. Même si l'œuvre bouge un peu, c'est toujours pour finalement retourner à ces quelques points d'ancrage qui font l'identité de l'auteur. En théorie, on peut écrire sur n'importe quoi. En pratique, on n'écrit que sur ce qu'il est nécessaire d'écrire. Le reste passe sous silence, ne retient pas la main, ne s'impose pas.

 

   On devient poète sans aucune élection par une quelconque instance. Simplement, la vie. Et la poésie comme une quête d'élucidation, voire de réponse. On comprend plus tard, non pas trop tard, mais tard qu'il n'y a pas de réponse, et on en reste à ce qui nous fait vivre. En un sens, la poésie ne guérit pas, mais elle soigne, un peu. Un poète n'est pas Pasteur découvrant le vaccin contre la détresse.

 

   Le plus étonnant peut-être dans écrire, c'est cette tension incessante, multiple, complexe, entre liberté et contrôle.

 

Tu veux écrire ? Mets-toi à ta table. Et on verra bien qui, de la table ou de toi, en aura marre le premier.

 

Antoine Emaz, Flaques, Encres de Jean-Michel Marchetti, éditions centrifuges, 2013, p. 9, 33, 41, 48, 52.

Photo Tristan Hordé