02/06/2020
Georges Bataille, Manet
Une subversion impersonnelle
Qu’est donc Manet, sinon l’instrument de hasard d’une sorte de métamorphose ? Manet participa au changement d’un monde dont les assises achevaient lentement de glisser. Disons dès l’abord que ce monde était celui qui jadis s’ordonna dans les églises de Dieu et dans les palais des rois. Jusqu’alors l’art avait eu la charge d’exprimer une majesté accablante, incontestable, qui unissait les hommes ; mais rien ne restait désormais de majestueux, selon le consentement de la foule, qu’un artisan eût été tenu de servir. Les artisans qu’avaient été — comme les littérateurs — les sculpteurs et les peintres ne pouvaient exprimer à la fin que ce qu’ils étaient. Ce qu’ils étaient, cette fois, souverainement. Le nom équivoque d’artiste témoigne en même temps de cette dignité nouvelle et d’une prétention difficile à justifier : l’artiste est-il souvent plus qu’un artisan que gonfle la vanité, le vide d’une ambition sans contenu ? Cet individu ombrageux, sachant mal ce qui le fait plein de lui-même !
Georges Bataille, Manet, dans Œuvres complètes, IX, Gallimard, 1979, p. 120.
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