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09/02/2012

Norge, La Langue verte

 

                             Glose

 

In principio erat verbum

 

   imgres-1.jpegMon chien s'appelle Sophie et répond au nom de Bisoute. C'est plus gentil ? Et le baiser est moins solennel que la sagesse. Vous me la baillez belle avec vos querelles de langage. Les peintres sont voués à la couleur :les poètes se défendraient-ils d'être voués aux mots ? Mais sémantique, rhétorique, vous croyez à cela, vous, Mossieu ? P'têt'ben qu'oui. Calembredaine ? Jardinier, encore un mot de germé. Bonne chance et fouette cocher ! D'accord : ça ne nourrit pas son homme... Qui mange le vent de sa cornemuse n'a que musique en sa panse. Déjà, ce n'est pas si peu.

   La vérité ne se mange pas ? La musique non plus. Mais je dis, moi, que la poésie se mange. Ici, des mots seuls on vous jacte et ce n'est pas encore poèmes ; mais enfin, des poèmes, qui sait où ça commence...

  Les mots, disait Monsieur Paulhan, sont des signes, et Mallarmé, lui, que ce sont des cygnes. Ah, beaux outils, les mots sont des outils, rabot, évidoir, herminette, gouge, ciseau. Ainsi, les formes naissent, portant la marque de l'outil et je retrouve à la statue ce joli coup de burin. Et je retrouve à la pensée ce délicat sillon du verbe. Tudieu, quelle patine ! Quel héritage, quelle usure,  quelles reliques de famille ! Quelle Jouvence et quel arroi. Des taches de sang, des coulées de verjus. Des traces de larmes ; et les sourires n'en laisseraient-ils pas ? En veux-tu de l'humain, en voilà. Ce n'est pas de petite bière (de bière, fi) mais de cuvée haute en cru. Venues de toutes part au monde, agiles comme des pollens. Ici, les monts de Thrace et là les rudesses picardes : et là le miel attique et l'Orient avec ses sucs. Des graillons, des flexions, des marées, puis un petit vent coulis, un soudain carillon de voyelles. Boissy d'Anglas. Quant au tudesque, zoui pour le bouffre mot : lansquenet (toujours hérissés ces tudesques) qui fait la pige au mot azur. Mais en français d'expression, pas trop n'en faut. D'expression, oui-dà, mais de race. Et de décence. En tapinois quand il sied, mais en garnde clarté si c'est l'heure. J'y reviens, mon frère qui respires, as-tu déjà pensé au spacieux mot : azur ?

   Ainsi les mots naissent, les mots durent, les mots se fanent et reverdissent. Des moissons, des vendanges, des forêts, des nids de mésanges et des couvées de minéraux. Fluide, flot, flamme, fleur, flou, flèche, flûte, flexible, flatteur... vous entendez ces allusions, vous reconnaissez cette lignée. Mais le génie français est réservé : il caresse l'harmonie imitative. Mais il décrit un chien sans marcher à quatre pattes.

[...]

 

 

           Totaux

 

Ton temps têtu te tatoue

T'as-ti tout tu de tes doutes ?

T'as-ti tout dû de tes dettes ?

T'as-ti tout dit de tes dates ?

T'as-t-on tant ôté de ta teinte ?

T'as-t-on donc dompté ton ton ?

T'as-ti tâté tout téton ?

T'as-ti tenté tout tutu ?

T'es-ti tant ? T'es-ti titan ?

T'es-ti toi dans tes totaux ?

 

Tatata, tu tus ton tout.

 


                 Golgotha

 

Jésus le crucifix au mur de la bouchère

Prenait-il en pitié les viandes passagères

Dans ce matin fidèle au raffut des chalands

Chuchoteurs que les rôts de veau fussent bien blancs

Et l'entrecôte mieux fissurée à la graisse,

Partant plus tendre. Un peu c'était comme à confesse,

O seigneur ; le saignant les rapproche de toi,

La dame carnassière et le monsieur qui tance. Or, le boucher, tirant de la grande potence

Un gigot qui pendait assez proche la croix,

Frôla de lui le flanc douloureux du dieu triste

Et le sang du mouton rougit le corps du Christ.

 

Norge, La langue verte, Gallimard, 1954, p. 9-11, 36 et 91.

 

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