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17/03/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêve : recension

 

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Si les récits de rêves sont relativement abondants depuis le XIXe siècle — de Nerval (Aurélia et son incipit, « Le rêve est une seconde vie ») à Hugo, d’André Breton à Ionesco et Perec — les recueils sont plus rares. À côté de Michel Butor (Matière de rêves) et Michel Leiris (Nuits sans nuit), certains auteurs ont publié des rêves inventés, comme Queneau (Des récits de rêves à foison) notamment dans un roman (Les Fleurs bleues) où, à quelques siècles de distance, un duc d’Auge rêve d’un Cidrolin qui rêve de ce duc d’Auge. De très brefs rêves se présente en quatrième de couverture comme un ensemble de rêves « brefs » — de quelques lignes à une quinzaine ; après une série de cent rêves, un second ensemble de trente-huit titré "d’une autre sorte", précède un rêve isolé, d’une page, "L’ultime, plus long". Inutile de se demander si ces récits de rêves sont bien la notation de vrais rêves, mieux vaut les aborder comme des récits littéraires en évitant de s’encombrer d’une grille de lecture : chacun appliquera la sienne, s’il le souhaite.

Le narrateur, évidemment, est toujours présent et un "portrait" de lui semble se construire à partir des récits mais, sauf encore à confondre narrateur et auteur, on peut reconnaître dans le "je" sans trop de peine n’importe quel quidam. Le rêveur affirme d’ailleurs d’emblée ne pas avoir d’intégrité assurée, incapable de se reconnaître devant un miroir, incapable justement de coïncider avec un "je". Il n’est de surcroît pas du tout reçu comme individu par ceux qu’il côtoie, se voit « seul et malheureux », « oublié ». Il semble hors de ce monde qui ne le voit pas, s’apercevant un jour qu’il a un voisin dans son immeuble ; il sait, dit-il, « l’indifférence du monde à moi qui y suis indifférent, juste retour des choses ». Mais s’il se refuse à ce qu’on s’adresse à lui avec « Monsieur », (« C’est moi ce Monsieur ? Dieu me préserve de l’être jamais »), il souffre en même temps d’être retranché du monde ; imaginant une présence derrière lui, il se retourne, « ilnyapersonne », ne pouvant plus lacer ses souliers et, alors dans « le royaume des impossibilités », il « appelle à l’aide. » Mais constat : « Il semble bien que personne ne m’y a suivi ». Peut-on sortir de cette balance entre le fait de se sentir seul et le besoin d’exister pour autrui ? L’équilibre est sans doute possible dans un monde qui n’existe pas ; quand le narrateur rapporte avoir raté son train, il comprend que « tout, à commencer par les arbres, se suffit d’être », et il en tire une leçon, « S’il y avait un autre temps, c’est vers là qu’il serait possible de se retourner ».

Les récits du livre ne visent pas cependant dans l’ensemble à énumérer les difficultés à se vivre comme individu, mal à l’aise dans un monde où l’on peine à trouver une place. La recherche d’une apparence qui distingue chacun d’autrui est tournée en dérision avec humour ; le narrateur s’aperçoit qu’un de ses doigts a disparu et cherche la bague qu’il portait ; il se voit avec un pansement sur la tête, à la manière de l’"Autoportrait " de Dürer, et se baptise « Autoportrait au pansement » ; son visage n’est pas simplement visible sur son mouchoir, comme celui du Christ dans la légende du suaire de Turin, mais y est transposé : personne ne s’en aperçoit, ce qui appelle le commentaire « Ça aussi est déjà arrivé ». L’humour repose aussi sur les mots : quand on rêve d’avoir les oreilles décollées, on les a sans doute mises dans sa poche.                                                                                      

Le sommeil favorise-t-il le jeu avec le sens des mots ? On en lira plusieurs dans ces très brefs rêves, par exemple une distinction entre « gravir des degrés » et « monter des escaliers », ou à propos de "claudication" : le narrateur s’imagine être remarqué à cause de sa claudication, mais personne ne peut lui expliquer le sens du mot, donc il faut conclure, « Soit c’est un mot que j’ai inventé. Soit ce ne doit pas être la claudication. » Une partie importante des rêves repose sur une situation absurde relatée sans distance, d’où un humour décapant et, en même temps, une "leçon" sur la manière de vivre, comme dans ce rêve :

 

Ce coiffeur me rase le crâne. Je ne lui ai pas demandé. Il doit savoir ce qu’il fait. Il faut parfois pouvoir s’abandonner aux trop rares imprévus que nous offre la vie. Mais non il me rase la boîte crânienne. Voilà mon cerveau qui apparaît. C’est rafraîchissant. Avec cette physionomie simplifiée je ressemble plus à n’importe quel homme. Ce qui correspond tout à fait à mon caractère effacé.

 

Le lecteur relèvera d’autres récits qui aboutissent, discrètement, à une leçon comme dans une fable, leçon qui n’a rien à voir avec une morale. Nombreux aussi dans leur construction sont les rêves qui, construits comme une nouvelle minuscule, s’achèvent avec une chute. Ainsi, le narrateur s’étonne que la statuette tout juste acquise lui sourie : sourire moqueur, le prix sur l’étiquette est plus bas que la somme versée au marchand. La manche du manteau n’essuie pas les larmes du narrateur, il a déjà enfilé le vêtement qui, donc, n’est pas son ami, « C’est moi qui suis mon ami. Mon seul ami. Je n’ai même pas un manteau pour ami. » Etc. D’autres récits sont clairement proches du fantastique ; la femme inconnue devant la porte assure au narrateur qu’il la connaîtra le jour suivant, les fleurs lui disent leur nom, etc., et, comme nous sommes dans la littérature, on entrerait volontiers avec lui dans ce café où le propriétaire donne au consommateur un billet pour visiter le cimetière marin.

 

Entrer dans ces brefs récits c’est aussi être sollicité par le narrateur, directement (« Si ma réaction ne vous surprend pas… ») et par la variété de l’écriture : phrase très courte, phrase proustienne, vocabulaire familier un peu vieilli (troquet), restitution de formes orales (J’ai qu’à dire, c’est quoi comme marque, etc.), références littéraires. C’est aussi oublier les diverses interprétations que l’on attribue à nos histoires nocturnes ; Proust, dans Le côté de Guermantes, rapportait comme le voulait une certaine psychologie au XIXe siècle une analogie entre les rêves et la prise de drogues et l’aliénation mentale, d’autres théories se sont développées, toutes gêneraient le plaisir de lire ces très brefs rêves.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, 96 p., 17 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 31 janvier 2025.

07/03/2025

Julia Peker, Marelle : recension

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                                    « démêler les ombres »

 

Jusqu’à une époque récente les enfants blessés dans leur vie et éprouvant les plus grandes difficultés à se construire, finissaient le plus souvent, devenus adultes, à la dérive ; l’aide extérieure nécessaire pour les aider, relativement récente, en sauve une partie du désespoir de vivre. Julia Peker, psychologue clinicienne, reçoit ces enfants et adolescents, garçons et filles, que la vie a commencé très tôt à détruire. Ses poèmes ne sont pas des comptes rendus de séances, ils ont été écrits à partir de soins faits d’écoute et d’échange, aussi l’expression « poèmes cliniques » de l’auteure pour les définir paraît-elle inadéquate : ils n’ont pas vocation à être lus par ceux et celles qu’elle a accompagnés dans leur détresse, mais par des lecteurs de poésie. Ces poèmes, en strophes de quelques vers brefs, rarement plus de vingt, restituent, en belle page, le "portrait" d’une rencontre qu’un titre, page de gauche, tente de présenter. 

 

Marelle est aussi le titre d’un poème qui met crûment en lumière, la quasi-impossibilité d’un enfant cabossé de s’adapter à certaines pratiques sociales, ici à un jeu qui, en principe, n’est pas solitaire, courant dans les cours de récréation autrefois. Après avoir tracé sur le sol le dessin d’une marelle, l’enfant ne parvient pas à sauter, sans doute par crainte d’échouer ; preuve d’un rapport au monde, difficile ou peut-être impossible, qui apparaît avec force au lecteur. Souvent, les titres des poèmes sont éloquents : le saut, SOS, Noir, le cri, mutique, survivre à la nuit, la langue de personne, etc.

 

On devine que des drames familiaux, des violences, le décès d’un proche ou (et) l’absence des plus simples sentiments d’affection ont été à l’origine des troubles profonds que la psychologue tente de comprendre pour chercher avec l’enfant à les réduire. Mais il est rare que quoi que ce soit s’exprime à ce sujet. Souvent l’enfant reste muet, se ferme, parle d’autre chose, parfois quitte la pièce en refusant la main tendue, ce que traduit, parmi d’autres, une strophe :

 

                       tes mots ont pris le pli

s’avancent sur des lignes parallèles

pour ne jamais croiser

ce qui pourrait remonter du dedans

ne rien déterrer de tes nuits

ne rien voir de ce qui s’écroule

quand tu cherches à tenir  

 

Quelle que soit la qualité de son écoute, l’adulte se retrouve régulièrement devant un enfant qui garde « un secret/défendu par la peur ». "Peur" est un des mots récurrents, marque du malaise d’exister, d’être  : c’est « la peur d’être vu », c’est « la peur [qui] secoue sans bruit [l]es épaules », c’est la peur de dire ce qui provoque la peur. Alors la voix « trébuche » de ne pouvoir dire, de ne pouvoir sortir d’un « labyrinthe à sens unique », et si l’on s’extrait du dédale c’est pour rester devant des « portes closes » : personne n’attend personne à la sortie. 

 

La rencontre avec l’enfant ou l’adolescente(e) s’organise pour l’essentiel à partir de ses gestes, de ce qu’il peut dire et non de questions ; parfois, des mots mal acceptés parce qu’ils viennent de l’adulte — de l’autre —, provoquent le refus, interrompent toute possibilité d’échange, l’enfant s’absente ou se retire de la pièce, « le moindre mot/le moindre geste/et tout explose ». À l’inverse, le refus de la proximité peut se manifester par un flot de mots qui, d’une autre manière que le silence, éloigne la parole amie en face de soi, alors « les mots s’empilent/sans vraiment s’enchaîner ». Ce n’est pas dire que toute tentative d’approche échoue, que la psychologue ne peut rien faire ; même quand l’enfant se vit « seul contre tous », il essaie toujours de ne pas rompre avec ce "tous" et c’est par le regard qu’il accepte une aide, ce que relève l’auteure, « pour ne pas sombrer/ dans un gouffre sans fond/tu te contentes/ de croiser mon regard ». Le regard est, souvent, la voie d’où part une sorte de dialogue et, aussi, celle qui le bloque — on lit , parmi d’autres exemples, « ton regard se retire », « tes yeux sans regard s’enroulent en dedans ».

 

Même quand les mots s’échangent, ils ne font pas disparaître une tristesse, une douleur, des manques, la hantise de la perte, le sentiment que « les couleurs de la vie / [sont] introuvables ». Comment évacuer « les gravats de l’enfance » ? comment restituer sa plénitude à des « corps en morceaux », à une « unité morcelée » ? comment cette « plage secrète / délivrée des cris et du temps » à laquelle tous ces êtres blessés aspirent ? On sait que toute cette misère, depuis toujours, naît et se développe parce que la société ne se soucie pas, ou très peu, de la difficulté à se vivre, parce que les uns et les autres ignorent cette souffrance. Pourtant, elle est souvent proche et Julia Peker dit justement « mais que verrions-nous/sans tes questions qui font tourner le monde ? »

 Le commentaire de sitaudis.fr


Julia Peker, Marelle. Dessins d’Edna Lindenbaur. Préface de Jean-Louis Giovannoni. L’Atelier contemporain. 176 p.. 25 €. Cetterecension a été publiée par Sitaudis le 18 janvier, 2025.

 

 

26/02/2025

Marie de Quatrebarbes, Les éléments : recension

 

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Les livres de Marie de Quatrebarbes sont d’une certaine manière sans surprise : le lecteur n’y retrouve pas ce qui fait le fonds aujourd’hui de (très) nombreux recueils de poèmes, le récit de vie, l’autobiographie, la relation du quotidien. Les éléments est un livre exigent de questions, y entrer demande au lecteur un peu de patience et il aura en retour un rare plaisir de lecture. Ce qui peut être vite repérable dans le chaos offert, ce sont des constantes formelles et de contenu. Ici : les quatre premiers ensembles de poèmes en prose, Le détail principal, Les actualités reconstituées, Empirique fossile, Assez vivant, ont paru dans des revues, le cinquième est inédit ; ils sont liés de manière évidente, « les éléments », la mer, la terre, l’air sont constamment présents, moins le feu, avec « les films de Méliès brûlés » ; un cinquième poème en prose, Digression sur le dehors, est inédit, et construit à partir d’un des thèmes récurrents de l’œuvre, celui du reflet ou du double. Mais c’est le thème de la répétition qui apparaît dans la strophe d’ouverture.

 

Il est impossible de ne pas lire la reprise, trois fois, de : « enfance » (le jour de l’enfance, la très petite enfance, dans l’enfance) avec, comme une glose, « la petite fille ». Le mot revient régulièrement, un des ciments de parties assez diverses, plusieurs fois dans un poème avec des emplois différents, comme s’il s’agissait d’insister sur le choix formel de la répétition et la variété des significations :

 

L’enfant en l’enfant cajole l’enfant (…) Pour se donner du courage il chante quelque chose : je suis cet enfant qui vit à l’intérieur d’une autre enfant

 

On note la constance de l’enfance dans presque tous les livres, également sous la forme de la « petite fille » (« J’ai été cette petite fille solitaire », La vie moins une minute, 2014) ; elle est aussi présente dans Les éléments sous forme de souvenir (« Lorsque j’étais enfant, je pensais (…) »), également à la base d’une création artistique, « Inlassablement il répète les gestes en une série toujours identique ». D’autres mots réapparaissent au fil des pages, comme la tulipe, mot par ailleurs intégré une fois dans l’une des   reprises d’un fragment de phrase [en italique] qui contribue à construire l’unité du livre :

 

« Comme l’élastique revient à sa position initiale, la tulipe de l’enfance retourne en la main avec la peau des doigts qui se touchent, s’entrelacent, s’entreglosent et nouent ensemble sensation, prémonition et désir » 

 

 Quelques variantes (verbes conjugués ou non, sujets différents, ajout de verbes, de compléments) apportent l’idée d’un changement continu dans les choses, dans le monde. Ce chaos est notamment figuré par le procédé de l’énumération, donc par l’impossibilité de contenir dans un texte le visible ; s’ajoute le fait que le nom des choses se crée par contiguïté sémantique (« il pleut (…) sur la mer basse continue ») ou sonore (« la pluie tombe sur (…) les voies toutes voilées de lumière, les voilures, les allures, les haleurs, les chaleurs, (…), les gens, les gendarmes (…), la voirie, la verrerie, les verrières » [etc.]). Sans oublier dans la longue liste des éléments — « la lumière, des éclairs » — ou des expressions — « les masques qui tombent » — que la pluie ne peut atteindre. On imaginerait le peu de réalité de ce monde si, dans l’énumération qui précède immédiatement, toutes les images d’un film sont affirmées être « vraies », mais une partie ne peut être regardé contrairement à ce qui est suggéré, comme « les fantômes de la bibliothèque et le lys dans la vallée ».

 

La "réalité" du film transporte le lecteur dans la fiction, l’une des constantes de l’œuvre de Marie de Quatrebarbes, fiction revendiquée (1) ou non. Dans Les éléments, l’imaginaire irrigue le texte, des embryons de récits appartiennent au conte, l’un met en scène un homme extrait de l’écorce d’un arbre, un autre des parents qui abandonnent des mois leurs enfants et reviennent nus « avec un œuf dans la bouche », etc. La fiction peut reposer sur l’ignorance ou une observation médiocre, par exemple quand un enfant se souvient qu’il prenait les seiches pour des vaisseaux, ou elle naît par un jeu de langage ; « Si (…) que se serait-il passé ? ». Enfin elle est la raison d’être du cinéma, d’où la brève biographie de Georges Méliès, pionnier des trucages avec ses "actualités reconstituées", et l’allusion à des images de ses films, celle notamment de la jeune femme à cheval sur un croissant de lune. Imaginaire triomphant avec ce que l’on peut découvrir derrière la porte : on pense à Lewis Carroll ou, pour le cinéma , par exemple à L’imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam. On en vient à conclure que « Tout ce qui est fiction existe ou existera », ou a existé comme est rappelée l’ouverture de la Mer rouge pour permettre l’exil de Moïse (Exode, 14).

 

Il s’agit bien d’une rupture d’avec "l’ordre naturel" et l’auteure introduit dans le livre des ruptures analogues en brisant l’ordre donné comme logique dans une suite de phrases, descriptive ou narrative. Un récit, ouvert avec la mention d’une femme couchée sur le sol bifurque complètement quand elle est comparée par son immobilité à une banquise : elle laisse place à des considérations sur la glace, la neige, l’iceberg — saut d’autant plus grand que la scène se passe à Tanger. Le lecteur rencontre d’autres ruptures avec la juxtaposition dans un énoncé, ou entre deux énoncés, de deux propos sans lien entre eux :

 

Une fois j’ai vu au microscope un morceau de mon doigt et il en va de même avec les gens

 

La rupture repose aussi sur un interdit culturel propre à notre civilisation et la présenter sans aucun commentaire en accroît la force, l’énoncé restreignant la pratique anthropophagique à une catégorie, « On ne doit pas manger la chair de ceux avec lesquels on dort ».

Ainsi les représentations du monde se modifient sans cesse et l’on se demande comment ce chaos de l’expérience peut se maîtriser. À vrai dire aucune issue n’est avancée. Les suggestions de la narratrice ne sont guère enthousiasmantes : « accrocher ma vie aux noms que j’invente, pas plus humains que moi, non plus que vous ». Pratique qui implique que « l’immobilité devient notre conquête », ce qui est répété ensuite, « Disons que l’immobilité est notre stratégie ». On comprend vite que la solution avancée n’en est pas une, pas celle de Marie de Quatrebarbes, mais que ses mouvements complexes dans la langue (qu’on a seulement esquissés) visent à questionner les représentations de l’expérience (de la langue, du monde), outre le plaisir de lire qu’ils procurent.

  1. voir par exemple : "on invente des histoires pour les derniers petits", La vie moins une minute, 2014.

 

Marie de Quatrebarbes, Les éléments, P.O.L, 120 p.,16 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 12 janvier 2025.

 

31/01/2025

Gérard Cartier, Le Roman de Mara : recension

 

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                                     « Tout parle tout fait signe »

                        

Gérard Cartier a choisi d’écrire en vers Le Roman de Mara, comme pour la plupart de ses fictions    classées dans le genre "poésie" dans sa bibliographie — il approuve sans doute Rémi de Gourmont affirmant en 1892 que « le roman doit être un poème, car il n’y a qu’un seul genre en littérature : le poème. » (1) Le Roman de Mara est un récit à plusieurs personnages : le narrateur, père de Mara, O***, morte mais souvent évoquée et Mara, au centre d’un livre strictement composé. Il commence par un poème titré "Le carnet" qui annonce quelques éléments du récit et s’achève par « le livre s’ouvre » ; suivent trois chapitres de longueur égale, " L’enfance Mara", "Le Grand Huit" et "La Passion Mara" ; le premier et le troisième titres reprennent la syntaxe du Moyen Âge conservée aujourd’hui, par exemple, dans "Hôtel Dieu" ; un poème séparé, "Le reste du carnet", clôt le livre.  Chaque chapitre compte 33 poèmes d’une page, numérotés en chiffres romains mais titrée dans la table des matières. On reprendrait volontiers ce qu’écrit l’auteur qui voudrait « que rien ne dérange les lignes » mais qui apprécie le chaos. De là, parce qu’il garde ces choix opposés, « ce trouble à ajuster mes pages / où s’entassent en vrac l’harmonieux et l’informe ».

 

Harmonie dans la construction et dans le propos, qui suit Mara dans l’enfance, puis dans la formation avec le traditionnel — dans d’autres temps — voyage en Europe, surtout en Italie, et enfin dans sa séparation d’avec l’éducation paternelle quand elle vit sa « passion » amoureuse. Les noms des personnages eux-mêmes ramènent à l’Italie : Mara (d’origine hébraïque) et Ornella, prénom de l’absente restitué à la fin du livre. Le nom Mara est lui-même image de l’harmonie : à une lettre près anagramme de "amare" (latin et italien aimer) et, dans le titre, /m…r/ suit /r…m/, dans un poème, une quasi paronomase quand il est question du « royaume des enfants / à quoi Mara s’amarie ». L’harmonie est aussi dans les références culturelles. Le lecteur rencontre d’abondants renvois à la littérature, avec des noms variés — de Kafka à Maïakovski, de Keats à Laforgue — et de multiples langues ; le latin est présent, plus encore l’italien, souvent pour des citations comme celle du lamento d’Arianna de Monteverdi ; on lit aussi des fragments dans d’autres langues européennes et, dans une allusion à la "magie noire", quelques-uns de la langue des Dogon. La forme des poèmes elle-même participe de cette harmonie : en strophes (de deux, trois ou cinq vers) ou non le plus souvent : elles ne sont alors régulièrement ponctuées que par l’emploi de blancs qui organisent la lecture, et cette forme est commune aux fictions en vers de Gérard Cartier.

D’autres cohérences apparaissent d’un livre à l’autre. Il est question notamment du Dauphiné, du Vercors, communs à d’autres ouvrages et lieux de formation de la sensibilité de l’auteur ; la venue dans la région (« cette montagne sainte ») fait partie de l’éducation de Mara qui, beaucoup plus tard, devrait vivre ce que vit le narrateur quand il y revient, « la / brume    des années se dissipe    et sur tes / pas se lèvent    de très vieux sortilèges ». Le lecteur note aussi que le voyage ailleurs occupe une place privilégiée, ici pour la formation intellectuelle, esthétique, historique — Rome, Venise, etc., Auschwitz, Theresienstadt —, mais également que par la variété, souhaite le narrateur (l’auteur), « mes vers soient le monde » ».

 

Le monde est si divers qu’il est indispensable de l’accepter tel ; regarder les fleurs, les plantes, tout ce qui est ne devrait être que pour le « plaisir du regard    et de la pensée ». Mais le chaos existe, et la mort : les paroles du lamento de Monteverdi, lasciatemi morire(« laissez-moi mourir »), reviennent plusieurs fois. O***, la morte jamais oubliée (« O*** mia cara »), mère de Mara « enfantée d’une morte », n’est pas une figure apaisante, le narrateur tout au long du récit sait qu’il « s’obstin[e]     à ce qui n’est plus » et ne fait son deuil que devant choisir entre « l’abîme » et un « visage juvénile », moment où il peut enfin écrire le nom "Ornella". Encore le fait-il parce qu’il voit le même dans la morte et la vivante, « même regard charbonneux, même visage sous / la cendre ». Mara elle-même semble représenter le chaos, par tous les aspects divers de sa personnalité ; elle est Mara-la-noire, Mara-en-Bacchus, Mara ivre, au jardin, l’enchanteresse, Mara-la-fantasque, Mara en momie, Mara-des-cendres, Mara-des-cauchemars, Mara-du-soleil, Mara-des-vanités, Mara-la-fourbe, Mara-des-fuites. Cette multiplicité est partagée, figure de toute femme, de tout homme. Le chaos est aussi dans le narrateur qui a embrassé les promesses d’une utopie, celle portée par Lénine, puis a renié pour son amour « vers et révolution », qui commence à recouvrer un peu de sérénité à voir Mara devenir femme, vivant sa passion, « chassant d’un cri l’absente, la remplaçant ».

 

Gérard Cartier est ici écrivain de complexes voyages intérieurs, celui d’un personnage, Mara, dont on ne connaît que des bribes livrées par le narrateur soucieux de développer sa propre histoire. Le récit s’achève avec deux transformations majeures : connaissance de l’amour pour l’une, acceptation de la vie pour l’autre, « on ne doit pas camper sur les tombes. lâcher la main de l’absente (…) tandis que coule, sous le parapet, la vie perpétuelle ». Tout recommence, autrement : l’essentiel consiste toujours à vouloir « l’Énumération du monde ».

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  1. C’est à la fin du XIXe siècle que Raymond Roussel revendique le terme de "roman" pour La Doublure (1897), écrit en alexandrins classiques. Les romans en vers sont plus que rares au siècle suivant et leur appartenance au genre discutée. On cite toujours Le Voleur de Talan(1917), "roman" de Pierre Reverdy, Chêne et chien (1937), de Raymond Queneau, "roman en vers" comme La beauté de l’amour (1955) de Jacques Audiberti, Une vie ordinaire (1967) de Georges Perros, "roman poème".

Gérard Cartier, Le Roman de Mara, Tarabuste, 2024, 140 p., 14 €.   Cette recension a été publiée par Sitaudis le  5 janvier 2025. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

19/01/2025

Murat, Henriette de Castelnau, comtesse de, Le château de Kerbosy : recension

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Entrer dans Les Lutins de Kernosy (1710), c’est retrouver l’usage de la langue de la seconde moitié du XVIIe siècle, celle de Madame de Lafayette par exemple, précisément dans ce que l’on désigne par "roman de loisir", genre alors très apprécié. C’est aussi apprendre que s’est alors développée une littérature oubliée qui comprenait, outre ces romans, des contes de fées, de fausses correspondances, des poésies, des chansons écrits aussi par des femmes. On connaît encore les contes de Marie-Catherine d’Aulnoy et les poésies d’Antoinette Deshoulières (rééditées dans Poésie/Gallimard, 2024), mais les noms d’Henriette de la Suze ou de Françoise Pascal, comme celui de la comtesse de Murat (1668-1716), ne sont un peu familiers qu’à des historiens de la littérature. L’œuvre de cette dernière, en partie rééditée depuis la fin du XXe siècle, permet de découvrir ce que l’on ignore le plus souvent, l’existence d’une littérature que l’on qualifie aujourd’hui de féministe. Madame de Murat, ce que rappellent ses éditeurs, a souffert de ses choix : elle était lesbienne et a toujours refusé le rôle imparti aux femmes dans une société où elles avaient fort peu de place ; condamnée à l’exil en 1702, elle passe sept années à la prison de Loches, près de Tours. Elle a défendu, notamment dans Les Lutins de Kernosy, un statut qui, sur bien des points, n’a été acquis qu’au XXe siècle et n’est encore pas unanimement accepté.

 

L’intrigue du roman est construite pour mettre en valeur tout ce qui, selon madame de Murat,   devrait être adopté pour que les femmes aient des droits égaux à ceux des hommes. Les événements se passent pour l’essentiel dans le château d’une vicomtesse en Bretagne, pas très éloigné de Rennes ; elle est la tante des deux jeunes filles héroïnes du roman, reçoit beaucoup et loge ses invités — ce qui facilite la continuité du récit. — propriétaire et hôtes appartiennent à une noblesse fortunée. Les "lutins" sont deux jeunes nobles amoureux des nièces ; ils jouent la tradition des demeures hantées pour transmettre des messages par le conduit de la cheminée des chambres. Les couples d’amoureux finiront tous par se former, y compris l’un d’entre eux qui semblait échapper à une issue heureuse ; une jeune femme a été contrainte à l’union avec un homme riche, ami de son père ; cet époux non choisi tombe gravement malade et, avant de décéder, reconnaît avoir fait le malheur d’un couple possible : il fait du jeune homme son héritier et conseille vivement à sa bientôt veuve de l’épouser.

 Madame de Murat développe ses idées à partir de ce schéma simple et le récit s’achève selon les principes qu’elle défend, « Enfin l’amour avait résolu de triompher dans ce vieux château et de n’y point laisser de cœurs tranquilles. » Le lecteur dira que la fin est identique à celle des romans de gare contemporains, sauf qu’aujourd’hui peu d’obstacles s’opposent à un "mariage d’amour" ; à la fin du XVIIe siècle, le choix de l’époux appartenait au père, fille ou garçon ne pouvaient songer à s’y opposer. Les positions de l’auteure, propres plus tard au féminisme, sont plus dans le ton des Lumières que dans le traité de l’Éducation des filles de Fénelon paru un peu plus tôt (1687). Même si les hommes conservent le privilège de l’action dans le monde, les femmes devraient recevoir un bagage intellectuel équivalent au leur.

Dans la micro-société du château, les femmes ont d’ailleurs dans certains cas un rôle social équivalent à celui des hommes ; elles assistent aux pièces de théâtre, les commentent et participent largement aux discussions et aux jeux (y compris les jeux d’argent) qui suivent les repas, passant même une nuit entière à profiter des loisirs. Elles ont aussi un œil et des propos critiques vis-à-vis des hommes ; un noble venu de Rennes, Monsieur de Fatville, dont l’apparence correspond à son nom, est brocardé par les deux nièces, « À la vérité, c’est un fat ; il en faut au moins un pour servir de risée à la compagnie », dit l’une. Quand la vicomtesse entend obliger une de ses nièces à épouser un homme riche pour éponger ses propres dettes, la jeune fille, sans s’opposer frontalement, travaille avec ses amis, femmes et hommes, à changer le point de vue de sa tante. Une autre noble accepte sans jalousie le mariage de l’homme aimé avec une autre femme ; il deviendra riche et ne sera pas éloigné d’elle : le lecteur en conclut qu’elle sera sa maîtresse.

Cette noblesse jouit des plaisirs qu’on aurait cru propres à la Cour (que quelques-uns fréquentent) ou à la ville ; on compose et on lit des poèmes galants, on chante des madrigaux sur des airs à la mode, on boit du café et du chocolat (boissons réservées alors à un public plus qu’aisé), on fait aussi venir des musiciens pour accompagner les danses, une troupe de comédiens pour y jouer des pièces d’auteurs à la mode ou devenus "classiques" dès la fin du XVIIe siècle, Corneille, Racine, Molière : à chaque séance, une tragédie et une comédie ; les éditeurs du roman analysent la relation entre certaines pièces et l’intrigue ou tel personnage — Le Bourgeois gentilhomme ou Bérénice, par exemple. L’un des personnages principaux n’hésite pas à jouer la comédie en se faisant passer pour directeur d’une troupe de comédiens, qui ont alors un rôle dans l’intrigue et une partie des personnes présentes ignore assister au théâtre dans le théâtre.

 

Le roman est accompagné d’un appareil critique nécessaire, les habitudes sociales de la fin du  XVIIe siècle sont fort éloignées des nôtres : l’introduction renseigne utilement sur le « roman de loisir » comme sur la vie théâtrale et sur l’œuvre de Madame de Murat ; une bibliographie de ses œuvres en précède une autre, générale, sur la période. On approuve les éditeurs qui voient dans Le château de Kernosy un roman qui « éclaire un moment de transition, littéraire et intellectuelle » et « annonce un des courants dominants dans la production romanesque de l’époque des Lumières ».

Murat, Henriette Julie de Castelnau, comtesse de, Les Lutins de Kernosy, édition Perry Gethner et Allison Stedman, Classiques Garnier, Bibliothèque du XVIIe siècle, 2024, 192 p., 28 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 11 décembre 2024

 

 

22/12/2024

François Heusbourg, Une position pour dormir : recension

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La quatrième de couverture propose une lecture de Une position pour dormir, ce serait un « Livre de fantômes » qui jouerait « de l’apparition et de l’effacement ». C’est ce que suggère le titre avec le passage par le narrateur de sa présence au monde à sa disparition dans le sommeil, d’où surgissent des images recomposées de la vie éveillée plus ou moins trompeuses, des fantômes qui, comme l’affirme Spicer mis en épigraphe, « ne sont pas des gens perspicaces ». Une autre lecture est proposée dans un épilogue en prose : après un résumé des poèmes, d’abord la fin de l’histoire d’un couple (« Ils étaient sur le point de partir chacun de leur côté (…) Comme tout était parti avant eux »), ensuite l’évocation d’une autre histoire, celle de la mère qui semblait exclure le narrateur à sa naissance avec ce commentaire : « il n’est pas très beau ».

 

Le premier poème présente d’emblée de manière lapidaire et imagée le thème de la séparation, « rentré // forme courte / d’un long voyage ». Il est immédiatement suivi de ce qui apparaît souvent dans la relation entre un je et un tu, l’extrême difficulté d’établir une langue commune : l’Autre parle toujours autrement que soi, quel que soit le sujet, « je dis traquenard tu prononces guet-apens » ; le temps vécu est saturé de mots dont la signification ne peut être entièrement partagée — « nous lisons le même livre dans des livres différents ». Ce qui, pour l’essentiel, constitue les jours d’un "couple" peut devenir une épreuve si est désirée par l’un ou/et l’autre une transparence impossible, une fusion qui gommerait l’écart entre les mots, la langue étant d’abord lieu de l’ambiguïté. Mais les oppositions existent dans tous les domaines, comme si l’idée même d’harmonie dans la société n'avait pas de sens. Il suffit de voyager pour rencontrer, criantes, les différences sociales, l’extrême misère à côté d’une opulence qui s’exhibe, les habitations faites de matériaux de rebut et les maisons à étages devant la mer.

Qu’est-ce donc qui, dans la vie quotidienne, peut être partagé ? tout ce qui ne s’inscrit pas dans le temps, ne demande donc pas de mots ou en demande peu, par exemple « les plus petits gestes quotidiens », notamment ceux des repas arrosés d’un bon vin :

 

                       dans les plus petits gestes quotidiens

peut-être ne nous sommes-nous pas trompés 

ni de plaisirs ni de vie

 

Aller ensemble dans un lieu neutre par excellence autorise aussi le partage, encore peut-il être vécu par l’un et l’autre différemment : à la « plage » est associée la « page », une lettre suffit pour séparer la réalité de l’imaginaire. Certes, dans l’étreinte la certitude d’une unité est entière, même si chacun sait qu’elle est éphémère et fondée de manière différente ; une figure tout autre de l’unité du je et du tu est d’ailleurs donnée par la position du chat qui se couche entre leurs pieds — il se trouve un jour devant les portes fermées. Toujours chacun se heurte au mystère d’être, « nous aurions voulu être / tout à la fois, sans savoir quoi // chacun sa solitude / chacun/ sa cacophonie » et si le savoir rend possible l’échange, quelque chose reste infranchissable — dormir met provisoirement à distance la « cacophonie / le bruit d’être les uns / avec les autres ». Cependant, une vie avec l’Autre pourrait-elle « se résumer pour tout dire en une phrase ? » Elle existe dans le temps, s’est construite des souvenirs, se nourrit des moments présents et même de ce qu’il a été rêvé de faire ensemble. La rupture, c’est ce moment où on ne peut franchir l’écart entre le passé et le présent, comme si le temps se vidait de toute trace :

 

                       rien dans rien

                       les choses posées

                       rien

ne prend plus corps

 

fantômes

 

si tu t’en vas

 

L’Autre disparaît parmi les autres quand le "deuil" de l’amour est accompli. C’est à ce moment que revient un rêve d’abandon, « ce matin enfant perdu dans les bois », sans sortie possible (« on ne sort pas ») et cette perte de soi est immédiatement associée à la mère : le tu n’est plus la femme aimée mais celle qui « racontai[t] des histoires », histoires non pas d’abandon mais d’enfants qui jouent sous le regard de la mère, rêvant peut-être d’aventures très codifiées avec leur voiliers sur le bassin du jardin du Luxembourg. Les mots sur la laideur à la naissance sont une forme forte de rejet, le discours social dominant décidant que tout enfant est "beau" à son arrivée dans le monde.

Peut-on oublier l’abandon ? Le narrateur passe du je au on parce qu’il choisit de se taire — « on enterre on enterre / on fait des tas de  terre » —, le silence (ou le sommeil) étant la seule réponse qui permet de maintenir une distance avec la violence du passé, de faire comme s’il appartenait à une autre vie.

 

Le titre, Une position pour dormir, ne s’éclaire que lentement dans ces poèmes qui mêlent deux histoires différentes, la première de perte, à peine esquissée, modifiant sans doute la seconde même si le narrateur tient à les distinguer, « et maman ou mère ou toi / non ». Plongée dans un vécu ou songe et réalité souvent difficiles à séparer, ce qui provisoirement éloigne les douleurs de la vie.

François Heusbourg, Une position pour dormir, Gallimard, 2024, 112 p., 16 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 17 novembre 2024.

 

 

08/12/2024

La Pléiade, Poésie, Poétique : recension

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Parler de la Pléiade aujourd’hui à un lecteur, c’est l’obliger à faire remonter des souvenirs scolaires et, en insistant un peu, reviennent les noms de Ronsard, dont il connaît encore quelques vers des Amours (« Mignonne, allons voir si la rose… ») et de Du Bellay, qui lui rappelle les Regrets(« Heureux qui comme Ulysse… »). À l’exception des sonnets d’Étienne Jodelle aisément accessibles (Poésie/Gallimard, 2022), les œuvres des autres membres du groupe sont, à très peu près, oubliées et lisibles dans des éditions savantes à consulter en bibliothèque ou partiellement dans des anthologies1. L’édition de Mireille Huchon2, d’abord, donne à lire des œuvres qu’il était bon de faire connaître, tel le théâtre de Jodelle ou des poèmes de Belleau, sans du tout mettre de côté d’autres connues (Ronsard, du Bellay) qui gardent la plus grosse part. Elle a ajouté pour la période de grande production (1545-1555) des textes de poétique devenus, eux, quasiment inconnus. Enfin, contrairement à l’image scolaire attachée à Ronsard et Du Bellay, les poètes de la Pléiade n’ont pas été applaudis par tous dans la seconde partie du XVIe siècle, des écrits polémiques et des témoignages complètent heureusement le recueil des textes. Ils sont suivis d’un répertoire des poètes et de leurs contemporains (image et texte) et de notes sur chaque œuvre publiée.

 

Mireille Huchon rappelle que Ronsard n’a utilisé que deux fois le terme Pléiade, par métaphore, à propos de la "brigade" de sept poètes (dont lui-même) du règne d’Henri II : Ronsard, du Bellay, Étienne Jodelle, Pontus de Tyard, Rémy Belleau, Antoine de Baïf et Peletier du Mans ; son contemporain Henri Estienne, plus tard (1678), parle des « poètes de la Pléiade », de la « nouvelle Pléiade ». La référence à l’Antiquité n’est pas fortuite, elle renvoie aux grands poètes grecs de la période alexandrine. Le nom s’est seulement installé au XIXe siècle, alors que certains membres du groupe ne se connaissaient que par la lecture de leurs textes ; il faut se souvenir qu’un écrivain comme Jodelle a refusé d’être publié de son vivant.

Le nom "Pléiade" est pratique pour évoquer une période particulièrement riche en littérature dans plusieurs domaines. Au début des années 1550, construites à l’antique, les premières tragédies (Cléopâtre captive, Didon se sacrifiant) et comédies (L’Eugène, La rencontre) sont dues à Étienne Jodelle. Parallèlement, si Clément Marot et Mellin de Saint Gelais ont introduit le sonnet en France, il est définitivement adopté comme genre avec la Pléiade qui le développe pendant des décennies.

C’est aussi avec la Pléiade que le sonnet devient par excellence le lieu poétique du discours amoureux. Le blason ancien n’est pas abandonné du tout, chaque partie du corps féminin est toujours exaltée, par exemple par Pontus de Tyard (second quatrain) :

 

Ton beau visage, où ton beau teint s’assemble,

   Ta bouche faite en deux couraux plaisants,

   Ton bien parler sur tous les bien disans,

   Et ton doux ris doucement mon cœur emble.

 

En dehors de quelques poèmes, dont les Folastries de Ronsard, où le corps charnel est présent, le corps féminin entier est magnifié, fantasmé, souvent idéalisé et divinisé : les renvois à la mythologie abondent chez tous les poètes, permettant parfois l’allusion érotique ; ainsi, dans les Amours de Ronsard (tercets du sonnet 41) :

 

S'Europe avoit l'estomac aussi beau,
De t'estre fait, Jupiter, un toreau, 
Je te pardonne. Hé, que ne sui'-je puce !
 
La baisotant, tous les jours je mordroi
Ses beaus tetins, mais la nuit je voudroi
Que rechanger en homme je me pusse.

 

Les sonnets n’ont pas de fonction référentielle précise, pas plus Marie, Olive ou Francine : s’installe pour très longtemps avec la Pléiade une représentation de la femme aimée — désirée mais absente —, et un je souffrant — image féminine cependant différente de celle de l’amour courtois ou des troubadours. Le thème de l’immortalité donnée par le poète à la femme, mais aussi au Prince, traverse une poésie qui cherche la reconnaissance des puissants ; Ronsard et du Bellay saluent l’un et l’autre l’entrée d’Henri II dans Paris, en 1549 — mais l’intérêt de ce roi pour les arts n’avait rien   de commun avec l’engagement d’Auguste chez les Latins.

 

 L’ode et l’hymne acquièrent aussi une place de choix dans les recueils de la Pléiade, mais c’est un autre genre qui prend place et reste toujours très vivant aujourd’hui, sous ce nom ou d’autres, l’art poétique. Pelletier du Mans en a été l’initiateur avec sa traduction (1545) de l’Art poétique d’Horace, largement utilisée un peu plus tard (1549) par Du Bellay dans la seconde partie de La Deffence et illustration de la Langue Françoyse, la première réservée à des réflexions sur la langue et les manières de l’enrichir, et sur l’orthographe. Cette "Défense" a été remise en lumière par Sainte-Beuve3 qui écrivait qu’elle était « la plus sure gloire de Du Bellay et la plus durable » ; elle est considérée comme un monument à partir du XXe siècle et des écrivains en ont repris le titre, y ajoutant « aujourd’hui » et en soulignant l’actualité4.  Du Bellay prône l’abandon des genres anciens, propose la création de néologismes à partir des langues anciennes, préconise l’imitation des auteurs latins et grecs et de quelques auteurs italiens ; l’ensemble définit une esthétique nouvelle, mise en œuvre la même année avec L’Olive, recueil de sonnets et d’odes. Les réflexions de Du Bellay sur l’orthographe sont une approbation de ce que Louis Mégret avançait en 1542 : il faudrait une convergence entre l’écrit et la prononciation ; le poète garde cependant l’usage de son temps pour ne pas effrayer les lecteurs. Ronsard, de son côté, avance et dans ses Odes (1550) remplace notamment le i latin par j, le u par v, par ailleurs es par é(espandre > épandre).

 

Le lecteur découvrira des œuvres peu accessibles, en particulier Le Quintil horatian, critique de La Deffence…de du Bellay, l’art poétique de Thomas Sébillet (1548), la traduction-adaptation de l’art poétique d’Horace par Peletier du Mans (1545) et La Rhetorique francoise (1553) d’Antoine Poclin. Un ensemble de textes polémiques et de témoignages précèdent les notes ; les éclaircissements rassemblés — linguistiques, historiques et littéraires — font de ce volume, si le lecteur le désire, un excellent instrument de travail. Pour le plaisir de lire, il offre une superbe anthologie d’une des périodes les plus riches de la poésie en France.

 

1 Rappelons que Mireille Huchon a établi le texte des œuvres de la mystérieuse Louise Labé (Bibliothèque de la Pléiade, 2021).

2 La bibliothèque de la Pléiade a publié en 1953, choisis par Albert-Marie Schmidt, une anthologie de la poésie du XVIe siècle, de Marot (1496-1544) à Jean Baptiste Chassignet (1571-1635)

3 Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle

4 « Autres temps, autres barbaries, autres combats mais peut-être même nécessité et même devoir : ne revient-il pas aujourd’hui aux écrivains, aux poètes, face à la domination d’une langue «moyenne» hâtive et désinvolte, asservie aux visées manipulatrices de la communication, de maintenir et de refonder sans cesse une langue affranchie, de revendiquer, par objection souvent, le droit à la nuance, au subtil, à la densité et à l’imprévu ? » Présentation de Défense et illustration de la langue française aujourd'hui (Poésie/Gallimard, hors-série, 2013), par un collectif : Marie-Claire Bancquart, Silvia Baron-Supervielle, Tahar Ben Jelloun, Alain Borer, Michel Butor, François Cheng, Michel Deguy, Vénus Koury-Ghata, Marcel Moreau, Jacques Réda, Jacques Roubaud.


La Pléiade, Poésie, Poétique, édition de Mireille Huchon, Gallimard, Pléiade, avril 2024, 1616 p., 75 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 14 novembre 2024.

 

 

 

01/12/2024

Fabienne Rahoz, Infini présent l'insecte

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Qui a passé son enfance à la campagne a pu observer ce qui vivait au (et dans le) sol et dans les airs, oiseaux de toutes sortes, insectes de toutes couleurs, hérissons, mulots, etc. Outre cette expérience, irremplaçable, qui peut donner le goût des sciences naturelles, Fabienne Raphoz disposait d’un jeu des 7 familles où l’on demandait, par exemple, le Priam dans la famille des "Papillons exotiques" ; le classement n’était en rien scientifique mais, écrit-elle, « c’est peut-être de là que m’est venu ce goût pour la taxinomie et les classifications ». Goût des mots aussi, avec ce plaisir particulier de « prononcer des mots incompréhensibles ». Ce plaisir, notamment, beaucoup de lecteurs l’éprouveront en lisant Infini présent.

 

Les neuf citations en épigraphe, de Sei Shonagon (vers 966-après 1013) à la sculptrice Germaine Richier (1902-1959), à la fois pointent la complexité du monde des insectes, leur rôle essentiel dans l’équilibre écologique et leur place dans l’imaginaire. On retiendra la première, de Thalia Field (1966), auteure à la frontière de la narration et de la science, en accord avec les poèmes. « Parler des espèces est plus difficile que de parler de soi ». Au verso, une annonce, « Pour commencer », offre deux citations qui, chacune à leur manière, délimitent l’étendue des poèmes, celles d’un naturaliste anglais du XVIe siècle, Thomas Moffet, et d’un spécialiste contemporain de la Renaissance, Francis Goyet. Conservons la première, lapidaire, « In minimis tota est », que le premier poème, pages 12 et 13, illustre, en même temps qu’il est en relation avec le titre.

Sous le nom de l’ordre « THYNASOURES » une brève notice du naturaliste Walkenaer ; la page 13 répète en titre le nom de l’ordre et s’ajoute le nom de la famille, « Lespimatidae) ; le poème indique que cet insecte a sa place dans un traité de synanthropie : ils sont donc adaptés à la vie humaine et vivent dans les maisons où ils se nourrissent, par exemple, du papier des livres. Ils ont toujours été présents depuis le Dévonien — l’infini pour le temps humain, pour le présent. Le texte est suivi en bas à droite du nom courant (« Poisson d’argent »), de la désignation en latin (« Lepisma saccharina ») et de « Linnaeus, 1758), mention qui renvoie à la dixième édition de la classification de Linné, où son système de nomenclature avec deux noms en latin (générique et spécifique) est alors généralisé.

 

Se trouverait-on dans un manuel d’entomologiste comme le laisserait penser dans chaque poème  l’exactitude des désignations ? Certains poèmes sont construits à partir de l’histoire de l’insecte, comme dans cet unique exemple de « Notoptères » :

 

                       Grylloblattes et gladiateurs

 

                       tous ailés du Permien

                       butinent les conifères

cent-cinquante millions d’années

                       durant

 

                       disparaissent au Crétacé

                       les plantes à fleurs viennent d’émerger

                       [etc.]

 

La majorité s’écrit à partir d’une observation rapportée — et le poème peut devenir esquisse de récit, par exemple à propos de l’expédition de Darwin — ou de l’auteure inspirée par une caractéristique de l’insecte ; ainsi après un poème à propos de l’hibernie, papillon qui n’apparaît qu’à l’automne, un autre qui lui est lié, appartenant au même ordre et à la même famille :

 

                       … ou alors

            jaillissant des bois

                une nuit de janvier

 

                        dîner tardif

                                         en suspens

 

regards croisés

 

Un poème s’écrit à partir de la sonorité des mots, sans qu’il soit toujours nécessaire de retenir le vocabulaire français. Est choisie par exemple, en latin, « une liste de punaises rouge et noir issues de familles différentes » avec plusieurs critères de choix et, ensuite, de classement sur la page, le discours explicatif préalable faisant partie du poème :

 

                       Aracatus roeselii

                       Cenaeus carnifex

                       Carizus hyoscyami

                       Eurydema ventralis

                       Graphosoma italicum

 

Suivent deux ensembles de cinq noms disposés en échelle.

Une liste de noms, en l’occurrence de 48 oiseaux rassemblés en 4 colonnes, accumule des sons étranges pour qui n’est pas ornithologue (des savacous, des synallaxes, des saltators, etc.) — petit écart dans ce livre autour des insectes, que justifie le titre : « Peupler l’hiver d’ici » et l’amorce de la liste, « j’ai vu là-bas : ». Le lecteur lira aussi un poème en anglais, un autre avec trois lettres grecques répétées sur la page pour figurer le chant de la cigale grise.

Ce que suggèrent déjà les quelques poèmes cités, c’est la liberté de la mise en page qui correspond à la variété de la versification — jusqu’au dernier texte : l’ordre cette fois, avec humour, est noté « Bouquet final » avec pour l’accompagner quelques paroles d’une chanson de Pierre Barouh et, sur la belle page, un poème lapidaire :              

 

Friche

 

il a suffi de laisser.     les couleurs pousser

 

L’humour en poésie n’est pas des plus courants et l’on se réjouit souvent de la distance, et de la tendresse, prises par Fabienne Raphoz vis-à-vis de son objet. De l’ordre des Siphonaptères, la puce n’est nommée que par une citation (page de gauche) d’un sonnet des Amours de Ronsard, « Hé ! que ne suis-je puce » et par les deux derniers vers d’un poème en anglais de John Donne (The Flea, La puce), précédés d’un extrait de France Culture, « Comment peut-on dresser un si petit insecte ? ». Deux clins d’œil dans le poème en belle page :

 

                       quel cirque !

qu’en faire ?

de ces siphonap

tères

 

Maël me dit :

fais-les sauter

 

du livre

 

« je loue dans le poème / une vie plus vieille / que la mienne », écrit Fabienne Raphoz à propos d’un insecte. Ces louanges donnent envie de sortir du livre, de lire ou relire Fabre (présent plusieurs fois) et de vérifier que les insectes sont encore légion partout (y compris dans un jardin public, en ville) dans ce monde où tant d’espèces animales sont en voie de disparition, il faut le répéter et faire autre chose que s’en alarmer. On s’apercevra qu’ils sont souvent aussi beaux que le lucane dessiné par Ianna Andréadis en couverture. Une brève bibliographie complète ces poèmes qui donnent une présence vive à tous les insectes — « pour savoir il faut les voir ».

 

Fabienne Raphoz, Infini présent  l’insecte, Héros-Limite, 2024
130 p.,18 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 25 octobre 2à24.

 

 

24/11/2024

Sanda Voïca, L'ère de santé : recension

sanda Voïca, l'ère de santé : recension

Beaucoup de poèmes aujourd’hui ont pour contenu les faits de la vie de l’auteur / l’auteure, les petits ou grands désagréments, les petits ou grands plaisirs, parfois aussi les changements du ciel, des arbres, de la ville. Cette écriture du contenu des jours suppose que le lecteur sera comme devant un miroir — ce que je vis tu le reconnaîtras comme tien. Rien de moins sûr. Les trente-cinq poèmes de Sanda Voïca, en vers non comptés et non rimés, quelques-uns en strophes, explorent un peu ce qui n’est généralement pas dit, des sentiments et des gestes intimes. Ils sont numérotés et une date suit le dernier vers, l’essentiel écrit en mai 2022, quelques-uns en juin (l’un écrit les 5 et 7 juin), le dernier sans date. La concentration sur une période relativement brève explique l’unité de l’ensemble, mais aussi la récurrence des thèmes.

 

Pour l’individu, le désir est toujours présent, toujours renaissant et gouverne la manière de vivre parce qu’il est en accord avec « le monde en marche ». Il est à l’origine de la métamorphose constitutive de la personne, au point que le patronyme lui-même change, et Voïca devient « VoYca : Voÿca ». L’auteure se donne explicitement présente dans le "je", forgeant un adjectif à partir de son nom (« pensées (…) voïciennes »). Avec le masque mis à mal du "je", elle est constamment en recherche d’elle-même, avec son corps et avec les mots. Le premier poème rapporte une scène de masturbation, mais le geste qui la provoque est immédiatement associé à la mort de quelqu’un, « Frotte le corps / frotte la tombe », et ce lien, répété, semble acquis dans le dernier vers : « l’harmonie a été dite ». Le motif est repris en lien avec la nature ; c’est l’image de l’épanouissement des nuages, qui fleurissent, celle de l’étendue des nuances colorées, et enfin la disparition des limites du corps devenu « sans contours » dans la jouissance. Jouissance universelle, et la connaît aussi celui qui, dans les traditions religieuses, est supposé créateur de tout, Dieu, qui « rempli de testicules (…) jouit en (comme) une femme ».

 

Les dessins de l’auteure et ceux de maîtres sont regardés pour ce qu’ils ont d’apaisant, ils rassurent comme espaces qui excluent d’autres regards, comme sont rassurantes les activités qui comblent les jours. Elle éprouve un sentiment analogue devant les icônes, l’église étant un lieu à part, hors lieu comme dans la maison les combles, habituellement non habitables. Il y a une balance constante entre ce qui connote la vie — le corps jouissant, le nombre 1, la terre — et ce qui évoque la mort ou le retrait — la tombe, l’icône, le zéro. Cependant, le côté de la vie l’emporte avec les équivalences corps/terre et langue/terre (« la terre des mots »). Corps et esprit ne font qu’un (« mon cerveau-ventre »), c’est pourquoi écriture et dessin participent à la jouissance, le "je" entier vivant dans toute activité « l’extase qui fait bouger l’univers », littéralement (ex-tasis) ce qui fait sortir de soi et s’exprime alors ce qui était ignoré auparavant.

 

Pour Sanda Voïca, les mots et le monde sont équivalents ; sans les mots le monde n’existerait pas, ils ne permettent pas seulement les échanges, ils donnent vie à la personne (« Je nais de ces mots »), disent la présence comme ils disent la fin (« les mots diront la nuit »). Sans doute y a-t-il souvent dans ces poèmes les traces d’une douleur que seule la joie de l’amour peut laisser au second plan ; l’amour et les mots qui le disent sont toujours une approbation de ce qui est, ils forment pour Sanda Voïca l’espace même de la vie, effaçant tout ce qui l’encombre. Il y a quelque chose de revigorant dans cette manière de Journal où l’amour est maître des mots, donc des jours. 

Sanda Voïca, L’ère de santé, Atelier rue du soleil, 40 p., 12 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 16 octobre 2024.

 

17/11/2024

Jean Hélion, Pour qui travaille-t-on ? Une lettre à André du Bouchet : recension

 

 

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                                    « Peindre comme on aime, éperdument »

D’Eugène Delacroix à Paul Klee et Käte Kollwitz, des peintres ont écrit leur Journal qui, souvent, leur permettait de préciser pour eux-mêmes ce qu’était leur recherche. La "lettre" de Jean Hélion, qui ne fut pas envoyée à André du Bouchet, est un Journal qui contient quelques éléments sur la vie quotidienne mais, pour l’essentiel, relate le parcours du peintre, la lente conquête de ce qui lui importait, ses nombreuses rencontres, ses échecs et ses réussites. Rien de linéaire dans cette vie toujours dominée par une question sans réponse claire, question qui donne son titre à l’ensemble, « Pour qui travaille-t-on ? » La lettre n’a jamais été envoyée et Hélion a ôté ensuite, en 1963, dans le but de la publier, les allusions à du Bouchet, projet inabouti ; elle a été écrite à un moment où le peintre connaissait des difficultés professionnelles et personnelles. Il admirait les écrits du poète, à qui il écrivait en octobre 1951, « je suis d’accord avec votre démarche, et surtout avec la netteté qu’elle prend à l’égard du monde ».

 

Cette "netteté", Hélion l’a recherchée dans son activité de peintre comme dans ses nombreux écrits ; il s’est soucié de la « position sociale » du peintre et a été compagnon d’organisations dont il pensait qu’elles se vouaient à la défense d’un "art pour tous". Il était convaincu, y compris dans sa longue période abstraite, qu’il lui fallait « travailler pour cette masse opprimée, souffrante, bien qu’ignorante ». Position généreuse, sans aucun doute idéaliste, mais plus juste pour qui se voulait révolutionnaire dans sa pratique de la peinture que le choix d’Aragon défendant dès les années 1930 une politique qui détruisait toute recherche artistique en URSS au nom du "réalisme socialiste". L’enthousiasme de Jean Hélion pour le communisme fut refroidi à la suite de son voyage avec le peintre William Einstein en URSS en 1931, il le fut encore plus avec la connaissance des "purges" — artistes, écrivains interdits d’exposition ou de publication, envoyés au goulag — qui se succédèrent à partir de 1934. Il passera peu de temps dans l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, antenne en 1932 de Moscou ; alors qu’il est persuadé d’être dans le vrai avec l’abstraction de ses tableaux, il s’y heurte au refus de l’art abstrait par les gardiens de l’art — du "réalisme socialiste" — du Parti communiste.

Il participe à la fondation du groupe Abstraction Création (1930), qui accueille Arp et Delaunay, par exemple, mais aussi beaucoup de peintres médiocres à ses yeux — ce qui justifie son départ en 1934. Après sa première exposition personnelle, en 1932, il tire une leçon amère : on y voyait

 

Une petite cour orgueilleuse et repliée sur elle-même, constituée de gens qui croient appartenir à une élite, se croient choisis et ne le sont que par eux-mêmes.

 

La rencontre avec le collectionneur Georges Bine en 1925 lui avait permis de peindre sans pour autant pouvoir y consacrer tout son temps ; son second mariage avec l’américaine Jean Blair en 1932 (qui le conduira aux États-Unis), puis l’achat de tableaux par le collectionneur américain, Albert Eugene Gallatin, à l’origine du premier musée d’art moderne à New York, le libèrent de soucis matériels sans modifier son point de vue. Selon lui, les tableaux ne sont pour les mondains que pour « le plaisir des yeux » et ne suscitent qu’une « curiosité sans conséquence » ; qu’Hélion cherche une adéquation complète entre la forme et le sens de sa peinture n’a aucune portée pour ceux qui achètent ses tableaux alors que la « vérité » de son travail de peintre réside dans cette conjonction. Il rapporte qu’il fréquentait assidument le Louvre avec un « besoin de tout bousculer » qui l’aurait incité à la fin de 1936 à repartir aux États-Unis jusqu’en 1939.

Hélion ne connaîtra pas le succès à New York et, en Virginie où il s’installe avec son épouse, il commence à sortir de l’atelier et à dessiner d’après nature. Ses tableaux évoluent lentement vers la figuration ; rétrospectivement, dans sa lettre à du Bouchet, il s’écarte de l’abstraction : « L’art abstrait participe de cette fatalité du suicide des idées, des formes, du contact avec le monde ». Ce monde, il le retrouve d’une autre manière en retournant en France où, mobilisé, il est fait prisonnier en 1940 et interné jusqu’à son évasion en 1942. Il parvient à regagner les États-Unis où le récit de sa captivité (They shall not have me, "Ils ne m’auront pas") connaît un succès de librairie. Pas ses toiles : les expositions en 1944 et 1945 sont un échec ; faut-il les attribuer, comme il le suggère, au scandale provoqué par sa relation avec Pegeen Vail (fille de la collectionneuse Peggy Guggenheim) qu’il épousera en novembre 1945 ? La mévente persistante de ses tableaux aboutit en 1947 à l’annulation de son contrat par le galeriste Paul Rosenberg. Il revient en France en 1946 et ses expositions sont éreintées par la critique, « Le monde ne m’attendait pas. Il n’avait pas besoin de moi ».

Son retour à la figuration (« Quelque chose doit venir du dehors ») a peu changé sa relation à la peinture qui représente toujours pour lui le « cri d’un homme aux prises avec la vie ».  Son œuvre est reconnue de son vivant par Ponge, André du Bouchet, Bonnefoy, avec lesquels il se lie vers 1948, puis lentement par les galeristes ; il a croisé ou s’est lié d’amitié avec de nombreux écrivains et artistes au cours de son demi-siècle d’activité, Mondrian, qui l’a influencé à ses débuts, van Doesburg, Arp, Calder, Léger, Queneau, Hartung, etc. Le Centre Pompidou lui a consacré une exposition en 2004 et il a occupé six mois, en 2024, le Musée d’art moderne à Paris.

 

La lettre à du Bouchet proprement dite s’interrompt avec la mort de l’écrivain Pierre Mabille (1904-1952), dont il écrit la nécrologie (reproduite en annexe) à la demande d’André Breton. La préface d’Yves Chevrefils-Desbiolles est suivie d’un extrait du Journal donné à Fabrice (un des fils de J. H.), la Lettre est accompagnée en annexe d’un texte autour d’une idée de ballet et d’une étude de du Bouchet sur l’œuvre d’Hélion. Enfin, après des index des noms cités vient la liste des œuvres reproduites du peintre. L’ensemble, comme les autres livres des mêmes éditions, est imprimé sur beau papier avec une typographie aérée.

Jean Hélion, Pour qui travaille-t-on ? "Une lettre à André du Bouchet, été-automne 1952", éditions Claire Paulhan, 2024, 240 p., 28 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 14 octobre 2024.

 

 

01/11/2024

La revue de belles-lettres, 2024-I : recension

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Sauf à consacrer une livraison à un thème — pour la revue de belles-lettres, "Enfantines", 2021, 2 par exemple —, une revue propose le plus souvent des textes variés, même si l’accent est mis sur un ensemble. Dans ce premier numéro de l’année, une centaine de pages sont réservées à des poètes d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie, sous le titre La trace du souffle. Le choix de Marion Graf et Alexey Voïnov est sans ambiguïté : « Aux confins de l’Europe, hier et aujourd’hui à nouveau, des poètes ont élevé et élèvent leur voix face à la répression et à la violence (…) à la dictature et à la guerre. » On lit, d’abord avec Vasyl Stus, « voix fondatrice de la poésie résistante ukrainienne », quatre poétesses.

 

Vasyl Stus (1938-1985) a connu le régime soviétique en Ukraine et, pour l’avoir combattu, les prisons et les camps de "travail" — le Goulag — où il est mort au cours d’une grève de la faim. Ses poèmes, parfois tournés vers le religieux, évitent les images et, dans leur dépouillement, portent la rage et la difficulté de vivre, aussi le désespoir :

 

                        La vie passe sans même avoir été

et combien vaines toutes les plaintes.

C’est à peine vu, c’est à peine entendu,

et ça finit, comme un mauvais présage.

 

C’est ce sentiment d’être devant un mur infranchissable qui domine dans un poème de Julia Cimafiejeva (1982), Biélorussienne en exil. Deux narrations qui semblent parallèles mettent en évidence la violence de la dictature ; elles opposent le plaisir sensuel d’une assiettée de fraises au lait à l’exécution de plusieurs « groupes de 15 personnes » devant une fossé où les corps tomberont : les deux récits se rejoignent, les fraises constituent le dîner des fusilleurs.

Une autre exilée, Russe, Polina Barskova (1976), évoque dans une prose Joseph Brodsky, lui aussi exilé, et ce qu’est pour elle la poésie et le terrible présent « sous les bombes, depuis la prison, depuis les camps ». Comment reconstruire ses repères dans un autre lieu, une autre langue — c’est devenir un « char/don roulant » et vivre une perte qui aboutit au constat « Je ne suis plus à personne ». Saint-Pétersbourg, la ville aimée, n’est plus et une visite à la maison d’Emily Dickinson fait prendre conscience de l’impossibilité de tout retour. Comment vivre aujourd’hui la guerre quand on comprend que « le pays se perd » ?

La guerre, destructrice de l’individu, est aussi le motif de Marianna Kiyanovska (1973), Ukrainienne ; la guerre conduit à la perte de soi parce que, écrit-elle, « chaque balle qui n’est pas pour moi / est mienne ». Peut-on rêver d’une autre vie ? Il y a, malgré la violence installée, la pensée qu’autre chose est possible comme le dit explicitement le titre « Partager la lumière ».

Mais ce qui est à partager est refusé quand c’est la violence qui est mise en cause. Deux metteuses en scène russe, Génia Berkovitch (1985) et Svetlana Petriichuk (1980), arrêtées en mai 2023 pour « justification du terrorisme » — qu’elles combattaient dans une pièce saluée par la critique en 2020 — ont été condamnées à 6 ans de prison en septembre 2024. « Il n’y a plus rien à espérer », écrit la première qui, dès le début de l’invasion russe en Ukraine, s’opposait à la guerre.

 

Tous ces poèmes rappellent, si l’on était tenté de l’oublier, que les dictatures existent toujours et qu’elles se maintiennent par la violence pour obtenir la soumission de leur population. Le refus de céder entraîne la répression, la prison, reste à vivre en silence ou à partir : c’est ce que rapporte le russe Alexey Voinov dès le 22 février 2022, début de l’« opération militaire spéciale », « expression qui noyait tout dans le brouillard ». Il raconte ses hésitations et comment il se résigne à l’exil pour fuir un régime où les soldats violent et tuent. Loin des vies défaites, Pierrine Poget commente ce que furent au début des années 1950 les tâches quotidiennes de la Sœur principale d’un hôpital de Genève, qui consigna tout ce qui l’occupait, aussi bien l’état des malades que des anecdotes propres à la vie collective. Il ne s’agit pas seulement d’un document à vocation administrative, il y a là « une femme qui écrit, c’est-à-dire qui pense et qui ressent, qui met en ordre quelque chose d’elle-même pour le tendre à l’Autre ». On suivra l’auteure dans ses réflexions sur un mot qui l’a intriguée dans ce "livre de raison", « lavures », dont elle apprend après quelques détours qu’il s’agit d’eau de vaisselle…

 

Le lecteur suit Jean-Claude Caër dans un tout autre lieu, la Bretagne, décor principal d’un ensemble de poèmes. Il y rapproche son présent à la campagne, l’été, des jours de l’enfance et, aussi, de ce temps où il « ramasse les couleurs de l’automne ». Un autre moment, il est à Ostende, pense au poète Franck Venaille, médite sur la maladie, sachant que « Seul compte le vrai, l’intensité, le désir pour affronter le néant. » Ce vrai, ce sont les petites scènes de l’été, les oiseaux observés, les enfants dans le jeu, les marches dans le vent, « la joie d’être là, pas ailleurs, juste à cet instant. »

 

Le lecteur rejoint ensuite Amaury Nauroy qui propose un "portrait" très personnel de son « ami de Fribourg », Frédéric Wandelère dont les poèmes sont encore peu connus en France. On suit également les réflexions de Gilles Ortlieb à propos de la traduction du Journal de Georges Séféris dont des passages sont retenus, comme celui d’une rencontre avec Henri Michaux dans les années 1930. On n’oublie pas les poèmes de l’écrivain syrien Saleh Diab, installé en France, ni les photographies de Julia Cimafieva qui accompagnent La trace du souffle. Il faut enfin rappeler le parti-pris exemplaire de La revue de belles-lettres : tout poème traduit est accompagné du texte original.

 

La Revue de belles-lettres, 2024-1, 206 p. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 2 octobre 2024.

 

26/10/2024

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, 19 : recension

                                           

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                                             Un livre de questions  

 

Le livre s’achève avec le mot « FIN » suivi de « (Fin des Juliau) » ; fin d’une aventure de quarante ans qui, parallèlement, a suivi d’autres voies, notamment celles de la réflexion autour de l’œuvre de peintres ; il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas rupture, le tableau et le paysage — mémoire et présent — entretenant des rapports étroits : le corps lui-même devient paysage (« — Que regardons-nous quand nous nous regardons ? / — Un paysage qui prend corps, un corps qui hésite. ») comme la colline de Juliau est aussi corps vivant. La couverture de Juliau 19, due à l’atelier d’Anselm Kiefer, est liée à la recherche de Nicolas Pesquès : un peu à droite, une robe issue d’un autre temps sort entière du sol, encore tenue par des racines dans un terrain pierreux ; sur la gauche, comme surgies du dos du livre, six piles inégales de livres ou de manuscrits assises sur un corbeau historié ; le tout sur un fond d’arbres. Images du passé, de l’écriture et de la mémoire, et du paysage toujours présent où elles s’inscrivent. C’est d’abord la mémoire et le présent que le préambule présente comme source : « L’inoubliable ou l’enterré vivant en nous. Le vécu le plus intense étant aussi le perdu le plus profond ; la mémoire un horizon pour se mettre en route, et le présent que l’on souhaite vivre mais qui s’efface à mesure : le désir même, la puissance d’éloignement du désir ». Ensuite, dans le présent, celle qui dans le livre dialogue avec le narrateur.

 

 Le dialogue en effet constitue la majeure partie de Juliau 19, forme justifiée « comme possibilité du poème, comme rupture et raidissement ; relances biseautées qui attisent le quotidien, l’enveniment, le défraient ». S’ajoutent un intermède, des interludes et pense-bête, remarques à propos d’un des échanges, tous hors dialogues qui sont inclus dans un Journal commencé le 2 octobre 2018 et achevé courant avril 2020, Journal tenu avec des blancs, comme peut l’être ce genre d’écrit, par exemple pour octobre 2019 seulement appelés les 7, 13, 16, 18, 19. Si Juliau 19 se présente comme la restitution d’un Journal, qui conserverait les échanges entre deux proches, il s’agit d’abord d’un travail d’écriture, prolongé au-delà de 2020 comme l’atteste la référence à un livre de Pascal Poyet publié en 2022.

Accompagnant ou non le dialogue, des phrases presque toujours nominales rappellent la présence de "la face nord de Juliau" par un de ses éléments, et celle du couple : « Herbe comme une boisson forte, jaune en majesté, jaune crucial et colline belle », « Sur le grand pin, la buse a pivoté : un visage, certainement le nôtre, passe au bleu et se dissout ». Précédant le dialogue ou y étant incluses, beaucoup de citations — du Roman de Tristan et Yseult à Roberto Bolaño —, dont les références sont données à la suite du texte : citer est un départ pour analyser, appuyer le raisonnement, « Lire relance la machine ». Les citations sous forme de questions deviennent parfois un élément du dialogue, remplaçant l’intervention de l’interlocutrice et le narrateur y répond ; accumulées, elles tiennent lieu d’analyse ou de relance des échanges.

 

Livre de questions, en ce sens que la langue permet d’écrire à propos de ce qui est ressenti, vécu, vu, de la relation à l’Autre et du paysage (pour autant que les images et l’Autre puissent être dissociées), et cet écrit pourra être lu, sans cependant que les mots puissent dire « ce qui justement ne peut être dit » (Agnès Rouzier, citée), ils ne transmettent à un lecteur que ce qu’il imagine. Une avancée est suivie d’une nouvelle question, d’une nouvelle approche. Il y a dans ce mouvement sans cesse repris de l’écriture, pas seulement celle de Pesquès, quelque chose de tragique qui a souvent été souligné. Si cette obscurité propre à l’usage de la langue est admise ici, il n’est pas dit que le passage du je au tu soit totalement exclu, « Peut-être que la voix du regard est celle que nous entendons le mieux, sans pouvoir la franchir, sans savoir la dire ». Pourtant, « — Si regarder, se donner les yeux, c’est bien s’équivaloir, cette sensation est un gouffre ». Il ne s’agit pas alors de devenir un "nous", mais de faire que l’amour soit fusion, dévoration, « On serait des miroirs, on se découvrirait disparus », « volatilisés ». "Nous" ne peut-être qu’un « corps infaisable flottant », une « Forme sans identité », « n’ayant aucun intérêt à défendre que son attraction, la constitution de son désir, la torsade de sa découverte » ; alors « l’expérience du dehors [devient] dialogue », « ensemble » a lieu « avec le bonheur aigu de ne jamais faire un ». Dialogue parce que la langue seule peut faire partager ce qui échappe de la vie, et si les corps s’étreignent les mots disparaissent, « noli me tangere, ce n’est pas pour les corps, les corps y arriveront toujours. C’est pour les mots, dont la bousculade est plus puissante, encore plus lancinante… ».

 

Dans le dernier ensemble du livre, seuls des fragments de L’Homme sans qualités sont retenus qui font fortement écho aux motifs de Juliau 19, en particulier ce qui occupe la réflexion autour de la langue et du désir, Musil, selon Pesquès, ayant cherché « comment peut se tramer dans la langue   l’approche et la réalisation de l’impossible. Comment demeurer dans le désir pour traverser le mur, en faire l’abîme de la séparation la plus heureuse, l’en deçà de la fusion interdite. » Il n’est pas certain qu’il y ait une réponse satisfaisante, ou plutôt elle serait dans le ressassement du dialogue auquel invite la voix qui clôt le livre, « Viendrez-vous ? ». Invitation aussi aux lecteurs à lire, sans cesse, et à conduire eux-mêmes le dialogue.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, 19, Poésie/Flammarion, 2024, 218 p., 20 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 8 septembre 2024.

14/10/2024

Isabelle Zribi, Il faut bien mourir de quelque chose : recension

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Depuis trop longtemps, la plupart des échanges oraux sur les sujets de société ne se font qu’avec des phrases indéfiniment répétées, par nature loin de toute analyse. Quel que soit le sujet abordé, ce ne sont que des formules toutes faites, qui portent une idéologie conservatrice — les choses doivent rester en place, tout mouvement critique à l’égard de ce qui est ne peut qu’être négatif, tout écart par rapport au "bon sens" commun est condamnable, toute innovation introduite dans les pratiques risquerait d’ébranler les assises acceptées. Bref : ne bougeons pas/plus !

 

Isabelle Zribi a relevé quantité de ces énoncés passe-partout et les a classés par thèmes variés : perception de la mort, réflexions sur « les mystères de l’amour », sur l’homosexualité, affirmations péremptoires sur l’art, etc. Ses commentaires, souvent incisifs, visent à faire prendre conscience que sous l’apparente évidence des propos se propage un impensé lié à des comportements, à une manière de vivre frileux qui ne questionnent jamais, justement, les fausses évidences comme « Mieux vaut avoir un enfant jeune », « La mode, c’est cyclique », etc.

Elle n’est pas sociologue et ne prétend pas rendre compte des résultats d’une enquête, cependant, outre que le lecteur retrouve ici et là l’acuité d’un Bourdieu, elle substitue avec pertinence   l’humour à la démonstration et touche avec efficacité la cible. Par exemple, à propos d’une personne qui meurt (on dira plus souvent "qui disparaît " ou, euphémisme qui éloigne un peu plus la mort "qui nous quitte") après une "longue maladie", comme on dit aujourd’hui :

 

                      " Il ne souffre plus.

   On a trouvé un avantage à la mort ; c’est un antidouleur plus radical que la        morphine, sans compter qu’il est dénué d’effet secondaire. Certes, il y a un prix — dérisoire — à payer. Mais on n’a rien sans rien."

 

La mort est un sujet particulier, le mot « mort » lui-même est le plus possible évité et l’on cherche toujours des manières de dire qui en diminuent la présence ou en atténuent la venue. Qu’une personne meure passés les 90 ans, on recourt sans réfléchir à des mots sans pertinence : « Elle était très âgée », ce qui appelle le commentaire d’Isabelle Zribi : « Arrive un âge où on mérite de mourir ».

 

De nombreux énoncés à propos des arts prouvent simplement que pour leur énonciateur un livre, un tableau, un film, etc., n’ont de "valeur" que s’ils apportent délassement, détente, et qu’ils sont immédiatement interprétables. D’où la proposition générale fréquente, « L’art contemporain, on n’y comprend rien », « La danse contemporaine, on n’y comprend rien » — quant à la poésie… On ne se pose pourtant pas de questions, pour reprendre l’exemple de l’auteure, devant un tableau ancien qui donne à regarder « un lapin écorché, pendu par les pattes ».

 

On appréciera sans doute les commentaires de phrases trop souvent entendues à propos de l’homosexualité, comme « Pourtant elle est féminine », « C’est sa vie privée ». Tous les énoncés, qui prétendent noter, violemment ou non, un écart par rapport à une prétendue norme, ne peuvent susciter qu’un commentaire, celui d’Isabelle Zribi : « Une chose est sûre : la connerie humaine est un facteur de graves perturbations sociales » — on pense à Le Pen père pour qui l’homosexualité était (citation) une « anomalie biologique et sociale » ; d’autres, en invoquant cette raison, ont envoyé les homosexuels, distingués par un triangle rose, dans des camps d’extermination.

 

Le lecteur reconnaîtra des énoncés qu’il a peut-être, à un moment ou un autre, prononcés sans penser à ce qu’ils impliquent, comme « il/elle ne fait pas son âge », « Je rêve de m’installer avec un bon bouquin ». La pertinence des commentaires d’Isabelle Zribi devrait aider à comprendre que ces phrases banales représentent une relation à autrui, donc à la société, fort peu émancipatrice. Pour prolonger le bêtisier, on pourra relever dans un carnet ce que l’on entend quotidiennement à propos des immigrés ou du personnel politique.

 

Isabelle Zribi, Il faut bien mourir de quelque chose, Rehauts, 2024, 80 p., 16 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 30 juin 2024.

06/10/2024

 Étienne Faure, Séries parisiennes : recension

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On pourrait rêver de réunir les poèmes, vers et proses, écrits à propos de Paris entre 1900 et aujourd’hui, on aurait sans doute le sentiment qu’il existe plusieurs villes du même nom dans le même lieu, d’Apollinaire à Réda, de Léon-Paul Fargue à Roubaud. Séries parisiennesentrerait aisément dans cet ensemble, on y entend la voix particulière d’Étienne Faure, sa manière de vivre la langue qui invente "son" Paris, on y reconnaît des motifs présents depuis ses premiers livres, on y retrouve une forte attention à la composition et à l’unité d’un ensemble.

 

Séries parisiennes est composé de 16 ensembles, tous titrés "Côté + nom" : "Côté Seine", "Côté rue" pour les premiers, "Côté voix", "Côté H" pour les derniers. "Côté cage" (la cage de l’ascenseur d’un immeuble) rassemble « Dix-sept haïkus dans l’ascenseur » de construction syllabique régulière (5-7-5) ; tous les autres groupes comptent 6 vers ou proses, sauf "Côté mains" avec 12 quintils — donc 15 groupes de 6 vers à quoi s’ajoutent 6x2, soit à nouveau 17. Jeu des nombres et la thématique hors la cage est présente dans les haïkus : le baiser, les oiseaux, les voix, les écrivains (avec Balzac), etc. Les figures sont limitées à quelques paronomases, « les remous/les rumeurs », « intemporelles/intempéries », « se carapatent/Carpates » ; l’emploi du vocabulaire noté familier ou argotique par les dictionnaires, très rare chez Étienne Faure, est présent ici peut-être pour mieux marquer le caractère urbain de l’ensemble (zef, se tirer, (d’une femme) la mieux roulée, piaule).

La phrase des poèmes se développe le plus souvent à partir d’un mot ou d’un thème ; elle peut s’ouvrir avec deux mots repris à la sortie en ordre inverse avec changement de genre, (nom/ adjectif, « le vert et le noir »/« paysage noir et vert tendre »). Dans la prose d’ouverture, le lecteur passe de fenêtre à spectacle, manteau d’arlequin, théâtre, scène de genre, acte un, acteurs, jeu, chandelle (pour évoquer le théâtre ancien). Ces reprises sont un des moyens pour construire des poèmes, en prose ou en vers, d’un seul tenant, l’unité pouvant aussi être obtenue par l’emploi d’un ensemble homogène de couleurs : dans le second poème du recueil pour caractériser la saleté de la Seine, « vert trouble », « or gris sale », « eau rouille », couleurs opposées au bleu outremer, à l’azur. L’aspect trouble de l’eau n’empêche pas son mouvement, symbole habituel du « temps qui coule », comme l’eau « passe et file » vers la mer.

 

Le ton est donné, on ne découvrira pas un Paris insolite, pas plus que ses monuments ; rien d’autre à voir que le quotidien, ce qu’offrent la rue, les bancs, les allées du cimetière, les parcs, quelques personnages résolument à l’écart de la société, « (ces) vieux Rimbaud qui marchent ».  Rien que le quotidien et s’attacher à ce qui échappe souvent au regard alors qu’il suffit de lever la tête, suivant en cela le Baudelaire des fenêtres : « Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. » Le piéton des Scènes parisiennes observe ce qui semble être une « scène de théâtre », reconstitue ou invente « Tout un fracas de vies intérieures », engrange un matériau offert à qui veut le voir tout comme il saisit au cours de ses marches des phrases, des fragments de récits. L’observation des habitués des bancs, dans les parcs, est différente. Immobiles et souvent silencieux, ils semblent « à l’écart du temps qui passe », dans un autre univers, celui des souvenirs.

 

Le narrateur sans cesse imagine des vies, également des scènes amoureuses où le couple, bien que dans la chambre, semble hors du monde de la ville, comme s’il s’étreignait sur un « grabat de feuilles / de paille » et s’entend aussi un « froissement de litière » ; l’étreinte entraîne un vocabulaire connotant la nature et elle impliquait également une position des corps pour rappeler la dyade Éros-Thanatos : devenus des « gisants » et « leur mort est à son comble ». Il reconstitue aussi des ruptures (« pour avoir trop bu »), l’un partant « refaire sa vie », ou « attendant l’autre (elle ne vient pas) ». Tout peut être point de départ d’une fiction, voix et gestes glanés dans les rues suscitant de courtes pièces. Cette attitude de voyeur en quête de ressources est d’ailleurs dite dans un poème qui renvoie le lecteur « aux livres anciens » où un personnage observe une scène érotique par le trou d’une serrure avant de devenir lui-même acteur.

 

Les livres — les livres de poèmes — sont partout dans les Séries parisiennes. Un ensemble de poèmes est consacré à des écrivains qui, tous, ont été attentifs aux choses ordinaires de la vie ; ils sont nommés (Follain, Guillevic, Réda, Goffette, Vaché), ou reconnaissable par un détail, Stéfan par « litanies », « Judas », plus clairement par « stéfaniennes ». À côté de ces hommages, le lecteur collecte des citations, de ces auteurs et, dans les poèmes, de Rimbaud (« On ne part pas »), de Ronsard ("Mais ce mien corps enterré/s'il est d'un somme fermé/Ne sera plus rien que poudre »), fragment recopié par le narrateur qui le lit au Père Lachaise. Il repère une allusion probable à un titre d’Étienne Faure (Vues prenables, 2009) dans « Rêvent-ils (…) d’autres vues imprenables », ou il se souvient du Verlaine de Sagesse(« Le ciel est, par-dessus le toit ») avec « La mort est par-dessus les toits ».

La mort est présente pour le narrateur par le souvenir des disparus, proches ou non, par le souvenir de ce qu’ils furent ; ainsi la mère définitivement absente, « un beau vide », ou tous ceux devenus sans visage ; parfois, il se vit « rattrapé par le néant des aïeux sans racines, qui n’auront bientôt jamais existé ». À côté des drames personnels, l’Histoire est le temps pour tous de la mort ; le dernier ensemble, est titré « H » — initiales dans « Les Humbles champs d’Honneur de l’Histoire Humaine » — et plusieurs recueils d’Étienne Faure s’achèvent avec l’évocation de ce qui ne fait en rien honneur aux humains. La guerre était annoncée par les cloches et leur bruit peut encore l’évoquer, trace d’un autre temps, comme les couteaux des bouchers dans un abattoir ; pour le narrateur, c’est le grincement des roues, des freins d’un vélo qui appelle le souvenir des années 1940 et des rafles de juifs, l’envoi dans les camps d’extermination, ce sont aussi les déformations du corps à cause des privations qui restent les empreintes des années de guerre.

 

Les potences finissent par être « arrachées » et tous sont enfin « à l’air libre »… On sait bien que la poésie ne changera pas le cours des choses, qu’elle n’empêchera pas le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie (parmi d’autres plaies trop présentes) de prospérer ; cependant, qu’un ensemble à propos d’une perception très personnelle de Paris se termine en évoquant la peste brune, toujours vivante sous des formes plus ou moins avenantes, n’est pas indifférent.                                                                                  

 Étienne Faure, Séries parisiennes, Gallimard, 2024, 156 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 19 juillet 2024.

 

 

 

 

21/07/2024

André du Bouchet, Enclume de fraîcheur : recension

andré du Bouchet, enclume de fraîcheur

        « Lorsqu’un poète disparaît, qu’en est-il de sa voix » (Anne de Staël)

 

Le lecteur de poésie, critique ou non, s’attarde plus souvent sur le sens des poèmes que sur la forme, appelant même parfois à la rescousse des philosophes variés, ce qui le plus souvent laisse le fait que les poèmes ne sont pas seulement que des mots sur une page, qu’ils peuvent aussi être lus à voix haute : même les poètes dadaïstes interprétaient leurs textes sur scène. Il existe évidemment des lectures de poèmes par des comédiens, beaucoup moins d’enregistrements disponibles par les auteurs eux-mêmes. La Dogana après avoir proposé des enregistrements de lieder (Hugo Wolf, Schubert, Malher, Schumann), publie en 2010 des proses et poèmes de Philippe Jaccottet (Le combat inégal), l’année où il recevait le prix Schiller ; en 2024, dans une présentation élégante, c’est la reprise d’une lecture d’André du Bouchet qui est présentée, faite à Marseille en 1983 à l’initiative de Jean-Luc Sarré et de Nicolas Cendo.

Avec ce disque compact, on écoute des extraits de L’Incohérence*, de Dans la chaleur vacante, de Ou le soleilet de Laisses ; a été ajoutée l'audition de poèmes que du Bouchet appréciait, du XIXe siècle (Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Verlaine) et du XXe siècle (Apollinaire, Reverdy, Tortel). Outre   les textes, ont été ajoutés deux photographies de la lecture à Marseille, une autre d’une lecture à Quimper et un portrait par Pierre Tal Coat, l’ami qui a suscité plusieurs écrits. Trois études s’attachent à définir les caractères particuliers de la poésie de du Bouchet.

 

Sander Ort, peintre allemand et traducteur (Jaccottet, Bonnefoy, du Bouchet) était encore jeune lorsqu’il est allé rencontrer du Bouchet, pour la première fois, dans sa maison de Truinas, face à la montagne. Son témoignage, plus développé dans un livre publié en 2018 (Versants d’un portrait, rencontres avec André du Bouchet, Le Bruit du temps) introduit le lecteur dans un singulier atelier d’écriture où des feuilles de papier sont au mur comme des tableaux. Il insiste sur la prééminence pour le poète des éléments naturels, les nuages et la pierre, le ciel et le vent, les plantes rencontrées dans les promenades, jusqu’au liseron sur le bord des chemins — liseron à fleur blanche ici puisque le peintre parle de sa variante bleue. Ils ont marché ensemble dans la montagne et Sander Ort a été sensible au lien étroit entre le rythme de la marche et le mouvement donné aux mots dans la lecture, mouvement qu’il a retrouvé après la disparition de du Bouchet lors de l’écoute à Paris d’enregistrements de lectures.

Cette manière très particulière de restituer à voix haute ses poèmes, qui rassemble ce qui apparaît épars sur la page, dérange la perception première d’un livre de du Bouchet. Elle exige du lecteur l’effort de penser autrement le texte et de travailler ce que peut, ou doit, être un passage de l’écrit à l’oral. Anne de Staël exprime, par une image, ce qu’elle ressentait dans l’écoute : « Au lieu de prendre appui sur [la phrase] il la suspendait au-dessus du vide dont il avait le vertige ». Elle rapporte l’expérience d’une lectrice peu habituée, pour des raisons sociales, à lire des poèmes qui « entendit d’une seul coup les portes du langage s’ouvrir » après avoir écouté du Bouchet lire ; ensuite, après avoir été un moment déconcertée par la forme des textes écrits, elle « se prit au battement d’ailes des pages ». C’est une perception singulière de l’oralité qui a permis de lire l’espace occupé par l’écrit, les habitudes bien ancrées, installées très tôt par l’école, sont alors inversées.

 

Le texte s’incarne et, analogue à des répliques dans le théâtre crée, comme l’analyse Florian Rodari, un « espace sonore » qui restitue celui de la page. La voix, ses inflexions, son débit, « parole au vent », ne font pas disparaître l’écrit, au contraire le rendent accessible, le font "voir" ; le poème, dispersé dans l’espace de la page, qui semblait fragmenté, retrouve alors son unité, les mots, les phrases gagnent une présence. S’il est une leçon claire à donner de la relation entre diction et écrit, c’est qu’il est nécessaire de penser le lien entre le "chant", la scansion et la signification, ce qui semble souvent oublié dans la poésie contemporaine — c’est ce lien que cherche à construire, quoi qu’on en pense, le rap. Le poème de du Bouchet ne devrait donc pas être seulement parcouru des yeux par le lecteur, le parcours devant plutôt passer par sa gorge : il y a à réapprendre à lire autrement, ce que supposait déjà la lecture de Mallarmé, dans la lignée duquel s’inscrit du Bouchet.

Florian Rodari insiste sur la relation entre la forme des poèmes et le mouvement de la marche, notant que les « abrupts dans le phrasé (…) traduisent les ruptures repérées dans les paysages » et, plus généralement, que « La voix passe par la gorge, la bouche, les lèvres, que c’est le souffle d’un corps en marche aussi bien que celui d’un esprit en éveil ».

 

On a insisté sur la présence d’un corps vivant dans les poèmes, sur son souffle, son mouvement que marquent en partie les blancs dans la page. La disposition graphique des textes a parfois rapproché les pages d’un tableau — pour Sander Ort elle rapproche chaque page d’une sculpture —, dont la voix rendrait l’organisation visible. Ce qui est plus immédiatement lisible, c’est l’absence de tout mot abstrait dans l’œuvre, sont seulement présents les mots nommant les choses de la nature. Il n’y a alors peut-être, « rien à comprendre » dans ce monde visible, au moins peut-on « par la voix : l’entendre » C’est la conclusion de Florian Rodari qui suggère ainsi une autre lecture des poèmes de du Bouchet.

  

* Publié par Paul Otchakovsky-Laurens chez Hachette en 1979, repris par Fata Morgana en 1984, le livre a été réédité cette année chez Gallimard.

 André du Bouchet, Enclume de fraîcheur, poèmes et proses enregistrés par l’auteur, Essais de Florian Rodari, Anne de Staël et Sander Orf,  poèmes et proses enregistrés par l’auteur, La Dogana, 128 P., 40 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 5 juin.