20/01/2023
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir
Le passé
Comme une vieille échelle pourrie
Qu’on a jeté d’une scierie désaffectée
Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,
Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,
Rongé par les tarets, encroûté de bernacles
Et de moules accrochées en papillotes bleues ;
Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres
Qui vivent de la mort et de la marée basse,
Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :
Telle est ma conscience.
De temps en temps, je la sèche au soleil,
Je l’appuie (contre rien du tout,
Puisqu’elle ne monte nulle part) ;
Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.
Qui sait si elle n’est pas récupérable,
Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?
Et chaque nuit sans raison ma cervelle
Monte et descend les barreaux de l’échelle.
Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction de J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël, éditions de La Différence, 1976, p. 97.
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04/05/2019
Malcolm Lowry, Le Vendredi-Saint de M. Lowry...
Le Vendredi-Saint de M. Lowry
sous un véritable cactus
Parce que je suis un esbrouffeur
Parce que je suis un effrayé
Parce que je dois éluder
La sentence du Seigneur
Puis à nouveau m’en moquer
Et encore une fois être crucifié à son côté
Parce que je dois décider
Parce que je ne le fais point
Étant comme Crusoé
Naufragé sur un îlot de douleur
Je suis mort, je crève d’ennui
Parce que je suis un esbrouffeur
Parce que je suis un effrayé.
Malcolm Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain,
dans"Malcolm Lowry", Les lettres nouvelles,
1950, p. 89.
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28/11/2018
Malcolm Lowry, Pas de compagnie hormis la peur (traduction Jean Follain)
Pas de compagnie hormis la peur
Comment tout a-t-il donc commencé
et pourquoi suis-je ici à l’arc d’un bar à peinture brune craquelée
de la papaya, du mescal, de l’Hennessy, de la bière
deux crachoirs géants
pas de compagnie sauf celle de la peur
peur de la lumière du printemps
de la complainte des oiseaux et des autobus
fuyant vers des lieux lointains
et des étudiants qui s’en vont aux courses
des filles qui gambadent les visages au vent,
pas de compagnie hormis celle de la peur
peur même de la source jaillissante.
Toutes les fleurs au soleil me semblent ennemies
ces heures sont-elles donc mortes ?
Malcolm Lowry, Poèmes inédits, traduction Jean
Follain, dans Les Lettres Nouvelles, ‘’Malcolm
Lowry’’, Mai-juin 1974, p. 229.
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21/09/2018
Malcolm Lowry, Divagation à Veracruz
Divagation à Veracruz
Où s’est-elle enfuie la tendresse demanda-t-il
demanda-t-il au miroir de Baltimore Hôte, chambre 216
Hélas son reflet peut-il lui aussi se pencher sur la glace
se demandant où je suis parti vers quelles horreurs ?
Est-ce elle qui maintenant me regarde avec terreur
inclinée derrière votre fragile obstacle ? La tendresse
se trouvait là, dans cette chambre même, à cet endroit même
sa forme vue, ses cris par vous entendus.
Quelle erreur est-ce là, suis-je cette image couperosée ?
Est-ce là le spectre de l’amour que vous avez reflété ?
Avec maintenant tout cet arrière plan
de téquila, mégots, cols sales, perborate de soude
et une page griffonnée à la mémoire de ceux-là
qui sont morts, le téléphone décroché.
De rage il fracassa toute cette glace de la chambre.
(Coût 50 dollars)
Malcolm Lowry, Poèmes inédits, traduction Jean Follain, dans
Les Lettres nouvelles, n° spécial, mai-juin 1974, p. 226.
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21/04/2018
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir
Des hommes dont le vent fait claquer le pardessus
Nos vies — mais nous n’en pleurons pas —
Sont comme ces cigarettes au hasard
Que, par les journées de tempêtes,
Les hommes allument en les protégeant du vent
D’un geste adroit de la main qui fait écran ;
Puis elles brûlent toutes seules aussi vite
Que s’aggravent les dettes qu’on ne peut pas payer,
Elles se fument si vite toutes seules
Qu’on a à peine le temps d’allumer
La vie suivante, qu’on espère mieux roulée
Que la première, et sans arrière-goût+
Au fond, elles n’ont pas de goût —
Et la plupart, on les jette au rebut..
Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction
J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La Différence,
1976, p. 81.
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