22/06/2012
Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d'abîme
Les allures à la mort
Quel monde aux fumées de la pluie
Les décombres du ciel et parfois
Comme un soupçon de clair pays
Là-haut sous la soie maigre sous la suie
(La lampe qui est basse un passereau
L'habite accroupi chante faux)
Mais écoute en ces jours l'âme s'épuise
À regravir la montagne du vieux printemps
Le soleil vole et ses eaux luisent
Dans la cendre des bords du temps
Puis c'est la tombe à fleurs de terre
Et les scabieuses d'une prière.
*
Entre les collets d'ombre et de la chaux feuillue
Le grave lumignon s'absorbe dans un mur
Et nul ne franchit plus les eaux qu'il eût fallu
Franchir aux fins heureuses ô blanc murmure
En l'air le ciel pourtant propage un chant
Mouillé d'étoiles inondant par pans
Le mont plus clair et cependant aride
Et c'est alors on ne sait quoi terriblement
Simple et beau qui tremble aux bords humides
En larmes l'âme ainsi qu'un rossignol dément
Mais nous éveillerait dans cette nuit de neige
Nous ouvrirait là-haut la vie le jour que sais-je ?
*
Pour n'avoir attendu le jour le vieux bruit
D'aller sur l'eau de l'âme remuement d'ombres
Sous le silence dans la vie l'instant sombre
Au pli des lampes d'achever l'autre nuit
C'est d'ici que s'est noué pour moi menace
D'une barque noire abordant la terrasse
Vivante et ne bougeant plus que je ne sois
Aventuré face à face la sinistre
La taciturne aux bras de buis et le poids
De la neige éternelle entre nous ô triste
Pensée d'une montagne où fut fait un feu
Pour vivre aux fins de cette cendre et cet adieu !
Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d'abîme, "Le Chemin", Gallimard, 1965, p. 17-18.
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17/06/2012
Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes
Une rumeur d'épouvante rôde en ville,
Se glisse dans les maisons comme un voleur.
Pourquoi ne pas relire, avant de s'endormir,
Le conte de Barbe Bleue ?
Comment la septième monta l'escalier,
Comment elle appela sa sœur cadette,
Et guetta, retenant son souffle,
Ses frères bien-aimés, ou la terrible messagère.
Une poussière s'élève comme un nuage de neige,
Les frères vont entrer au galop dans la cour du château,
Et sur la nuque innocente et gracile,
Le tranchant de la hache ne se lèvera pas.
Consolée à présent par cette cavalcade,
Je devrais m'endormir tranquille
Mais qu'a-t-il, ce cœur, à battre comme un enragé,
Et le sommeil, pourquoi ne vient-il pas ?
Hiver 1922
Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, édition
bilingue, traduction par Marion Graf et José-Flore Tappy,
La Dogana, 2010, p. 85.
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