26/02/2013
Vera Pavlova, Immortalité, dans "Europe"
Immortalité
Éternise-moi juste un peu :
Prends de la neige et sculpte-moi
Puis de tes mains chaudes et nues
Frotte-moi jusqu'à ce que je brille...
*
Immortelle : ni vivante ni morte.
L'immortalité est un désastre.
Embrassons-nous. Tes bras sont
Les manches d'une camisole de force.
Embrassons-nous. Tes bras sont
Des bouées de sauvetage.
Telle est la damnation des poètes lyriques :
Une caresse est toujours de première main
Un mot — rarement.
*
Qui passera avec moi l'hiver de mon immortalité ?
Qui décongèlera avec moi ?
Quoi qu'il advienne, je n'échangerai pas
L'amour terrestre pour l'amour souterrain.
J'ai encore le temps de devenir fleur, argile,
Mémoire aux yeux blancs...
Et tant que nous sommes mortels, mon aimé,
Rien ne te sera refusé.
*
Les plus beaux vers sont ceux que j'écris
sur des surfaces tendres
avec la pointe souple de la langue : calligraphie
sur ta bouche, ton tronc, ton ventre...
Ô mon aimé, sagement, j'ai tracé mes lettres.
Veux-tu voir s'effacer entre mes lèvres
ton point d'exclamation ?
*
Nous sommes riches — nous n'avons rien à perdre.
Nous sommes vieux — rien ne nous presse d'aller nulle part.
Il nous faut battre les coussins du passé,
Remuer les braises de l'avenir,
Dire ce qui importe le plus
Tandis que décline le jour indolent
Et porter en terre nos immortels :
À moi de t'inhumer,
À toi ensuite de m'ensevelir.
Vera Pavlova, traduit du russe par Jean-Baptiste Para,
dans Europe, "Abécédaire", n° 1000-1001, août-septembre
2012, p. 109-110.
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