15/10/2013
Philippe Soupault, Rose des vents
Étoile de mer
à Marcel Herrand
On étouffe dans la chambre
Crois-tu
Au loin il y a la gare qui hurle
Je m'en irais à Toronto
Une brise souffle dans les rideaux
On voit la mer au-dessus des toits
le train va partir tout à l'heure
l'horloge ralentit
Il faut faire oublier le soleil ou la pluie
la fenêtre n'est pas fermée
je prendrais ma canne et mon grand manteau vert
Il neige encore à Vancouver
J'ai ton billet et ton sac
Laisse mourir ceux qui s'accrochent
Nous doublerons le cap Horn
l'horizon est invisible
Nos yeux s'agrandissent
La Grande Roue vient de s'arrêter
Philippe Soupault, Rose des vents, Au Sans Pareil, 1920,
non paginé ; reprint USA.
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28/03/2012
André Suarès, Poétique
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ni comment on oppose, en poésie, le vers régulier au vers libre, l’assonance à la rime, le verset à la mesure uniforme. Parlant poétique, on n’oublie que la poésie. Il est vrai que les plus acharnés à faire la théorie du poème sont les moins poètes, ou ne le sont pas du tout. En poésie, l’âme est tout : elle seule est créatrice ; et poésie veut dire création. C’est elle, sentiment ou pensée, qui cherche à donner une forme absolue à son objet. Mais quelle forme est absolue réellement ? Celle-là seule qui communique à l’auditoire l’émotion du poète. Par auditoire, il faut entendre le lecteur, le spectateur, l’homme qui attend de l’artiste une émotion qu’il espère, mais qu’il ne saurait se donner lui-même.
Le nombre est la forme du poème. Le nombre ne dépend pas du compte plus ou moins arbitraire qu’on en fait sur ses doigts. L’alexandrin est un nombre admirable, comme l’iambe tragique des Grecs ; ce n’est pas le seul. Il en est beaucoup d’autres. Ils sont légitimes, dès qu’ils touchent à la perfection ou qu’ils en approchent. Les formes régulières sont les plus faciles : tel en est l’avantage. Mais la monotonie s’en suit, et ce tour banal qui nuit à la création originale. Ainsi, il y a une servitude réelle de la rime, qui tourne l’esclavage. […]
Oui ou non, y a-t-il une foule de vers réguliers en toute langue, qui sont déserts de toute poésie ? Y a-t-il une grande poésie, vivante et féconde, dans un certain genre de prose ? Le grand poète crée son nombre, quel qu’il soit. Il faut y être sensible, comme à la musique sans barres de mesure, et à l’encontre des accords permis par l’école. Dans les poèmes en prose de Baudelaire, la poésie n’est pas moins présente que dans Les Fleurs du Mal : elle est autre, et n’est pas du même genre, voilà tout.
André Suarès, Poétique, texte établi et préfacé par Yves-Alain Favre, éditions Rougerie, 1980, p. 84-85.
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12/02/2012
Jude Stéfan, Les commourants
adieu jusqu'au revoir
à dieu vous recommande
à Lucifer son ange
sidis et spahis
tandems et side-cars
firent l'enfance
sévices et fillettes
comme nord et sud
neiges et sodas
est et ouest
le suroît la toundra
main de la nourrice
à l'orée des fleurs
sur trottoir de l'aïeule
tapioca et tombola
en la vie brève et lente
oubliés le sampa le kappa
au pré fluvial
Gitanes étendent leur linge
Vaches défient l'abattoir
perdu le nom des Anges
une cloche hèle les vivants
voltigeurs dans les cintres
avant le gras des cadavres
mais
poussières s'amoncellent
ongles repoussent ou bien
Si
l'on attrape la lune basse
la boule de feu est la même
chaque matin
ou si jamais apparut œil à double pupille
par ces gels tempestifs
né jadis à la mort de Répine & Pascin
1930
situable entre Pascal et Pascin
— du Néant au Fesses replètes —
et les Agents aux crampons escaladeurs
les poteaux blancs dégarnis de filets
Cheminées comme une angoisse
hurlant au Vide
en sarraus noirs et pompons
les Enfants morveux ahuris
assassins-nés offerts au jurés
parmi le Routine la Chierie
sur les routes de promiscuité
sous l'immonde boa de dieu
les pieds de mort comme on dit
de veau obsédants survivants
[...]
Jude Stéfan, Les commourants, éditions Argol,
2008, p. 11-14.
©photo Chantal Tanet, août 2011
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