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17/10/2018

Jean Roudaut, Littérature de rêve

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                                       Vu d’ici 

  Les rêves rendent vaniteux. Jamais, éveillé, je ne serais capable de dessiner la nuit. Mais en rêve, je découvre, à mesure que je les fais, des fresques merveilleuses. Je construis des palais et des villes imprévisibles. La clarté du jour, partout où je me promène est plus douce qu’une peau de dame. De part et d’autres de la rue, hiératiques, se dressent en ancêtres, Atlante et Caryatide. Ils s’aimeraient, s’ils avaient encore des yeux pour voir. En veillant, ils dorment.

   La même nuit, après le faux temps du changement de décor, de la fenêtre je vois à la rue une enfant immobile et attentive. Quand je la rejoins, elle est devenue aussi grande que moi. Elle porte des bottes cavalières, une robe légère, voile ou zéphyr, que le vent serre contre ses jambes. Malgré son chapeau à larges bords, je vois les yeux, siennois, le sourcil prolongé vers la tempe par  un trait noir.

   Je l’accompagne jusqu’au palais fermé, sa demeure royale.

  Elle passe le portail, comme si elle le traversait,et disparaît entre les statues qui lui rendent les honneurs.

  Une seconde fois perdue.

 Jean Roudaut, Une littérature de rêve, fario, 2017, p. 24-25

                                     *

                                          ce jeudi 18 octobre, à partir de 19 h,

                                    Soirée autour de Tête en bas d’Étienne Faure,

                                  avec un hommage à Julien Bosc, éditeur et poète

                                   librairie Liralire, 116, rue Saint-Maur, 75011, Paris.

 

06/12/2012

Georges Lambrichs, Pente douce

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                  Une confidence

 

   L'habitude se reconnaît dans un circuit mental rapide et paresseux. Rapide : il est commode, en effet, d'abréger ce qui ne mérite pas de soutenir l'attention au profit d'une disponibilité de l'esprit. Et paresseux : qui peut empêcher d'apercevoir à temps le saugrenu qui menacerait l'ordre du sommeil. D'ailleurs, à quel défaut de sa naissance l'habitude serait-elle prise qui pourait la faire considérer à juste titre comme une nouvelle attendue ?

   Venant de Saint-Malo — où l'on avait retrouvé, en pleine dérive, un ami frappé par le chagrin , lui connaissait-on d'autre lien que celui qu'il venait de rompre ? mais il devait avoir son idée là-dessus — on flânait dans Dinan, débouchant place Du Guesclin qu'on n'avait pas cherchée, quand faussant compagnie sans autre explication, je le vois s'introduire dans la boutique d'un bourrelier.

   Après une attente forcée devant la vitrine où étaient exposés fouets et cravaches, nerfs de bœuf et sachets de sable, tous obets d'autant moins fascinants qu'ils sont montrés à l'état neuf, je l'aperçus qui sortait quelque peu rougissant avec un paquet blanc en fuseau tellement bien ficelé qu'on ne pouvait à première vue soupçonner ce qu'il contenait. Passé le moment de stupeur et de rire mêlés, je me dis qu'il reprenait goût à la vie et qu'il avait probablement l'intention à sa manière de rechercher un contact avec ce qui avait bien failli mourir.

[...]

 

Georges Lambrichs, Pente douce, nouvelles, préface de Jean Roudaut, éditions de la Différence, 1983 [1972], p. 31-33.