21/08/2014
Édith Azam, Jean-Christophe Bellevaux, Bel échec
les mains se referment
étreignent le vide
voudraient le saisir
l'empoigner pour de bon
en briser la frontière mais...
on ne le sait que trop :
le vide
n'épargne personne
c'est à peine c'est-à-dire
si la peine si le dire
si les roses et les choses
tout s'emmêle et se noue :
les battements du cœur et les mots indigents,
tout va, la pluie, l'absence, tout va bien
tout va bien
tout s'en va
tout est perdu :
très bien...
mais que l'échec au moins
on le tente au plus juste
oui
que l'échec humain soit :
notre plus bel échec.
Édith Azam, Jean-Christophe Bellevaux, Bel échec, images d'Élice Meng, Dernier Télégramme, 2014, p. 25.
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03/05/2013
Virginie Poitrasson, Journal d'une disparition — mai 2008
6 mai
présence du vélo sous mes pieds, les pédales qui tournent sous la poussée, l'essoufflement prend forme
première annonce de ta disparition
7 mai
retour aux bases, première gestuelle de survie, avec peut-être de l'agitation, et la matière, la matière si forte à cet instant
ta chambre vide de ta présence
8 mai
en recherche, en action, à tourner en rond, avec les scénarios les plus probants, échafaudages accrochés aux émotions
et ta trace comme s'évaporant au soleil
9 mai
statique, tendue, arrêtée dans le salon, du salon au jardin, du jardin au salon, périmètre du raisonnement mental
quand tu commences à te livrer virtuellement
10 mai
le début de la liste, parce qu'il faut bien commencer par quelque chose, parce que faire des listes fait tenir (faire des listes pour ne pas devenir fou)
et tu es ressenti comme une perte — mais pas totale
11 mai
une pause suspendue, bulle de patience, oreilles et bouches multiples, tout dans la gravité, suspendue en l'air, gravitation qui s'incite et s'insinue en moi
toi, ton odeur, ta musique, tes objets, ta souffrance encore présents dans la pièce
[...]
Virginie Poitrasson, Journal d'une disparition — mai 2008—, Ink, 2009, np.
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24/10/2012
Jean Arp, Jours effeuillés
Jumeaux de sève
Une rue vide sans fin.
Des maisons vides.
Des chambres vides.
Un homme vide la bouche ouverte.
comme un nid vide
est réconforté coup sur coup du vide.
Un homme à cheval sur une femme.
Deux femmes nues se battent avec de vieux balais...
Des tabourets à tentacules.
Un crâne en pain sur une étagère.
Un cœur humain en guise d'éponge.
Des personnes plus éteintes que des lampes à pétrole éteintes disparaissent dans un tunnel noir.
Un deuxième homme à cheval sur une femme
arrive au grand galop
et annonce à hauts cris sa découverte sensationnelle :
une poudre qui provoquera en plein jour une nuit totale
et dont il fera immédiatement la démonstration.
Des chevaux attendent immobiles sur un radeau
dans une rue couverte de confetti blancs
le dégel d'un écho.
Sur une chaise qui a le hoquet
traînent des baisers momifiés.
Au moindre frôlement la chaise fait entendre un bruit cru
dû au passage de l'air dans la glotte.
Un mendiant couvert de la tête aux pieds
d'une barbe noire et malodorante
vend des clefs pour ouvrir la porte
qui donne sur l'incessante nudité de la lumière infinie.
Une fleur travestie en chair et en os
vend des mannequins porte-bonheur
parés de leurs plus beaux atours.
Un ange sombre vend des boussoles
pour trouver le chemin du ciel.
Dans chaque tiroir d'une grande commode en verre
dort un homme grand
déguisé en mite.
Sur le lit conjugal parmi les houpettes des franges
et des incrustations de dentelles vénitiennes
repose un estomac verni
dans lequel se mirent des jumeaux de sève.
Jean Arp, Jours effeuillés, poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965, Gallimard, 1966, p. 385-386.
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