24/10/2012
Jean Arp, Jours effeuillés
Jumeaux de sève
Une rue vide sans fin.
Des maisons vides.
Des chambres vides.
Un homme vide la bouche ouverte.
comme un nid vide
est réconforté coup sur coup du vide.
Un homme à cheval sur une femme.
Deux femmes nues se battent avec de vieux balais...
Des tabourets à tentacules.
Un crâne en pain sur une étagère.
Un cœur humain en guise d'éponge.
Des personnes plus éteintes que des lampes à pétrole éteintes disparaissent dans un tunnel noir.
Un deuxième homme à cheval sur une femme
arrive au grand galop
et annonce à hauts cris sa découverte sensationnelle :
une poudre qui provoquera en plein jour une nuit totale
et dont il fera immédiatement la démonstration.
Des chevaux attendent immobiles sur un radeau
dans une rue couverte de confetti blancs
le dégel d'un écho.
Sur une chaise qui a le hoquet
traînent des baisers momifiés.
Au moindre frôlement la chaise fait entendre un bruit cru
dû au passage de l'air dans la glotte.
Un mendiant couvert de la tête aux pieds
d'une barbe noire et malodorante
vend des clefs pour ouvrir la porte
qui donne sur l'incessante nudité de la lumière infinie.
Une fleur travestie en chair et en os
vend des mannequins porte-bonheur
parés de leurs plus beaux atours.
Un ange sombre vend des boussoles
pour trouver le chemin du ciel.
Dans chaque tiroir d'une grande commode en verre
dort un homme grand
déguisé en mite.
Sur le lit conjugal parmi les houpettes des franges
et des incrustations de dentelles vénitiennes
repose un estomac verni
dans lequel se mirent des jumeaux de sève.
Jean Arp, Jours effeuillés, poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965, Gallimard, 1966, p. 385-386.
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