25/12/2013
Jean Tardieu, Formeries
Comme bientôt
(Grains de sable les étoiles)
Comme
j'entends déjà
mourir ma raison ma mémoire
dans les chantiers déments de l'avenir
soit que j'ouvre la porte
ou que je la referme sur
l'obscurité qui m'enfante et qui m'efface
et qui livre au néant radieux le réel
toujours promis aussitôt dérobé
bientôt
ne seront plus les signes de tous noms
que grains de sable au fond des arches creuses
où fut le tendre globe de nos yeux et où
circule et se dérobe nu
le solitaire espace
et sonneront les sons des mots
toujours repris et déformés de bouche en bouche
et déjà dans ma voix
depuis longtemps
ils se sont sans rien
dire entrechoqués jusqu'à
l'éclatement
et redisant et redisant rabâchent
un seul époumoné murmure
car c'était toi oui c'était moi
l'un qui profère l'autre se tait
l'un qui parle et l'autre entend
si c'est lui c'est aussi moi
c'est vous aussi mais nul ne vient nul n'apparaît
pour interrompre ou désigner
l'origine et la fin sinon
cet astre obtus porté vers l'astre
et cent mille qui viennent
vers cent mille autres qui s'en vont
en s'enfonçant dans cette nuit
inconcevable
où le miracle me fascine m'éblouit
me fait vivre me tue
mais sans remède
Jean Tardieu, Formeries, Gallimard, 1976,
p. 35-36.
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21/06/2013
Pierre Reverdy, Pierres blanches
La rue qui chante
Les voix qui tournaient
Dans la rue en pente
Celui qui montait
La tâche accomplie
Il y a des lettres sur le mur
Et tout le monde qui regarde
Les étoiles pendent
Les becs de gaz tremblent
Le vent
Je marche
Et l'air entier passe devant
Quand la terre tourne plus vite
Où pourrait-on se retenir
C'est peut-être la peur
Qui nous empêche de courir
Et ce sont les mots qui s'envolent
Les feuilles
Et tous les rideaux
Pour voir ce qu'il y a derrière
Dessous
Les larmes sur la gouttière de la cour
Pierre Reverdy, Pierres blanches, dans Œuvres complètes, II, édition préparée, annotée et présentée par Pierre-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 245.
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