09/12/2016
Paul Auster, Disparitions
Nonterre
I
Accompagnant tes cendres, à peine
écrites, effaçant
l’ode, les racines avivées, l’œil
autre — de leurs mains gauches, ils t’ont traîné
dans la ville, t’ont serré
dans ce grand nœud de jargon, et ne t’ont rien
donné. Ton encre a appris
la violence du mur. Banni,
mais toujours au cœur
d’un calme fraternisant, tu retournes les pierres
d’une invisible terre, et rends douce ta place
parmi les loups. Chaque syllabe
est entreprise de sabotage.
Paul Auster, Disparitions, traduction Danièle Robert,
Babel, 2008 [Actes Sud 1994], p. 17.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul auster, nanterre, disparitions, jargon, encre, loup, syllabe | Facebook |
25/03/2016
Aimé Césaire, Soleil cou coupé
Tatouage des regards
Yeux accrochés à leur haut pédoncule hypertrophié yeux d’anacardier et pus de tannin sur moi braqués comme un regard de mauvais fruit comme des mouches d’abattoir comme une barbe de justicier
certes je suis du monde l’être le plus percé
chaque homme qui me rencontre s’adjugeant le droit de me planter un clou au hasard de ma tête de mon cœur de mes mains de mes yeux
mais ma grande joie est de tromper les coups : férocité de mon intimité là où ils pensaient trouver le vide — vide sable et friable bois de termite au lieu de l’aubier qu’à volonté non saisonnière je me fabrique —
Penaude en est leur ancre
cependant que fait le gros dos et roucoule mon encre qui remonte encore en sève à la surface me donner une couleur où commodément attendre et surprendre (dans cette forêt où il faut être bête comme Christ, et chou pour être crucifié) l’imbécillité des coups de larrons des clous toujours à l’affût
Aimé Césaire, Soleil cou coupé, K éditeur, 1948, p. 89.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aimé césaire, soleil cou coupé, yeux, coup, violence, résistance, encre | Facebook |